Dix poncifs sur la richesse
par Patrick Viveret. Ecrivain, philosophe, auteur du rapport ministériel « Reconsidérer la richesse » ( disponible ci-dessous )
La richesse d’un pays n’est pas ce que l’on croit, et surtout pas ce que l’on mesure…Patrick Viveret analyse 10 idées reçues sur la richesse…Il y est question de monnaie, de tiers secteur, d’économie domestique, d’écologie…
1. Le PIB est un bon indicateur de la richesse créée
De la vache folle à l’Erika, de la tempête de décembre 1999 aux accidents de la route ou à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse : toutes ces catastrophes sont des bénédictions pour notre produit intérieur brut ! Les centaines de milliards de francs qu’elles coûtent à la collectivité ne sont pas comptabilisées comme des destructions, mais comme des créations de richesse : dès lors qu’il faut payer des garagistes pour réparer les voitures endommagées, des cimentiers pour brûler les farines animales ou des médecins pour soigner les victimes de la pollution, des valeurs ajoutées monétaires sont enregistrées dans les comptes. Ce qui contribue à gonfler le PIB (produit intérieur brut).
2. Seules les entreprises produisent de la richesse
Notre système économique repose sur la stricte séparation entre, d’un côté, des entreprises considérées comme seules productrices de richesse et, de l’autre, des activités sociales et écologiques financées par prélèvement sur cette richesse. Un tel mythe condamne les associations à quémander leurs moyens d’existence à l’État ou à les rechercher sur le marché, faute de disposer de ressources directement liées aux richesses sociales qu’elles contribuent à créer ou à préserver. En termes de comptabilité nationale, les associations concourent à faire baisser le PIB en développant des activités bénévoles plutôt que rémunérées. Ce système pervers fait des services publics un secteur suspecté en permanence de parasitisme.
3. Les indicateurs de productivité de l’ère industrielle sont toujours valables
Nous disposons d’outils de mesure de la productivité forgés pour favoriser une croissance matérielle de nature industrielle. Ceux-ci s’avèrent largement contre-productifs lorsqu’il s’agit d’affronter les trois grands défis de l’avenir : entrée dans l’ère informationnelle, enjeux écologiques, rôle des services relationnels (éducation, santé…) dans notre développement. Ainsi, en matière de santé, ce qui compte n’est pas le nombre de visites chez le médecin, mais le fait de savoir si l’on est guéri ou, mieux, si l’on échappe à tel ou tel risque. Or, dans la comptabilité actuelle, plus on fait de prévention, plus on casse la croissance (puisqu’on consomme moins de médicaments et d’heures d’hospitalisation) !
4. La monnaie sert d’abord à faciliter l’échange
Exact, mais pour une part seulement. Le mot « payer » vient du latin pacare, qui signifie pacifier et Montesquieu a développé une théorie du « doux commerce » comme alternative à la guerre. Mais, si la monnaie remplit cette fonction lorsqu’elle facilite l’échange entre partenaires, elle devient facteur de violence quand elle se fait outil de domination d’un capitalisme relevant plus de la volonté de puissance que du désir d’échange. Que des personnes désireuses d’échanger et de créer des activités ne puissent le faire au motif qu’elles sont insolvables est en contradiction avec la théorie de la monnaie comme outil d’échange.
5. L’argent reste le fondement de tout système d’échange
Le système d’échange le plus universel entre les êtres humains est en réalité celui du temps. Celui-ci remplit d’autant mieux les rôles d’unité de compte et de moyen d’échange traditionnellement dévolus à la monnaie que ses unités (heures, minutes, secondes) ont l’avantage, contrairement à l’argent, d’être universellement reconnues et invariables. Bref, ce qu’on appelle l’argent, et qui n’est en fait que la » monnaie de marché « , n’est qu’un cas particulier de l’échange de temps. Il serait plus judicieux de dire que » l’argent, c’est du temps » plutôt que » le temps, c’est de l’argent « .
6. C’est la rareté qui fait la vraie valeur d’un bien
Nous définissons la valeur, au sens économique, par la rareté. Mais cette intuition devient fausse lorsqu’elle dénie toute valeur à des biens non rares mais dont la perte serait irréparable : l’air est abondant et gratuit, mais sa disparition condamnerait l’espèce humaine. Ce qui montre que la valeur marchande est un sous-ensemble d’un système de valeurs plus élevé, dont il suffit de simuler la perte pour découvrir l’importance.
7. Les ressources planétaires sont insuffisantes pour satisfaire tous les besoins
La guerre économique actuelle, que l’on nous présente comme liée à des logiques de rareté et de survie, se situe dans un contexte où les besoins fondamentaux des six milliards d’êtres humains peuvent être satisfaits. Les chiffres du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) sont éloquents : il faudrait environ 40 milliards de dollars par an pour éradiquer la faim, permettre l’accès à l’eau potable pour tous, pour les loger décemment et combattre les grandes épidémies. Soit dix fois moins que pour les dépenses mondiales de publicité !
8. L’économie est née de la nécessité d’affecter des ressources rares
Dans la plupart des cas, ce n’est pas la rareté mais l’abondance qui caractérise la nature : que l’on pense à l’abondance des espèces, des cellules et, de manière générale, à la formidable profusion dont témoigne le phénomène de la vie… Loin que l’économie apparaisse comme l’activité de base, condition de toute survie, elle est beaucoup plus, à partir de sa réinvention moderne au XIXe siècle, l’idéologie dominante de la société industrielle.
9. L’économie joue un rôle central dans toutes les sociétés humaines
S’il est un trait commun à la plupart des civilisations, c’est la subordination du travail, de la production et, plus largement, de la sphère économique à des activités ou des valeurs jugées plus fondamentales comme la politique, la culture, la philosophie. Même Adam Smith, le père de notre économie politique, estimait que le vrai rôle de l’économie était, en organisant l’abondance, de réunir les conditions pour construire ensuite une » république philosophique « . Quant à Keynes, il considérait que l’économie devrait occuper, à terme, une place réduite dans l’activité sociale et les économistes accepter que leur rôle ne soit pas plus important que celui des » dentistes « .
10. Il n’y a pas d’alternative au plan international sur ces questions
Dès aujourd’hui, on peut s’appuyer sur un courant de recherche international pour faciliter la transformation de nos systèmes de représentation de la richesse. En témoignent les indicateurs de développement humain et de pauvreté élaborés par le Pnud, ceux de l’Union européenne sur des indicateurs environnementaux et sociaux, le débat récent sur la » responsabilité sociale de l’entreprise » et même certaines études de la Banque mondiale et de l’OCDE sur » le capital social » et le » capital naturel « . Enfin et surtout, l’exigence croissante de la société civile mondiale pousse les acteurs institutionnels et économiques à bouger sur cette question : la rencontre de Québec » globaliser la solidarité « , organisée par les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et le Forum social mondial de Porto Alegre ont tous inscrit la reconsidération de la richesse à leur ordre du jour. Du coup, il devient difficile d’arguer du fait que la France ne saurait s’engager seule dans une stratégie de transformation pour justifier l’immobilisme.
En savoir plus ?
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– Qui fabrique l’argent?