Dossier complet et synthétique sur l’impact environnemental des nouvelles technologies
La pollution high-tech
Le développement de la société numérique engendre une surconsommation énergétique et une augmentation constante de produits, matériaux… et déchets électroniques. Les gouvernants et les industriels commencent a prendre la mesure du cout ecologique de la nouvelle economie et agissent timidement. Mais, pour l’instant, ce sont les pays emergents et leurs habitants qui en paient le tribut, au peril de leur environnement et de leur sante.
La pollution visible et invisible
Selon les dernieres projections du cabinet Forrester, un milliard d’ordinateurs personnels (PC) seront en service dans le monde des 2008 et plus de deux milliards d’ici a 2015. Mais que fait-on de ces montagnes d’ecrans, d’unites centrales, de claviers, d’imprimantes et de peripheriques en tout genre lorsqu’ils sont obsoletes ou hors d’usage ?
Entre 20 a 50 millions de tonnes de e-dechets s’amoncellent dans le monde et ce volume croit de 3 a 5 % par an, d’apres une etude des Nations unies de 2005. En France, nous produisons a l’heure actuelle en moyenne 25 kg de DEEE (dechets d’equipements electriques et electroniques) par an et par personne. Et sur ces 25 kg, 8 % – soit moins de 2 kg – passent dans une filiere de collecte puis eventuellement de recyclage pour un quart d’entre eux.
En Europe, ce sont, selon un rapport de l’Union europeenne, pres de 36 tonnes de mercure et 16 tonnes de cadmium qui sont ainsi rejetees chaque annee dans l’atmosphere, essentiellement a cause de l’incineration des DEEE.
Il ne s’agit pourtant la que de la partie visible de l’iceberg. L’augmentation du parc informatique induit aussi un cout energetique, et donc environnemental, de plus en plus eleve. Quand le nombre d’ordinateurs personnels croit, la quantite d’electricite necessaire pour les alimenter augmente mecaniquement.
Mais outre ces appareils, l’infrastructure d’Internet elle-meme draine une grande quantite de ressources energetiques. Estimee a 123 terawattheures en 2005, la consommation electrique de l’ensemble des serveurs dans le monde equivaut a la production d’une quinzaine de centrales nucleaires.
Soutenu par des serveurs bon marche, mais de basse qualite et peu efficients, Internet contribue a une facture energetique de plus de 5 milliards d’euros par an, estime Jonathan Koomey, un universitaire de Stanford. Entre 2000 et 2005, la consommation mondiale de ces serveurs a plus que double. Une telle augmentation est d’autant plus problematique qu’elle n’inclut pas le nombre de serveurs de grandes compagnies, telles que Google, tres discrete sur la capacite de ses infrastructures.
Les pays émergents, poubelles de l’Occident
Le recyclage des e-dechets est complexe et necessite la manipulation de composants nocifs pour la sante et l’environnement. Il est peu ou pas rentable et dangereux. C’est donc « tout naturellement » que les pays developpes envoient leurs dechets dans les pays emergents, en fermant les yeux sur les methodes employees localement.
Une pollution a grande echelle liee a cette industrie touche l’Asie et l’Afrique. Le Basel Action Network (BAN) recense les decharges, les filieres et plus generalement tous les abus en matiere de pollutions electriques et electroniques. Selon lui, et a titre d’exemple, plus de 500 conteneurs de materiel informatique d’occasion sont debarques chaque mois au Nigeria pour etre repares et reutilises. Mais pres des trois quarts de chaque cargaison se revelent inutilisables et sont detruits sans precautions ou, pire, abandonnes dans de vastes decharges. Toxics Alert estimait dans un rapport paru en 2004 que 70 % des DEEE mis en decharge a New Delhi provenaient d’exportations de pays industrialises.
Les methodes employees dans les pays pauvres pour retraiter ces dechets sont tres rudimentaires et les repercussions sur la sante des populations et l’environnement lourdes. L’eau est le vecteur principal de ces pollutions. En Chine, un echantillon d’eau preleve dans la riviere Lianjiang, a proximite d’un site de recyclage, a revele des taux de plomb 2 400 fois plus eleve que les standards preconises par l’OMS (Organisation mondiale de la sante).
La prise de conscience des Etats pollueurs – les pays developpes – a ete lente mais un arsenal legislatif a vu le jour : la convention de Bale, qui interdit toute exportation de produits dangereux entre les pays signataires, est entree en vigueur en 1992. En matiere de recyclage, la reglementation est intervenue plus tard. Une directive europeenne dite DEEE (dechets d’equipements electriques et electroniques), votee en 2003, est appliquee au niveau europeen depuis aout 2005. Dans le meme temps, une autre directive europeenne dite RoHS (Restriction of Hazardous Substances) visant a controler l’utilisation de substances dangereuses dans les equipements electriques et electroniques a ete adoptee.
A l’heure actuelle, ce dispositif legislatif est operationnel en Europe et la plupart des pays developpes suivent le mouvement. Les filieres de recuperation puis de recyclage se mettent en place et sont l’affaire de tous : constructeurs et distributeurs sont desormais tenus de les respecter. Mais force est de constater qu’une majorite des Etats concernes continue d’envoyer leurs e-dechets vers les pays emergents, parfois sous forme de dons pour contourner la loi.
Des initiatives « vertes » disparates
Devenues soucieuses des questions ayant trait a l’environnement – ou de leur image – les entreprises d’informatique s’investissent de plus en plus dans le retraitement des matieres dangereuses. Remis en cause par l’association Greenpeace, qui publie regulierement un Guide pour une high-tech responsable, Apple s’est par exemple engage a devenir « plus vert », et a montrer plus de transparence dans ses procedures de recyclage.
Les grands groupes industriels tentent egalement de promouvoir des mesures de reduction de la consommation d’energie des ordinateurs. Reunis dans la Climate Savers Computing Initiative, des acteurs majeurs comme Microsoft, AMD, Lenovo et IBM, et plus recemment Google et Intel, travaillent en accord avec l’organisme de defense de l’environnement World Wildlife Fund (WWF) et 25 autres associations.
Les fabricants d’ordinateurs et de composants qui participent a cette initiative se sont engages a elaborer des produits economes en energie qui remplissent les exigences techniques de l’EPA, l’Agence federale americaine de l’environnement. Les autres entreprises qui adherent a cette initiative vont s’equiper d’ordinateurs plus economes. Elles esperent economiser 5,5 milliards de dollars de depenses energetiques par an et reduire les emissions de gaz a effet de serre de 54 millions de tonnes annuelles.
L’infrastructure du reseau Internet, composee de dizaines de millions de serveurs, tend egalement vers une baisse sensible de sa consommation electrique. De plus en plus de constructeurs proposent des serveurs virtuels, qui remplacent peu a peu les rangees, armoires et baies de serveurs tres gourmands en energie. D’autres entreprises essaient quant a elles de democratiser les serveurs dits de « basse consommation ».
Ces initiatives disparates suffiront-elles ? La multiplication des e-dechets et la pollution engendree par les industries des nouvelles technologies imposent-elles l’elaboration d’un « protocole de Kyoto » informatique ?
Jim Puckett : « La legislation europeenne est la plus avancee, mais elle presente des failles »
Que pensez-vous des directives sur les e-dechets appliquees au niveau europeen et international ?
La legislation europeenne est la plus avancee en termes de gestion des dechets electroniques, mais elle presente plusieurs failles que certains s’empressent d’exploiter. S’il existe un principe selon lequel le constructeur est oblige de recycler ses produits, personne n’indique comment et ou ils doivent l’etre. Il est finalement possible de vider les remblais en France, pour remplir les decharges au Nigeria ou en Chine.
Par ailleurs, si les exportateurs declarent que leur chargement contient des equipements destines a etre reutilises, ceux ne sont plus consideres comme des « dechets », mais comme des « produits », qui echappent a la regulation du transport de dechets. Il s’agit la d’un grand mensonge : environ 75 % du materiel que nous avons pu identifier au Nigeria est tout simplement mis a la decharge puis brule.
Quelles sont les directives qui ont le plus d’impact sur les decharges « informelles » des pays emergents ?
Les trois principales mesures en la matiere sont importantes, mais elle doivent etre correctement mises en application. La regulation du transport de dechets constitue la loi la plus importante, si elle est correctement appliquee. Les consommateurs et les constructeurs sont incites a resoudre le probleme en amont, et a ne pas exporter leurs dechets. Par ailleurs, la directive ROHS (Restriction of the use of certain hazardous substances, « restriction de l’utilisation de certains substances dangereuses ») peut egalement avoir beaucoup d’impact, a condition d’elargir la liste des substances dites « dangereuses » et d’empecher les exemptions. Enfin, si la directive concernant les DEEE (Dechets d’equipements electriques et electroniques), qui ne touche a l’heure actuelle que les consommateurs, est modifiee pour solliciter la responsabilite du producteur, elle deviendra egalement un levier important.
Avez-vous remarque une diminution ou une augmentation des dechets depuis la mise en place des directives internationales ?
Rien ne s’est reellement ameliore : cela est principalement du a l’absence de fermete dans l’application en Europe, et a l’absence de toute legislation aux Etats-Unis. Une loi sur les dechets informatiques est plus efficace dans les pays exportateurs que dans les pays importateurs.
Y a-t-il une prise de conscience des pays emergents sur les conditions sanitaires et environnementales de telles entreprises de retraitement ?
