Un nouveau front s’ouvre dans la bataille des énergies renouvelables : l’utilisation des courants sous-marins.
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Par Armelle THORAVAL
Les hydroliennes ?
Suspendue en l’air et ancrée au sol par ses chaînes, la bestiole ressemble à une sorte d’hydravion privé de ses ailes. Dans l’atelier de SMD Hydrovision, petite société britannique de Newcastle upon Tyne, les turbines tournent doucement, moins de quinze rotations par minute, en sens opposé l’une de l’autre. La bestiole peut bouger, se retourner sur elle-même, tel un insecte qui voudrait voler sur le dos. Ce prototype, au 10e de l’échelle réelle, n’est pas destiné à affronter l’air mais les profondeurs sous-marines. A plus de 25 mètres sous le niveau de la mer mais à moins de 50 mètres. La taille réelle de chaque hélice serait de 15 mètres de diamètre. C’est l’une des innovations sur lesquelles le ministère de l’Industrie britannique compte pour ouvrir un nouveau front dans la bataille des énergies renouvelables, celui de l’utilisation des courants sous-marins et des marées. Sur son ordinateur, Ralph Manchester, le jeune coordinateur du projet, montre la machine fonctionnant dans l’eau : flux ou reflux, la bête, reliée à des pivots de chaque côté, se retourne ; les hélices s’arrêtent momentanément, puis repartent. «Nous ne sommes pas là pour sauver l’humanité, mais pour prouver que c’est économiquement efficace. Le temps est mûr désormais pour investir dans l’énergie de l’océan», dit Ralph.
Un intérêt timide
Dans les statistiques des sources d’énergies renouvelables, on trouve l’hydroélectricité (les barrages), la biomasse (du bois aux déchets), l’énergie éolienne (le vent) ou le solaire. Le pourcentage de l’énergie fournie par les courants sous-marins est encore voisin de zéro. Si cette perspective est examinée aujourd’hui avec un peu plus d’intérêt par les grands producteurs d’électricité, c’est tout de même avec circonspection. L’usine marémotrice de la Rance, entre Saint-Malo et Dinard installation, fixe, coûteuse et dont le chantier a duré sept ans , reste unique au monde à cette échelle. La hausse du coût de l’énergie fossile, le changement climatique et le réchauffement de la planète, l’urgence de trouver des projets nouveaux ont poussé les Britanniques, plus rapides que d’autres, à coordonner leurs efforts pour tester et vérifier tous les projets, encore inaboutis, visant à exploiter la fantastique énergie océanique. Celle-ci peut être destructrice, monstrueuse, quand un tsunami frappe les rivages de l’Asie du Sud. Mais elle est source d’espoir pour les chercheurs. Ses promoteurs les plus enthousiastes estiment que le potentiel énergétique des vagues et des marées pourrait assurer la consommation mondiale d’électricité. La puissance des marées a été évaluée plus rigoureusement à 2,6 térawatts (1). Seul un petit pourcentage pourrait être transformé en énergie.
Si, durant les quinze dernières années, personne n’a parié un kopeck sur le développement de turbines sous-marines, des entreprises pointent désormais leur nez sur ce marché des éoliennes sous-marines, ou plutôt des hydroliennes. Les «moulins à vent» fleurissent rapidement en Europe. Mais ce n’est pas sans susciter la grogne des associations locales de protection de l’environnement et les plaintes du voisinage sur la nuisance sonore ou visuelle. Eole se réveille sans crier gare et l’énergie du vent ne peut s’anticiper. Alors que, si Poséidon a ses rages, l’attraction de la Lune sur les océans garantit les marées, plus ou moins fortes selon la position relative de la Terre, de la Lune et du Soleil et la géographie des côtes. «Cet aspect prévisible est le principal avantage des hydroliennes, même si cela ne peut permettre de produire de l’énergie que 45 % du temps. Les marées sont plus prévisibles également que les vagues, soumises elles aussi au vent. En outre, les turbines sont sous l’eau. C’est moins agressif pour l’environnement que les éoliennes, mais très comparable dans la technologie. Elles bougent et peuvent résister aux pires conditions», explique encore Ralph Manchester.
