Les experts donnent l’alarme : les changements survenus dans les écosystèmes continuent d’empirer et compromettent la réalisation des objectifs de développement global
Communiqué de presse du World Resources Institute, 30/03/05
Londres, mars 2005 – une étude décisive publiée aujourd’hui révèle qu’environ 60 % des services fournis par les écosystèmes et qui permettent la vie sur terre – par exemple la fourniture d’eau douce, les stocks de pêche, la régulation de l’air et de l’eau, la régulation des climats régionaux, des risques naturels et des parasites – sont dégradés ou surexploités. Les scientifiques avertissent que les effets négatifs de cette dégradation risquent de s’aggraver de façon significative dans les 50 ans qui viennent.
« Aucun des progrès réalisés pour éradiquer la pauvreté et la faim dans le monde, améliorer la santé des populations ou protéger l’environnement n’est susceptible de durer si la plupart des services fournis par les écosystèmes et dont l’humanité dépend continuent à se dégrader », annonce le Rapport de Synthèse sur l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire (MA) qui résulte de l’étude menée par 1300 experts venus de 95 pays. L’étude établit en particulier que la dégradation en cours des services fournis par les écosystèmes est un obstacle sur la route des Objectifs du Millénaire pour le Développement, objectifs sur lesquels les dirigeants des pays du monde se sont mis d’accord aux Nations Unies en 2000.
Bien que nous n’ayons pas encore toutes les données, les experts peuvent d’ores et déjà affirmer que la dégradation observée de 15 des 24 services fournis par les écosystèmes pris en compte par l’étude accroît la probabilité de changements brusques et qui peuvent affecter sérieusement le bien-être des humains. Par exemple l’apparition de nouvelles maladies, des changements soudains de la qualité des eaux, la création de « zones mortes » le long des côtes, la destruction des zones de pêche, ou encore des bouleversements du climat à l’échelle des grandes régions du monde.
Le Rapport de Synthèse met en lumière quatre conclusions majeures :
• Les humains ont modifié les écosystèmes plus rapidement et complètement au cours des 50 dernières années qu’à tout autre moment de leur histoire. Ils l’ont fait principalement pour répondre à des besoins croissants en nourriture, eau douce, bois, fibres et combustible. Plus de terres ont été converties pour l’agriculture depuis 1945 qu’aux 18ème et 19ème siècles réunis. Plus de la moitié des engrais azotés synthétiques – mis au point en 1913 – utilisés pour l’agriculture l’ont été depuis 1985. Selon les experts, la conséquence en est une perte substantielle et largement irréversible de la diversité de la vie sur la Terre, où 10 à 30 % des espèces de mammifères, d’oiseaux et d’amphibiens sont désormais menacées d’extinction.
• Les changements des écosystèmes qui ont entraîné des gains nets substantiels en termes de bien-être humain et de développement économique les ont obtenus à un prix de plus en plus élevé en termes de dégradation des autres services. Seuls quatre services fournis par les écosystèmes ont vu une amélioration au cours des 50 dernières années : des gains de production pour les récoltes, le bétail et les produits de l’aquaculture, et une séquestration accrue du carbone en vue de la régulation du climat global. Deux services, la production de ressources halieutiques et la fourniture d’eau douce, sont aujourd’hui rendus à un niveau bien inférieur aux besoins actuels, sans parler des besoins futurs. Les experts prévoient que ces difficultés vont diminuer substantiellement les bénéfices que les générations futures peuvent attendre.
• La dégradation des services fournis par les écosystèmes devrait s’aggraver de façon significative durant la première moitié du siècle, ce qui est un obstacle à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Chacun des quatre scénarios pour le futur explorés par les scientifiques au cours de l’étude prévoit bien des progrès en vue d’éradiquer la faim dans le monde, mais ces progrès seront bien trop lents pour réduire de moitié d’ici 2015 le nombre des personnes qui souffrent de la faim. Les experts rappellent d’autre part que des changements des écosystèmes comme la déforestation ont une influence sur l’abondance des pathogènes qui affectent les humains tels que la malaria ou le choléra, ainsi que sur les risques d’émergence de nouvelles maladies. La malaria, par exemple, représente 11 % du fardeau de la santé pour l’Afrique ; si cette maladie avait pu être éradiquée il y a 35 ans, le produit intérieur brut du continent africain serait aujourd’hui de 100 milliards de dollars plus élevé.
