Quels seront les carburants de demain pour nos voitures: les limites des agro et biocarburants? par O.Daniélo
Billet rédigé pour The human Network (Cisco).
Merci à Marguerite de Durant ainsi qu’à Thibault Souchet de SpinTank.fr pour leur collaboration (BFM TV etc.).
Christian Matke (Chili) traduit actuellement ce texte en espagnol.
Un débat sur ce thème fait suite à un billet d’Isabelle Delannoy sur son blog.
Un débat sur le forum Econologie (« Le pour et le contre de la voiture électrique »)
Un débat sur le forum Air-Car-Concept (forum qui porte sur les voitures à air comprimé)
De Singapour à Los Angeles, de Paris à Mexico, les citadins du monde entier sont aujourd’hui asphyxiés par la pollution automobile. Les fameux et fumeux moteurs à combustion interne des véhicules actuels posent de sérieux problèmes au niveau sanitaire, ils émettent des particules et des gaz toxiques et sont très bruyants. Selon la commission européenne, plus de 400 000 européens meurent prématurément chaque année à cause de la pollution atmosphérique, et cette pollution [1] a également un impact sur la productivité des travailleurs, impact dont les conséquences se chiffreraient à plusieurs milliards d’euros. La pollution automobile tue davantage que les accidents de la route. De plus, ces moteurs thermiques ont intrinsèquement un rendement très faible, 20% en cycle d’usage des automobilistes (18% pour le moteur essence, 23% pour le moteur diesel; au laboratoire, dans des conditions idéales, des rendements un peu plus élevés ont été obtenus). Cela signifie que quand vous achetez un litre de carburant, seul un cinquième de ce litre fera effectivement avancer votre véhicule, le reste sera perdu. Intéressant pour celui qui vend le carburant, beaucoup moins pour celui qui l’achète…
Qu’attendre des agrocarburants ?
Concernant la voiture qui roulera demain sur nos routes, certains fondent leurs espoirs sur les agrocarburants. Rappelons que pour obtenir des agrocarburants, il faut faire pousser des plantes! Or les plantes (céréales, oléagineux, arbres, etc.) ont un rendement de conversion de l’énergie solaire en énergie chimique (biomasse) inférieur à 1%. Quelle que soit la filière envisagée, que ce soit pour les agrocarburants de première ou seconde génération, et quels que soient les agents ou procèdés utilisés pour la transformation (bactéries, champignons, termites, enzymes, pyrolyse, gazéification, fermentation éthanolique, trans-estérification etc…), cette limite physique en amont est incontournable, même avec les OGM les plus performants qui, par ailleurs, ne sont pas forcément souhaitables. L’énergie ne se crée pas, elle se transforme (premier principe de la thermodynamique). Ajoutons qu’une fois la biomasse obtenue, il faut la collecter puis la transformer en agrocarburant, d’où une consommation énergétique très importante et parfois presque égale au contenu énergétique de l’agrocarburant obtenu… Enfin, de nouvelles pertes se produisent inévitablement au niveau du moteur thermique. Qu’il tourne avec de l’essence ou avec de l’éthanol cellulosique, avec du pétro-diesel ou avec de l’agro-diesel, le rendement d’un moteur thermique reste faible. |
Le bilan global de la chaîne énergétique « du soleil à la roue » est de 0,08% avec les agrocarburants, soit 100 fois moins qu’avec la filière solaire-voiture électrique [4]. Même si le rendement du moteur thermique était multiplié par 2 dans les 20 à 30 ans à venir, le bilan global de la chaîne resterait très bas. Comme souligné dans le rapport « Agrocarburants et Environnement » publié fin 2008 par le Ministère de l’écologie, « Les agrocarburants se situent dans la zone des rendements les plus faibles, ils sont de fait limités par le rendement de la photosynthèse qui est très faible (<1%). La troisième génération, utilisant des algues, restera largement moins efficace que les solutions « électriques » quelles qu’elles soient, notamment l’utilisation de l’énergie solaire. » 5
Un rendement aussi médiocre a des conséquences importantes sur le plan environnemental et social: il signifie qu’il faut cultiver des surfaces considérables. Pour remplacer les 50 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) brûlés chaque année dans les transports en France, il faudrait cultiver en colza 120% de la surface totale de la France ! [6] L’équation est intenable; les surfaces nécessaires étant immenses, on assiste dans les pays qui développent massivement les agrocarburants, comme par exemple l’Indonésie [7] ou le Brésil [8], a des pratiques déplorables : utilisation de terres qui étaient destinées aux cultures alimentaires, expropriation des petits propriétaires terriens, déforestation massive qui conduit à des conséquences dramatiques sur le plan de la biodiversité. De plus, et on l’oublie trop souvent, les cultures sont de grandes consommatrices d’eau douce, une ressource précieuse de moins en moins disponible dans de nombreuses régions de la planète et la population mondiale augmente. Enfin, de grandes quantités de pesticides (photo ci-contre) et d’engrais sont utilisées dans les cultures énergétiques et leur impact environnemental est également préoccupant (pollution chimique de l’eau, eutrophisation etc.). Une étude publiée dans la revue Environmental Research Letters le 13 janvier 2009, réalisée dans 238 pays, états ou territoires sous la direction de Matt Johnston et portant sur 20 espèces cultivées a démontré que l’on surestimait jusqu’à présent d’un facteur 2 les rendements en éthanol obtenus par de nombreuses plantes: maïs, blé, sorgho, orge, manioc, betterave sucrière; même chose pour les rendements en huile concernant Jatropha, noix de coco, arachide, tournesol, colza etc. [9 et 10]
Le département Energie et atmosphère de l’université de Stanford a publié fin 2008 une étude multicritère 11 permettant de comparer sérieusement les différentes énergies renouvelables susceptibles de répondre aux besoins du secteur transport. Critères utilisés: émissions de CO2, consommation en eau douce, pollution chimique, surfaces utilisées, impact sur la biodiversité etc. Il ressort de cette étude majeure que les agrocarburants ont le bilan le plus médiocre. A noter que la combustion des agrocarburants pose des problèmes sanitaires sérieux, ce qui est tout sauf négligeable [12]. Les agrocarburants ne doivent donc être utilisés en substitution au pétrole que pour les applications où l’on ne peut pas faire autrement : les avions long courrier par exemple. Les carburants micro-algaux (qui restent cependant aujourd’hui très onéreux, 10 euros le litre selon l’équipe de recherche Shamash) offrent des perspectives intéressantes pour ce type d’application. Aucune évaluation de l’impact environnemental de ce genre de culture n’a cependant été effectuée à ce jour. Les entreprises qui développent ces technologies ont pour la plupart recours a des micro-algues génétiquement modifées. Que se passera-t-il si ces micro-algues OGM se retrouvent dans la nature ?
Il existe des plantes qui poussent en zone aride. C’est le cas par exemple de Jatropha curcas. Mais ces plantes, malgré leur résistance remarquable, sont des êtres vivants comme les autres: sans apports en eau et en engrais, elles survivent, et ont une productivité faible. Des expériences ont été menées il y a plusieurs années en zone aride avec la variété mexicaine de Jatropha curcas par des ingénieurs agronomes mexicains. Conclusion des expérimentations: sans apport d’eau réguliers, les rendements sont extrèment faibles, non rentables. Et l’eau est une ressource précieuse en zone aride…On assiste aujourd’hui, dans des régions pauvres voir très pauvres, à la mise en culture en masse de bonnes terres avec Jatropha curcas, terres où l’on peut cultiver des plantes alimentaires. Le ricin, une plante, comme Jatropha curcas, de la famille des euphorbiacées est par exemple cultivée aujourd’hui en Ethiopie, à la place des cultures alimentaires! Le réseau international d’accès aux énergies durables dénonce les conséquences de ces pratiques pour les populations locales [ Ethiopie : des paysans échaudés par les promesses des biocarburants 13]. La culture de Jatropha curcas ou, mieux, de l’arbre fixateur d’azote Pongamia pinnata (pongamia pinnata), a un intérêt pour les populations défavorisées qui ne peuvent pas, par exemple, acquérir des panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité. (pongamia pinnata) Avec l’huile, ces populations peuvent alimenter un groupe électrogène. L’électricité obtenue permet de répondre à des besoins de base: produire du froid pour conserver médicaments et aliments, alimenter un ordinateur pour avoir accès à l’information etc. L’huile peut servir à alimenter le moteur d’une pompe à eau ou d’une plateforme multifonctionelle. Elle peut aussi servir comme matière première pour la fabrication artisanale de savon et améliorer ainsi les conditions d’hygiène. Le marin et écologiste breton Jo Le Guen a par exemple monté un projet vraiment pertinent sur le plan social au Burkina-faso, « Vivre au village » [15]. Par contre, en Afrique, en Asie et en Amérique du sud, l’exploitation des terres et des populations locales défavorisées par des compagnies qui vendent l’huile de Jatropha aux USA ou en Europe pour en faire des carburants automobiles est un non-sens total sur le plan social et écologique.
Dans l’univers des agrocarburants, seule la voie de la valorisation des déchets en biogaz reste pertinente. Mais la façon la plus efficace d’utiliser ce biogaz, ce n’est pas de le brûler dans le moteur d’un véhicule spécialement équipé, mais dans une centrale à cogénération qui produit électricité + chaleur, électricité alimentant des voitures électriques. A noter d’ailleurs que si l’intégralité des déchets produits en France (stations d’épuration urbaines et industrielles, décharges, déchets solides et assimilables dont déchets de l’industrie agroalimentaire, digesteurs agricoles) étaient valorisés en biogaz, on obtiendrait 3,3 millions de tonnes équivalent pétrole (SOLAGRO, estimation haute [16]) ; or les besoins des transports sont de 50 Mtep en France.
La suite à venir.
Références et sources
Désormais, il faudra aussi compter sur l’hydrogène solaire produit à moindre coût dans les régions semi-désertiques que l’on peut transformer en « vecteurs énergétiques » beaucoup moins couteux à transporter vers les régions urbanisées.
Ainsi, de l’ammoniaque, du minerai de fer réduit en acier primaire, des molécules hydrocarbonées …
Au quel cas, pour les transports, les chiffres à retenir concernant les rendement de conversion de l’énergie solaire seront beaucoup moins défavorables : en 2020, le rendement des panneaux photovoltaïques atteint déjà couramment 20 %, les carburant de synthèses obtenus seraient donc à 8 voire 10 % de l’énergie solaire de départ.
Ainsi, l’énergie mécanique utile serait à 2, voire 3 %, à comparer aux 10 à 12 % de la filière « tout électrique » à batteries.
Car, il faut bien se le dire, dans bien des cas, le « tout électrique » a de nombreux inconvénients …