COP28 et énergies fossiles : une vérité qui dérange les Émirats Arabes Unis

La COP28 sur le climat se termine aujourd’hui même…Un jour idéal pour publier un article critique sur les COP et particulièrement sur cette 28ieme édition (28 ? Oui déjà !). Dix-sept ans après son documentaire-choc sur le changement climatique (An Inconvenient Truth), l’ancien vice-président américain Al Gore a profité de la tribune de la COP28 à Dubaï pour enfoncer le clou : les pays producteurs d’énergies fossiles – à commencer par celle du pays hôte de la COP – sont les premiers responsables de la tragédie menaçant l’Humanité.

Son intervention à Dubaï était attendue. L’ancien vice-président américain Al Gore –désormais président du Climate Reality Project – s’est reconverti depuis vingt ans dans le plaidoyer en faveur du climat. Ardent défenseur de la sortie des énergies fossiles, sa présence à la COP28 aux Émirats Arabes Unis n’est pas passée inaperçue. Le 3 décembre dernier, comme il l’avait fait à Charm el-Cheikh un an plus tôt lors de la COP27, Al Gore a donc mis le feu aux poudres, épinglant les Émirats Arabes Unis pour leur bilan carbone.

Al Gore dénonce les émissions des Émirats

Invité à prendre la parole dans le cadre de la COP28 organisée à Dubaï, Al Gore a donc repris son bâton de pèlerin. Non sans courage. Il n’a pas hésité à dénoncer l’ambiguïté de la nomination à la présidence de cette COP de Sultan Al-Jaber, le PDG de la société nationale pétrolière d’Abu Dhabi, ADNOC, l’une des plus grosses entreprises émettrices de gaz à effet de serre au monde. Lors de sa conférence d’un peu plus d’une heure, Gore s’est surtout appuyé sur des données scientifiques indiscutables pour déplorer l’hypocrisie de géants des hydrocarbures des pays du Golfe.

Au micro, il a détaillé les informations passant sur écran géant dans son dos, étayées sur les dernières données de Climate Trace, qui décortique les émissions de GES réelles de plus de 352 millions de sites à travers le monde (industrie lourde, énergie, agriculture, transports…) grâce à un réseau de plus de 300 satellites. Le résultat est sans appel pour les Émirats Arabes Unis, le pays voyant même ses émissions bondir de 7,54% entre 2021 et 2022 : « Voici des sites majeurs d’émissions de gaz à effet de serre, montre alors Al Gore. Tout cela, ce sont des sites significatifs d’émissions aux Émirats Arabes Unis. L’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) prétend toujours n’avoir aucune émission de méthane ou autre émanant de son transport de pétrole et de gaz. Mais en fait il y en a ! On peut même les voir depuis l’espace ! » À l’aise devant le public, Al Gore s’est permis plusieurs piques à l’égard du pays organisateur et des propos du président de la COP28 qui avait assuré que les installations émiraties n’émettaient pas de gaz à effet de serre, méthane en tête : « Pourquoi pouvons-nous voir les fuites depuis l’espace s’il n’y en a pas ? », a ironisé l’orateur, dont l’engagement écologiste s’était fait remarquer en 2006 avec le fameux documentaire An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange). Il y dénonçait déjà la « bombe à retardement » sur laquelle nous sommes assis.

A lire aussi:  Protocole de Kyoto: revue de presse

C’était il y a 17 ans.

Juste après son intervention à la tribune de la COP28, Al Gore a enfoncé le clou au micro de Reuters et d’Associated Press. Pour l’ancien vice-président américain, l’Humanité jouait son avenir à Dubaï : « L’industrie des hydrocarbures est beaucoup plus efficace pour capturer les politiciens que pour capturer les émissions. Et aujourd’hui, elle a capturé le processus de la COP lui-même : elle a abusé de la confiance du grand public en nommant le PDG de l’une des plus grandes – et des moins responsables – compagnies pétrolières dans le monde, en tant que président de la COP (ndlr : Sultan Al-Jaber). À l’égard du grand public, il s’agit là d’un abus de confiance dans le processus par lequel les grandes décisions sur l’avenir de l’Humanité sont prises. Le danger auquel fait face l’Humanité est en effet si grave que cette COP constitue un test : elle sera soit un succès, soit un échec. S’il y a un accord pour éliminer progressivement les combustibles fossiles, ce sera un succès. Sinon, ce sera un échec. » Hasard ou coïncidence ce dimanche 3 décembre, le ciel de Dubaï – habituellement bleu azur – était couvert d’une épaisse brume de pollution atmosphérique…

