Depuis le 1er janvier 2018, la Chine a décidé de bloquer l’importation de nombreuses catégories de déchets. La Chine est aussi la première usine de recyclage du monde après être la première usine manufacturière du monde ! Cette décision pose de nombreux problèmes tant dans nos pays que là-bas. Analyses des faits !
Une interdiction chinoise d’importation des déchets subie et subite
Depuis le 1er janvier, Pékin a bloqué l’importation de 24 catégories de déchets solides, certains plastiques, papiers et textiles… Cette mesure d’interdiction avait été annoncée seulement six mois plus tôt par Pékin durant un congrès de l’OMC. Les motifs avancés sont écologiques : la Chine doit traiter de plus en plus ses propres déchets avec l’augmentation du niveau de vie chinois !
Six mois c’est un délai très court, autant au niveau industriel que politique, personne n’a eu le temps de s’adapter et cela risque de poser quelques soucis dans les mois, voire les années, qui viennent !
En effet, les industries américaines et européennes s’étaient habitué à faire traiter leurs déchets en Chine et ceci en gros, très gros, volumes. Les raisons économiques sont assez simples. Il y a le coût de traitement réduit en Chine, la forte demande de matière première chinoise et des normes environnementales moins restrictives qu’en Europe ou aux USA. Aussi les portes conteneurs, remplis de produits chinois, pouvaient être mieux rentabilisés lors de leur trajet retour vers la Chine… Puisque la Chine exporte bien plus qu’elle n’importe de produit finis !
Cette interdiction bouleverse donc le marché mondial des déchets qui dispose de très peu de temps pour se retourner. Les industriels européens et américains doivent donc s’adapter… et vite… très vite…
Arnaud Brunet, directeur du Bureau International du Recyclage (BIR) basé à Bruxelles, se désole :
« C’est un séisme, on a toujours l’onde de choc. Cela a mis notre industrie en situation de stress car la Chine est tout simplement le premier marché mondial pour l’exportation de matières recyclables »
Et affirme, à juste titre que :
« Les capacités de traitement ne se déplacent pas comme ça du jour au lendemain, dans l’immédiat l’accumulation des déchets, notamment en Europe, est un risque majeur. »
Les conséquences de l’interdiction ici… et en Chine
L’Union européenne exporte la moitié de ses plastiques triés à hauteur de 85% vers la Chine, c’est donc plus de 40 % des déchets triés européens qui n’ont, aujourd’hui, plus de débouchées ! Les États-Unis eux, ont envoyé en 2016 plus de la moitié de leurs exportations de déchets de métaux non ferreux, papiers et plastiques, soit 16,2 millions de tonnes.
Ainsi l’impact immédiat va être important, selon des estimations « prudentes » du BIR, les exportations mondiales de papier vers la Chine pourraient plonger d’un quart entre 2016 et 2018 et celles de plastiques s’effondrer de 80% en deux ans, passant de 7,35 à 1,5 million de tonnes. C’est autant de millions de tonnes à traiter… ailleurs !
Cette interdiction pose aussi un problème pour les entreprises chinoises de recyclage habituées à des volumes importés très importants qui ne seront pas compensés tout de suite par les volumes internes à la Chine.
Ainsi Hangzhou Jinglian, propriétaire d’une société de traitement des déchets plastiques, Huizhou Qingchun explique que :
« Cela va devenir difficile de travailler, plus de la moitié de notre matière première est importée et la production va donc être réduite d’au moins un tiers »
Il précise avoir dû récemment se séparer d’une dizaine d’employés.
Délocaliser la délocalisation ?
Quelles seraient les solutions alternatives pour les pays riches ? Arnaud Brunet suggère de délocaliser la délocalisation :
« On va chercher des solutions alternatives, essayer d’identifier de nouveaux marchés de substitutions, à supposer qu’ils aient les capacités de traitement : on parle de l’Inde, du Pakistan ou du Cambodge »
Avec comme « scénario-catastrophe » mais hautement probable, la solution que ces déchets soient incinérés ou placés en décharge. En Allemagne, très trieuse de déchets, les premiers effets se constatent déjà moins d’un mois après l’interdiction.