• Le défi qui consisterait à renverser la tendance à une dégradation des écosystèmes tout en satisfaisant une demande croissante peut être relevé selon certains scénarios qui impliquent des changements significatifs des politiques et des institutions. Il s’agit cependant de changements importants et les tendances actuelles ne pointent pas dans ce sens. Le rapport mentionne les options disponibles pour conserver ou améliorer certains services fournis par les écosystèmes tout en réduisant les effets pervers ou en augmentant les impacts positifs sur d’autres services. Par exemple, la protection des forêts naturelles sauvegarde la faune et la flore sauvages tout en fournissant de l’eau douce et réduisant les émissions de carbone.
« La conclusion essentielle de cette évaluation est que les sociétés humaines ont le pouvoir de desserrer les contraintes qu’elles exercent sur les services naturels de la planète, tout en continuant à les utiliser pour obtenir un meilleur niveau de vie pour tous » affirme le Conseil de Direction du MA dans une déclaration intitulée Vivre au-dessus de nos moyens – actifs naturels et bien-être humain. « Y parvenir réclamera cependant des changements radicaux dans notre manière de traiter la nature à toutes les étapes de la prise de décision, ainsi que de nouvelles façons de coopérer entre gouvernements, entreprises et société civile. Les signaux d’alarme sont là pour qui veut les voir. Le futur est entre nos mains. »
Le Rapport de Synthèse du MA établit aussi que ce sont les populations les plus pauvres qui souffrent le plus des changements survenus dans les écosystèmes. Les régions qui font face à de graves problèmes de dégradation des écosystèmes – Afrique Sub-saharienne, Asie Centrale, certaines régions de l’Amérique Latine, une partie de l’Asie du Sud et du Sud-Est – sont également celles qui auront le plus grand mal à réaliser les Objectifs du Millénaire pour le Développement établis par les Nations Unies. En Afrique Sub-saharienne, par exemple, le nombre de pauvres devrait augmenter de 315 à 404 millions de personnes d’ici 2015.
« C’est seulement en comprenant notre environnement et comment il fonctionne que nous pourrons prendre les décisions nécessaires pour le protéger. C’est seulement en comptant à leur juste valeur l’ensemble de nos précieuses ressources naturelles et humaines que nous pouvons espérer bâtir un futur durable » a déclaré le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, dans un message qui accompagne la diffusion des rapports du MA. « L ‘Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire est une contribution sans précédent à notre mission globale pour le développement, la durabilité et la paix.»
Le Rapport de Synthèse de l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire est le premier d’une série de sept rapports de synthèse et quatre volumes techniques qui évaluent l’état des écosystèmes du monde et leur impact sur le bien-être humain. Ce rapport est publié avec une déclaration du Conseil de Direction du MA intitulée « Vivre au-dessus de nos moyens – actifs naturels et bien-être humain ».
L’évaluation conduite sur quatre ans a été conçue en partenariat entre des agences des Nations Unies, des organisations scientifiques internationales et des agences de développement, avec des orientations en provenance du secteur privé et des représentants de la société civile. Le financement est principalement assuré par le Fonds Mondial pour l’Environnement, la Fondation des Nations Unies, la Fondation David & Lucile Packard et la Banque Mondiale. Le Secrétariat du MA est coordonné par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
Le MA est reconnu par les gouvernements comme un mécanisme qui permet de combler une partie des besoins d’évaluation de quatre traités internationaux sur l’environnement : la Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique, la Convention de Ramsar sur les Zones Humides, la Convention des Nations Unies pour Combattre la Désertification et la Convention sur les Espèces Migratrices. Le MA a le soutien de 22 des plus grandes organisations scientifiques au monde, y compris la Royal Society du Royaume-Uni et l’Académie des Sciences du Tiers Monde.
Le travail du MA s’opère sous le contrôle d’un conseil de direction de 45 membres, présidé conjointement par le Dr Robert Watson, conseiller scientifique en chef de la Banque Mondiale, et le Dr A.H. Zakri, directeur de l’Institut d’Etudes Supérieures de l’Université des Nations Unies. Le Groupe d’Evaluation qui supervise le travail technique du MA comprend 13 des plus grands chercheurs en sciences sociales et naturelles au monde. Il est présidé conjointement par Madame Angela Cropper, de la Fondation Cropper, et le Dr Harold Mooney, de l’Université de Stanford. Le Dr Walter Reid est le directeur de l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire.