Quand le dioxyde de carbone se vend à la tonne
Avant la fin de l’année, les entreprises de l’Union européenne pourront négocier leurs « droits à polluer » au European Climate Exchange, une toute nouvelle Bourse du carbone.
Si les forces du marché et l’environnement font rarement bon ménage, un nouveau projet, dévoilé le 7 septembre, va peut-être les réconcilier. Le European Climate Exchange (ECX), filiale du Chicago Climate Exchange (CCX), qui a passé un accord de coopération avec l’International Petroleum Exchange (IPE) de Londres, permettra aux entreprises européennes de négocier des crédits d’émission de gaz à effet de serre. Cette nouvelle Bourse a vu le jour sous la pression de la réglementation. Car, en janvier prochain, l’Union européenne appliquera de nouvelles règles destinées à réduire les émissions de dioxyde de carbone, l’une des causes du réchauffement de la planète. Les entreprises des vingt-cinq Etats membres auront l’autorisation d’en émettre une certaine quantité. En cas de dépassement, elles auront la possibilité d’acheter des crédits à des firmes qui n’auront pas atteint leurs quotas. L’ECX prévoit de permettre d’ici à la fin de l’année la négociation de contrats à terme pour les crédits d’émission, les produits cash suivant peu après. Des mécanismes de ce genre existent déjà, sous une autre forme. Neuf maisons de courtage facilitent ainsi les opérations de gré à gré. L’une d’elles, Evolution Markets, estime que le volume échangé est passé de 25 000 tonnes de dioxyde de carbone en janvier à 600 000 en juillet. En outre, certaines entreprises négocient directement entre elles. Mais il faut replacer ces chiffres dans leur contexte : à elle seule, l’Allemagne produit par exemple plus de 800 millions de tonnes par an. « On commence tout juste à avoir un marché suffisamment liquide », commente Stian Reklev, de Point Carbon, une société d’analyse norvégienne.
Les marchés à terme peuvent dérouter les novices
Les Etats-Unis, où le CCX a démarré ses activités l’année dernière, semblent avoir pris du retard. Malgré l’intervention de quelques entreprises prestigieuses (notamment Ford, IBM et Dow Corning), le volume des échanges reste modeste, pour un pays qui émet sans doute le quart des gaz à effet de serre dans le monde. Si les vendeurs sont nombreux, les acheteurs se font bien plus rares, aussi 1 tonne de CO2 se négocie-t-elle environ 1 dollar, contre 10 dollars [8,50 euros] en Europe. Cela tient au fait que le marché américain n’a pas été stimulé par la réglementation. Les Etats-Unis, qui à la différence du Vieux Continent n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto sur les changements climatiques, n’obligent pas les entreprises à limiter leurs émissions. Néanmoins, le CCX semble miser sur une évolution de la situation. De fait, neuf Etats du nord-est du pays réfléchissent à un système de marché fermé dit de cap and trade [plafonds et échanges] comparable à celui mis en place par les Européens. Le CCX annonce également le début prochain des échanges de droits d’émission de dioxyde de soufre, qui provoque les pluies acides. Mais, pour l’heure, le CCX place de grands espoirs dans sa nouvelle filiale européenne. Le volume des échanges sur l’ECX et ailleurs devrait s’envoler dès le démarrage du système. A l’horizon 2007, estime M. Reklev, les transactions sur les droits d’émission atteindront 10 milliards d’euros, contre 65 millions cette année. Mais des difficultés sont à prévoir. En effet, de nombreux participants seront novices dans ce domaine : si les entreprises énergétiques possèdent une longue expérience en matière d’opérations de couverture à l’IPE de Londres et d’autres Bourses, d’autres risquent d’avoir du mal à se familiariser avec les transactions à terme. L’ECX sera également soumis à une rude concurrence. Des courtiers comme Evolution Markets, déjà présents sur le marché, entendent bien défendre leur territoire. D’autres Bourses envisagent de se jeter aussi dans la mêlée. Ainsi, le European Energy Exchange de Leipzig, spécialisé dans l’électricité, annonce la création dans quelques mois d’un marché cash pour les émissions de CO2. Nord Pool, le marché de l’électricité nordique, et la Bourse de l’énergie autrichienne ont des projets de même nature. Reste à savoir s’il y aura de la place pour tout le monde…