Outre Atlantique aussi : Brandon Wright, porte-parole de la NWRA, fédération américaine des déchets et du recyclage explique :
« Des usines cherchent comment entreposer leurs déchets supplémentaires et certaines les stockent sur des parkings ou sur des sites extérieurs »
Néanmoins certains ont déjà pris les devants, ainsi Brent Bell, un responsable de Waste Management, le premier recycleur nord-américain d’ordures ménagères, affirme que :
« Nous travaillons depuis des années pour nous développer en Inde, au Vietnam, en Thaïlande, et même en Amérique latine. Les investissements récents de plusieurs papetiers américains nous permettent de déplacer les déchets vers ces marchés alternatifs rapidement »
Adapter et améliorer nos filières de traitement actuelles ?
Mais délocaliser la délocalisation est-elle une solution si durable et éconologique que cela ?
Puisque le cas d’interdiction pourrait très bien se reproduire ailleurs ! La solution durable et éconologique ne serait-elle pas d’adapter nos propres capacités de récupération, tri, recyclage et traitement des déchets ? Notamment en France où la « valorisation énergétique », comprenez l’incinération, a été très largement privilégiée depuis des décennies comparativement à nos voisins européens directs (Belgique, Allemagne, Suisse…). Bien évidemment, il faudrait également travailler à la source : c’est à dire de chercher à réduire le volume de déchets ! Cette décision peut être donc une chance pour les industries des pays riches de développer leurs filières de traitement et de mieux valoriser les ressources ! C’est la voie à suivre d’après nous !
Ainsi l’Union Européenne a dévoilé mardi, mais bien tardivement, sa stratégie pour réduire l’utilisation des plastiques à usage unique, avec pour objectif que tous les emballages de ce type soient recyclables d’ici 2030.
Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, explique très justement que :
« Nous devrions utiliser cette décision pour nous remettre en question et nous demander pourquoi nous, Européens, ne sommes pas capables de recycler nos propres déchets »
En effet seulement 30% des déchets plastiques des Européens sont recyclés à l’heure actuelle. Le reste finit incinéré pour produire de l’énergie (39%) ou en décharge (31%).
Une chance pour les industries européennes de valorisation des déchets
L’occasion se présente donc aujourd’hui de booster les filières de retraitement et créer de nouveaux emplois durables et éconologiques ! Ainsi des entrepreneurs belges proposent via Les Echos :
« Inversons les flux et développons une industrie de transformation des déchets plastiques en Belgique en général et en Wallonie en particulier. Les technologies de tri s’améliorent. On pourrait désormais trier la plupart des types de plastiques utilisés dans les emballages. Investissons dans des centres de tri de pointe, ainsi que dans des usines de production de recyclats en Région wallonne et à Bruxelles.
Devenons la « poubelle intelligente » de l’Europe. En traitant nous-mêmes non seulement ces 424.000 tonnes de plastiques, mais également une partie des flux des autres pays développés désormais refusés par la Chine. C’est-à-dire, une partie de ces 7 millions de tonnes aujourd’hui bloquées ou en balade. Allons encore un pas plus loin : aujourd’hui, de gros flux de déchets de type PMC (Plastiques Métaux Cartons) quittent la Belgique pour l’Allemagne ou les Pays-Bas, où ils sont mieux triés et recyclés. Construisons les installations ad hoc en Wallonie pour inverser ce courant-là également »
L’occasion pourrait permettre aussi de développer des nouvelles technologies de traitement ou valorisation de déchets, comme la conversion de plastique en carburant. En effet ; des projets de conversion « plastic to fuel » sont dans les cartons depuis quelques années !
Hé bien, il n’y a plus qu’a ! Espérons simplement que certains ne profitent pas de cette interdiction pour légitimer une forte augmentation (durable elle !) des frais de collecte des déchets ménagers…mais rien n’est moins sûr !Christophe Martz. Photos DR.