Remise en question scientifique

Le principal accusé, lui, n’a pas vraiment goûté le discours de l’ancien vice-président américain, devenu depuis le début des années 2000 l’un des hérauts de la lutte contre le réchauffement climatique. Patron du fleuron des hydrocarbures des Émirats (ADNOC), Sultan Al-Jaber réfute tout discours pessimiste : « Je ne souscrirai en aucun cas à des discussions alarmistes. Montrez-moi la feuille de route d’une sortie des énergies fossiles qui soit compatible avec le développement socio-économique, sans renvoyer le monde à l’âge des cavernes. » Plus fort encore, selon le dirigeant émirati, il n’existerait « aucune preuve scientifique qu’une sortie progressive des énergies fossiles permettrait de limiter le réchauffement à +1,5ºC d’ici la fin du siècle », conformément aux Accords de Paris de 2015. Pourtant, tous les organes onusiens tirent la sonnette d’alarme sur le sujet. Lors de la COP28, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), y était allé de sa comparaison : « Faire face à la crise climatique nécessite d’aborder le rôle des combustibles fossiles, de la même manière que nous ne pouvons pas discuter du cancer du poumon sans reconnaître l’impact du tabac. » CQFD.

A lire aussi:  Bilan réchauffement et environnement 2004

Cette prise de position d’Al-Jaber a également fait bondir plusieurs représentants de la communauté scientifique. « Il est alarmant de lire que le président des négociations de l’ONU sur le climat – Sultan Al-Jaber – remet en question la science sur la nécessité de mettre fin aux combustibles fossiles, a regretté Cansin Leylim Ilgaz, directeur associé de la campagne mondiale du groupe de défense du climat 350.org. Rapports scientifiques après rapports scientifiques, rédigés par l’Integrated Pollution Prevention and Control (IPPC), l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et d’autres, ont démontré qu’il est urgent de réduire les émissions de 42% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2019, et d’éliminer complètement le charbon, le pétrole et le gaz d’ici 2050 si nous devons rester en dessous de 1,5°C. » Même son de cloche pour Romain Ioualalen, responsable d’Oil Change International, pour qui les « déclarations niant la science du président de la COP28 sont alarmantes et soulèvent de profondes inquiétudes quant à la capacité de la présidence à diriger les négociations de l’ONU sur le climat à un moment où un leadership et une vision claire sont les plus nécessaires ».

Conflits d’intérêts directs

Au-delà de la vision, c’est le discours actuel qui est devenu inaudible. En amont de la COP28, juste avant l’ouverture de la conférence sur le climat de l’ONU à Dubaï, des journalistes d’investigation indépendants du Centre for Climate Reporting et de la BBC ont publié des révélations glaçantes. Selon ces documents inédits, Sultan Al-Jaber n’a pas cherché à avancer masqué, et s’est appuyé sur sa position de président de la COP28 afin de décrocher de nouveaux contrats pour son entreprise pétrolière, ADNOC, en particulier avec la Colombie, le Brésil, la Chine ou le Canada. Sans parler des accréditations accordées à près de 2500 lobbyistes des énergies fossiles pour assister à la COP28.

A lire aussi:  CITEPA: pollution atmosphérique par département en France

Des ombres au tableau que n’a pas manqué de relever Al Gore dans son interview, en marge de sa présentation à Dubaï. « Nous pouvons résoudre la crise climatique, arrêter la hausse des températures, démarrer le processus de guérison en éliminant progressivement le pétrole et le gaz. Mais je sais qu’ils ne veulent pas le faire. […] Sultan Al-Jaber est un gars sympa, un type intelligent. Je le connais depuis des années. Mais il est en conflit d’intérêts direct, n’a pas hésité à tancer l’ancien vice-président des États-Unis. Et je ne suis pas en train de me plaindre ou d’être tatillon : cela touche au cœur même de la question de savoir si le monde aura ou non la capacité de prendre des décisions intelligentes concernant l’avenir de l’Humanité. Honnêtement, quand je regarde le plan d’expansion massif selon lequel ils doivent augmenter leur production de pétrole de 50%, augmenter leur production de gaz [à la fin de la COP28], je leur demande : Ne nous prenez-vous pas pour des imbéciles ? »

La question mérite en effet d’être posée.

En débattre sur le forum du changement climatique

1 commentaire sur “COP28 et énergies fossiles : une vérité qui dérange les Émirats Arabes Unis”

  1. C’est quand même affolant de n’écrire un article qu’exclusivement à charge contre Sultan Al-Jaber, en reprenant des propos/écrits de Al Gore, tout aussi oublieux du fait que les Emirats arabes Unis sont peut-être les plus avancés des pays producteurs d’énergies fossiles vers la diversification de leurs économies, prélude indispensable à leur sortie future de la production d’hydrocarbures fossiles.
    N’avez-vous jamais entendu parlé ( ou lu ) du rôle considérable de l’entité MASDAR depuis une quinzaine d’années, également présidée par celui que vous passer sur le grill ?
    A quoi bon stigmatiser l’un des pays/individus les plus volontaires et dynamiques ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *