Économie et Société: d’une certaine prospérité à une progressive austérité ou de l’État providence à l’État gendarme.
Le débat politique est largement circonscrit au seul domaine de la gestion des intérêts conflictuels des diverses catégories sociales, au travers de formations politiques censées assurer des compromis suffisants pour le maintien de la structure sociale. L’essentiel de l’activité des « experts » se résume à effectuer des commentaires sur les divers personnels politiques et leurs chances de se succéder au pouvoir.
Pour ce qui concerne le message délivré par ces différents acteurs, il est, sur le fond, extrêmement simpliste : la croissance, l’emploi et le chômage, le pouvoir d’achat et la concurrence internationale dans le cadre de la mondialisation, sont les catégories déclinées sous toutes les variations possibles, ce qui suffit à occulter les vraies questions, les plus élémentaires, mais celles auxquelles il n’est pas de réponses dans ce cadre.
Ce qui est incompréhensible pour le simple « bon sens », c’est que l’économie de marché ait réussi à inonder le monde de marchandises sans parvenir à subvenir au besoin de tous, que dans notre pays, l’accès à une aisance matérielle indéniable pour une classe moyenne en expansion numérique continue s’inverse brusquement en tant que tendance, alors que les moyens productifs ne cessent, eux, de progresser. Sur ces points, les experts sont silencieux et se bornent à invoquer une crise assez mystérieuse, dont nous devrions toujours sortir, mais qui persiste néanmoins…
Les crises antérieures, celle de 1929 aux USA (puis dans le monde), celle résultant des destructions de l’après-guerre avaient été surmontées grâce à des politiques interventionnismes : l’état providence était venu à la rescousse du libre jeu des entreprises pour instituer la relance, par l’investissement et la consommation de masse, et il semblait que rien n’arrêterait un processus dont peu de voix s’élevaient alors pour dénoncer les effets indésirables. Pourtant, contre toute attente, et surtout en contradiction avec le positivisme officiel, c’est bien de ce succès que découlent les difficultés actuelles. Certains nourrissent encore quelqu’illusions et croient que de nouvelles politiques d’inspirations keynésiennes débloqueraient la situation, par une demande accrue qui viendrait à la rencontre d’une offre pléthorique ; la direction adoptée est inverse et l’austérité est censée venir à bout des déficits structurels et restaurer une prospérité future et incertaine, au prix de sacrifices présents et très réels.
En réalité, ces deux choix sont aussi inefficaces l’un que l’autre à surmonter les contradictions actuelles. Curieusement, c’est le niveau d’extrême richesse abstraite qui rend très difficile et de plus en plus improbable la réalisation de ce qui sous-tend toute notre économie, l’investissement d’une somme d’argent dans un processus au terme duquel il est possible de récupérer une somme supérieure. Globalement, nous sommes devenus trop riches pour que cette richesse abstraite s’accroisse encore ; en effet, les conditions antérieures se sont estompées : d’une part l’équipement des ménages est réalisé et peu de produits réellement nouveaux apparaissent, d’autre part, l’énorme gain de productivité résultant de l’usage de la micro-informatique réduit toujours plus les emplois, donc le pouvoir d’achat de ceux qui ne peuvent plus vendre leur force de travail sur le marché, ce qui conduit à rechercher de nouveaux gains de productivité pour abaisser les coûts ; c’est une logique efficace considérée à court terme et à l’échelle microéconomique, en revanche, d’un point de vue macroéconomique, c’est une impasse totale, un cercle vicieux qui renforce la cause en voulant échapper aux conséquences. Seule l’industrie financière est parvenue à repousser le déclin, mais sa capacité à maintenir l’illusion est limitée et il n’est rien qui puisse lui succéder pour obtenir un nouveau sursis.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un système, quel qu’il soit, fonctionne différemment selon la phase dans laquelle il se trouve et qu’inférer un comportement futur de l’observation d’un état présent est totalement inadéquat. Il se trouve que, dans le cas qui nous intéresse, un état passager de prospérité apparente (en ce sens qu’il ne se manifesta que localement [1] et temporairement) rétroagit avec l’ensemble du système et n’implique aucunement une amplification perpétuelle du phénomène, comme il était tentant de le croire et comme il y est toujours cru, notamment au travers de ce concept de « sortie » de crise qui sert à justifier la politique d’austérité, la seule politiquement possible eu égard aux rapports de force en présence, puisqu’elle ménage les intérêts de ceux qui la décrète [2]…
En conclusion et bien que le sujet n’ait été qu’effleuré [3], il serait grand temps de répudier ce discours mensonger qui vend aux peuples ce qu’ils veulent entendre, mais qui recouvre une réalité bien différente, et de réaliser l’impasse historique et absolue à laquelle nous sommes parvenus. Ce succès économique, dont il était question, n’a pas seulement préparé les raisons logiques de son effondrement, il a aussi entraîné des effets psychiques puissants en anesthésiant les esprits les plus critiques et c’est ce dernier point qui constitue le vrai danger et le défi à relever : comment s’émanciper de la logique mortifère d’un système que nous avons intégré à un point tel qu’il ne permet plus de vision authentiquement alternative?
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[1] La prospérité française d’après-guerre résultait en bonne part de prélèvements dans les pays colonisés, puis néo-colonisés.
[2] Il ne s’agit que des intérêts apparents, c’est-à-dire tels que la rivalité mimétique généralisée l’instaure : c’est parce que les moins bien lotis admirent les riches (tout en les critiquant au nom de l’équité!) que les riches trouvent la richesse désirable, alors qu’elle n’est que pathétique : l’appétit de richesses est insatiable, car il est une continuelle frustration.
[3] L’angle d’attaque du sujet se limitait ici à une approche essentiellement immanente, c’est-à-dire principalement interne au système ; une déconstruction complète du système et de son fonctionnement serait nécessaire à une compréhension plus solide ; ce n’était pas mon ambition et il faut considérer ce texte comme une introduction et une incitation à des lectures plus ambitieuses.