Remise en cause de l’étude Price Waterhouse Coopers par David Lefebvre
Une nouvelle étude sur le bilan énergétique des filières bioéthanol de betterave, de maïs et de blé va être réalisée, car un certain nombre d’experts ont remis en cause les méthodes de calcul l’étude Price Waterhouse Coopers Ademe-Direm 2002 qui a pourtant servi de base à la mise en place des filières bioéthanol.
Les bilans énergétiques des filières bioéthanols de betterave, de maïs et de blé biocarburants sont contestés par un certain nombre d’experts. Ils ont reproché à l’étude Price Waterhouse Coopers Ademe-Direm 2002, qui a servi de base pour la mise en place de la filière bioéthanol, de n’avoir pas pris en compte la totalité des coûts énergétiques imputables à la production de ces biocarburants. Une nouvelle analyse plus contradictoire est prévue. Les différents points de discorde portent également sur la fiscalité et donc le coût pour les finances publiques et sur le devenir des coproduits essentiellement des protéines d’alimentation animale.
À première vue, le développement des biocarburants permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre dépendance énergétique par rapport au pétrole. Et la production de biocarburants aurait pour conséquences bénéfiques de créer 24 000 nouveaux emplois à l’horizon 2010, d’ouvrir de nouveaux débouchés pour le blé, la betterave et le colza, et de remplacer les 5,4 millions de tonnes de tourteaux de soja que la France importe chaque année par des coproduits protéiques (drêches et tourteaux). Présentés ainsi, les biocarburants soulèvent donc de l’enthousiasme.
Efficacité énergétique contestée
Pourtant, le développement des biocarburants et plus particulièrement du bioéthanol est contesté par certains experts. Le premier point de discorde touche à l’efficacité énergétique qui est le rapport entre l’énergie restituée par le biocarburant quand on le brûle et l’énergie non renouvelable primaire nécessaire à le produire. L’étude de l’Adème – Direm et du cabinet Price Waterhouse Coopers (PWC), publiée en 2002, estime que brûler l’éthanol de blé et de betterave dégage 2,05 fois plus d’énergie qu’il n’a été nécessaire d’énergie non renouvelable pour leur production, un bilan donc favorable.
Mais une autre analyse, celle de l’association Eden (Énergie Durable en Normandie) et d’un réseau d’associations
spécialisées sur l’effet de serre, estime ce coefficient plus près de 1,43. Et il serait même de 0,98 pour le bioéthanol de maïs, ce qui signifierait que le bioéthanol de maïs nécessite autant ou même plus d’énergie fossile qu’il ne peut en dégager lorsqu’il est brûlé.
Coûts énergétiques de la production
Pourquoi un tel écart dans l’analyse ? Les modes de calcul sont différents. Le bioéthanol représente 43 % de la matière sèche totale produite au champ. Le bioéthanol n’est effectivement produit qu’à partir de l’amidon, mais la plante est également composée notamment de cellulose, de protéines, lesquelles sont destinées à l’alimentation. L’étude PWC n’a donc imputé que 43 % des coûts énergétiques fossiles nécessaires à la production totale. Or l’association Eden estime que le biocarburant doit supporter la totalité des coûts énergétiques, diminués seulement des économies en énergie engendrées par la valorisation des coproduits en alimentation animale en replacement du tourteau de soja.
Ces différences d’évaluation de l’efficacité énergétique sont aussi flagrantes pour le bioéthanol de betterave, 2,05 pour Adème et 1,31 pour Eden, que pour l’ester méthylique d’huile végétale, 2,99 contre 2,19. Selon l’association Eden, la valorisation du bioéthanol en ETBE – un produit de réaction chimique entre le bioéthanol et l’essence, prôné par les pétroliers – plutôt qu’en bioéthanol, diminue davantage encore l’efficacité énergétique. Elle serait ramenée à 1,10 pour le bioéthanol de blé, à 1,03 pour celui de betterave et à 0,88 pour celui de maïs ! À noter enfin, l’efficacité énergétique évaluée par l’association Eden à propos de l’huile végétale brute : elle serait de 3,80.
Compétitivité face au bioéthanol brésilien
Qu’en est-il de la canne à sucre brésilienne? Selon Eden et selon Milton Maciel, un journaliste brésilien spécialiste de la question, l’efficacité énergétique du bioéthanol de canne à sucre brésilienne serait supérieure à 4, ceci en raison des bagasses valorisées en électricité et parce que la canne à sucre demande très peu d’azote. D’où d’ailleurs, un bioéthanol brésilien beaucoup plus compétitif que le nôtre qui pose la question de la compétitivité de notre bioéthanol sur le marché mondial.
Que rétorque la filière face à ces divergences ? Avec les biocarburants de seconde génération, c’est-à-dire la valorisation non seulement de l’amidon mais également des pailles et autres déchets cellulosiques en bioéthanol, et avec la valorisation des coproduits protéiques en une autre énergie plutôt qu’en alimentation animale, la part de matière sèche valorisée en énergie va représenter bien plus que les 43 % actuels, d’où une efficacité énergétique qui sera considérablement améliorée. Mais un tel scénario qui suppose l’exploitation des pailles et donc l’exportation de la matière organique nécessite d’envisager des solutions préventives à la baisse de la fertilité organique et de la stabilité structurale des sols et en tout état de cause d’abandonner la monoculture. Quant à brûler “proprement” des protéines en chaudière, cela pose pour l’instant le problème des émissions d’oxydes d’azote (NOx) très impactant sur l’effet de serre.
Facture pour les finances publiques
Les points de divergences achoppent aussi sur le coût fiscal du bioéthanol. Rappelons que la taxation est de 0,37 €/l de bioéthanol et de 0,59 €/litre d’essence sans plomb. Ce qui suppose donc un manque à gagner pour les finances publiques.
Pour les acteurs de la filière, “la chaîne de production du bioéthanol rapportera quasiment autant en impôts, cotisations sociales, économies de dépenses de santé, d’allocations-chômage et de traitement de la pollution, etc…que ne coûteront les exonérations de TIC (taxe intérieure sur la consommation, ex TIPP)”. Mais pour l’association Eden, le coût de la défiscalisation représente autant de recettes fiscales qui feront défaut à l’État, ce qu’il va chercher à compenser par ailleurs. Ainsi les ménages devront supporter une pression fiscale supplémentaire ce qui ne générera aucun
emploi net. Du côté des experts gouvernementaux, on précise que l’exonération de taxe est amenée à baisser à mesure que les performances de production seront améliorées. La question de la performance va donc se poser pour certaines usines et un peu moins pour d’autres.
Exemple, l’usine Roquette à Beinheim qui tirera son énergie de la géothermie risque d’être particulièrement compétitive. Qu’en
est-il pour d’autres usines en plaine de Champagne ou de Picardie ?
Vers un marché des protéines saturé ?
Le plan gouvernemental prévoit, pour 2010, la production de 3 millions de tonnes de biodiesel, et d’1,1 million de tonnes d’éthanol. Le biodiesel issu de colza et de tournesol devrait générer l’équivalent protéique de 3,4 millions de tonnes de tourteau de soja. Sans compter les protéines de drêches issues de la production d’éthanol. Ce qui, a priori, devrait donc diminuer nos importations de soja d’Amazonie.
Mais, selon l’association Eden, sur les 5,4 millions de tonnes de soja importées, seules trois sont substituables, les deux autres millions de tonnes, en chiffre rond, ne le sont pas car elles sont destinées à l’alimentation des poulets et cette production a besoin d’une source protéique concentrée qui ne peut pas provenir des drêches ou des tourteaux. La solution la plus élégante d’un point de vue énergétique consisterait selon l’association Eden à méthaniser ces coproduits plutôt qu’à les brûler, solution qui aurait par ailleurs le mérite de restituer l’azote au sol – via les effluents de méthanisation – plutôt qu’à l’atmosphère et de redisséminer les minéraux. Pour ce faire, il faudrait que les éthanoleries soient plus petites que ce qui est envisagé actuellement, car les actuels dimensionnements nécessitent un rayon d’épandage des effluents de 100 km, ce qui est bien trop coûteux à gérer.
Le débat sur les bilans énergétiques et gaz à effet de serre des agrocarburants est donc ré-ouvert tant d’ailleurs aux USA et en Grande-Bretagne qu’en France. Un appel d’offre sera donc lancé pour désigner un bureau d’étude chargé d’établir quelle méthode de calcul reflète le mieux l’impact de ces nouvelles filières de production d’énergie sur les émissions de GES, et la consommation de carbone fossile.