SMD n’a pas le projet le plus avancé mais probablement le plus souple et, espère l’entreprise, le moins coûteux. Il vient d’être testé au sein du NaREC, un centre de recherche britannique, et soumis aux pires conditions, pour vérifier sa mobilité et sa résistance. A taille réelle, le «Tidel» (nom du système) pourrait fournir 1 mégawatt (MW). «J’estime que 900 maisons pourraient être alimentées à partir d’une unité», avance Ralph. L’ambition serait de pouvoir implanter à 5 kilomètres des côtes des parcs de turbines pouvant produire jusqu’à 100 MW. Le système préconisé par Marine Current Turbines (MCT), un concurrent britannique de SMD basé à Bristol, est moins étonnant et plus proche de l’esprit des éoliennes. De grands pylônes sont arrimés dans le lit de la mer, sur lesquels coulissent les turbines. Le tout fonctionne comme une sorte d’ascenseur. Pour les besoins de maintenance et de réparation, il suffit donc de faire remonter les hélices à l’air. «Il y a dix ans, il était encore impensable de pouvoir développer ce genre de technologie. Maintenant, on peut estimer que cela pourrait fournir un jour de 10 à 30 % de l’énergie mondiale. Ne me prenez pas pour un exalté, mais il y a urgence. J’ai 60 ans. Pendant la durée de ma vie, les émissions de CO2 ont progressé de 10 %. Durant celle de mes enfants, si l’on continue, elles progresseront de 20 %. Or, dès maintenant, nous sommes prêts à démarrer dans ce secteur. La question désormais est politique et économique. Il faudrait parvenir à changer nos modèles mentaux et à calculer la rentabilité sur une longue durée. Par ailleurs le pouvoir politique et les gouvernements ne bougent pas assez vite», estime Peter Frankel, un des animateurs du projet de MCT, qui est soutenu par EDF Energy. Un peu plus avancé que leur concurrent, MCT a implanté une dizaine de ses colonnes à un kilomètre des côtes de Lyndon, un joli village du Devon. Les têtes des mâts, sorte de grosses bouées jaunes, se devinent au large. «Les gens ont très bien réagi et la seule contestation est celle d’une habitante qui s’affirme par principe contre la lumière électrique», note Peter. L’électricité produite n’a pas été reversée sur le réseau. MCT a choisi un lieu d’implantation où le temps peut être détestable, ce qui rend l’accès aux colonnes impossible et l’entretien des turbines infaisable. La société projette donc une nouvelle installation au sud-ouest de Belfast. «Vous ne pouvez pas implanter de tels parcs dans un passage trop étroit comme entre l’île de Wight et Portsmouth, par exemple, car il y a des risques que le courant se détourne ; il faut des marées suffisamment fortes et une météo qui permette une accessibilité suffisante», poursuit Peter.
Pas de financements publics
Les deux entreprises assurent qu’il n’y a aucun risque pour le trafic maritime. Soit parce que les turbines sont implantées très en dessous du tirant d’eau des plus gros bateaux. Soit parce que les mâts sont repérables, comme des phares. Quant à la faune aquatique, la lenteur de rotation des turbines éviterait tout massacre des bancs de poissons. Mais tous les projets prévoient d’approfondir à force d’essais l’étude d’impact sur l’environnement. Parmi les autres problèmes rencontrés figure évidemment l’argent. Sans fonds publics, de petites entreprises ne peuvent pas débourser les 5 ou 10 millions de livres sterling (de 7 à 14,5 millions d’euros) nécessaires à la recherche et à la production de prototypes. Pour Tom Murley, qui surveille ce secteur au sein d’un gros fonds d’investissement, HG Capital, «la technologie n’est pas encore mûre pour y investir». Même point de vue pour Jonathan Johns, patron du secteur des «renouvelables» chez Ernst & Young : «Le système est encore immature, il faut attendre au moins cinq ans.» Le temps que la technologie la plus efficace s’impose.
Une énergie plus élevée
Des investisseurs privés viennent mais pour voir, sans plus. Sans financement public donc, guère d’espoir d’aboutir. En France aussi, Hydrohelix, une société bretonne, tente de lancer un projet voisin de ceux des Britanniques. Le principe de base est identique : utiliser les courants marins liés aux marées en sachant que la densité de l’eau est très supérieure à celle du vent, garantissant donc une énergie plus élevée. Le projet breton a l’allure d’un «collier des mers», une chaîne d’anneaux fixés au fond, avec en leur centre une turbine. En Norvège, l’implantation de colonnes sous-marines alimente quelques maisons du village de Hammerfesten. «Nous savons que seule une ou deux des technologies en compétition subsistera, la plus efficace, la moins coûteuse. Et, à terme, nous aurons, comme dans le secteur des éoliennes, des grands groupes qui domineront le marché», reconnaît Ralph Manchester. D’ici là, il faut tenir.
L’un des objectifs lors du prochain sommet du G8, que présidera Tony Blair, est de parvenir à une réponse concertée pour soutenir ces nouvelles technologies. On a vu à Davos que Blair et Chirac semblaient bien partis pour placer la barre très haut. Jusqu’à proposer des financements communs ?
(1) Encyclopedia of Energy, volume 4, 2004. Un térawatt équivaut à un milliard de kilowatts.
En savoir plus:
– L’avis d’un directeur de recherche du CNRS
– Le site d’un constructeur d’hydrolienne : www.marineturbines.com
– Page Wikipédia sur les Hydroliennes