Les pays emergents ne peuvent pas faire grand-chose. La Chine a essaye de reduire l’afflux des dechets et d’ameliorer les conditions de retraitement, mais le marche informel du recyclage sale se developpe, a cause du commerce global qui est tres difficile a controler. Pour la Chine, ce n’est pas une question technique : les entreprises de recyclage de qualite ne peuvent pas concurrencer le marche informel. La seule maniere de stopper ce cycle est de promouvoir la convention de Bale, et sa diligente application.
Les bas-fonds de la Toile
Converser par messagerie instantanee, jouer a des jeux en ligne ou simplement surfer sur Internet sont desormais des activites courantes pour les usagers du Web. Les debits sont toujours plus eleves et les echanges de fichiers plus nombreux sur les autoroutes de l’information, alors que celles-ci donnent l’illusion de la dematerialisation.
Pourtant, de l’autre cote des ecrans des internautes, une lourde infrastructure sous-tend la Toile. L’octet, l’unite de mesure informatique, a bel et bien un equivalent energetique, des plus eleves. Estimee a 123 terawattheures par an, la consommation electrique mondiale des serveurs represente 0,8 % de la consommation electrique totale (16 000 terawattheures par an), l’equivalent d’une quinzaine de centrales nucleaires.
Les Etats-Unis absorbent a eux seuls un tiers de cette consommation (45 terawattheures par an). Jonathan Koomey, un universitaire de Stanford, a calcule qu’une telle facture energetique s’eleve a 5,3 millards d’euros par an (7,2 milliards de dollars).
Selon son etude publiee en fevrier 2007, la consommation des serveurs a double en cinq ans. En l’an 2000, les serveurs mondiaux utilisaient moins de 60 terawattheures par an. Le rapport de M. Koomey est d’autant plus alarmant qu’il n’inclut pas les serveurs utilises par Google. L’entreprise americaine, tres obscure sur son infrastructure, n’a jamais diffuse de donnees sur ses capacites de stockage. Selon un article de juin 2006 publie dans le New York Times, Google disposerait de plus de 450 000 serveurs, repartis dans une vingtaine de centres techniques.
La forte demande constitue la cause principale d’une telle surenchere energetique. Les pays developpes, membres de l’Organisation de cooperation et de developpement economiques (OCDE), plebiscitent de plus en plus le haut debit. Avec plus de 58 millions d’abonnes, les Etats-Unis representent le plus gros marche, en valeur absolue, suivis du Japon et de la Coree du Sud. Mais c’est dans les pays du nord de l’Europe que le taux d’equipement est le plus eleve. Au Danemark, aux Pays-Bas ou en Islande, pres d’un habitant sur trois dispose du haut debit, contre un habitant sur cinq en France.
12,7 millions d’abonnes francais sont ainsi connectes en haut debit, figurant dans le trio de tete des pays europeens les plus connectes, derriere le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les pays emergents en matiere numerique comme la Chine, dont le taux de penetration d’Internet est tres faible (10,4 %, contre pres de 70% en Amerique du Nord), vont egalement durablement accroitre la demande.
Soucieux de satisfaire les attentes de leurs clients, les constructeurs comme HP ou Dell proposent des serveurs a bas prix, mais peu efficients. 90 % de l’infrastructure informatique est ainsi composee de « volume servers », les moins chers du marche. Masses dans des salles, peu efficaces, ils ne sont employes qu’a 10 % de leurs capacites. Ils necessitent egalement d’importants systemes de refroidissement, qui contribuent pour moitie a leur consommation electrique. D’apres M. Koomey, leur nombre a explose en cinq ans : en 2000, le monde comptait 12 millions de « volume servers », contre 26 millions en 2005.
Les prochaines annees pourraient voir se degager de nouvelles tendances. En mars 2007, l’institut IDC a reduit les previsions de ventes de serveurs entre 2005 et 2010 de 4,5 millions d’unites. Une telle baisse se fait en partie au profit des serveurs dit « virtuels », dont plusieurs peuvent etre heberges par un seul serveur physique. En 2010, 1,7 million de serveurs seront vendus pour la virtualisation, equivalant a la capacite de 8 millions de serveurs « reels ». Cela representera 14,6 % du volume de capacite des serveurs, contre seulement 4,5 % en 2005.
Les principaux constructeurs se sont egalement lances dans une strategie de reduction de la consommation. Alors que Sun mise sur des processeurs plus performants, son concurrent, Hewlett- Packard, equipe certains serveurs de fonctions d’economie d’energie, et de ventilateurs plus efficaces.
Depuis le mois d’avril, VIA, fabricant taiwanais de circuits integres, et Hewlett Packard commercialisent un ordinateur basse consommation, destine au marche chinois. Pourquoi avoir lance un tel projet ? La Chine connait une augmentation de la pollution et des emissions de dioxyde de carbone engendrees par une croissance rapide des activites industrielles et commerciales. Cela survient au moment ou le monde commence a prendre davantage conscience des problemes lies a l’environnement et au rechauffement climatique, et prend des mesures positives pour economiser l’energie et reduire l’empreinte carbonique des activites humaines.