Suite des essais aviation sur le carburant Makhonine réalisés dans les années 1920.
Les Ailes, Journal hebdomadaire de la locomotion aérienne, Paris Jeudi 6 janvier 1927
Rubrique : Comité Français de Propagande Aéronautique PARTIE OFFICIELLE
Essais avec le carburant Makhonine
Au cours d’une réunion du Comité de Direction du C.F.P.Aé., tenue le 17 décembre, a été présenté le compte-rendu des essais accomplis par les compagnies Air-Union et C.I.D.N.A. avec le carburant Makhonine. Ce compte-rendu a été fait par M.Verdurand pour l’Air Union et par M.Lefranc pour la C.I.D.N.A. Le capitaine de frégate Laboureur, adjoint au Services des recherches scientifiques au Ministère de la Marine a donné également d’intéressants renseignements sur les essais entrepris dans la Marine en 1926. Nous avons reproduit jeudi les communications de MM. Verdurand et Lefranc. Elles ont été suivies d’un exposé de M. Makhonine dont nous publions ci-dessous les éléments essentiels.
L’avis de Makhonine lui-même
M.Makhonine invité à donner quelques précisions sur la nature de son carburant, et surtout sur ses possibilités de fabrication et d’organisation industrielle a fait la déclaration suivante :
« Mon carburant actuel est tiré du goudron de houille des huiles lourdes débenzolées dont j’arrive à transformer environ 90% ; le prix n’est guère inférieur à celui de l’essence car la fabrication n’est pas faite en grand ; actuellement, je puis fabriquer 50 tonnes par jour ; sur préavis d’un mois, ma fabrication serait doublée.
Le produit obtenu, c’est là son mérite essentiel, est ininflammable à la température et à la pression ordinaires. Les dernières expériences du Bourget dont vous venez d’entendre le récit, me semblent, à ce sujet, tout à fait probantes.
Ininflammable en dehors des cylindres du moteur, mon carburant est, en outre, stable et non volatil.
Sa densité est très supérieure à celle de l’essence, surtout à celle du type « aviation » et, néanmoins, les expériences ont montré que si le réglage est bien fait, le moteur donne plus de puissance en même temps que l’on constate un gain d’environ 30% sur la consommation.
Une fois la carburation bien réglée, la combustion est pratiquement complète, ne laissant aucun résidu qui vienne encrasser les bougies ou déposer sur la paroi des cylindres. Les pilotes qui ont volé avec mon carburant sont unanimes à dire que le graissage ne laisse rien à désirer et que les « reprises » du moteur sont parfaites.
Envisageons maintenant les perspectives économiques.
La France, sans parler de ses Colonies, importe maintenant, bon an, mal an, deux millions de tonnes d’essence de divers types. Comme cette essence est essentiellement volatile, il serait intéressant de pouvoir apprécier quelle quantité se perd au cours de toutes les manipulations, transvasements, pompages, etc…
Compte tenu de l’économie de 30% que permet de réaliser l’emploi de mon carburant, il me semble bien qu’il suffirait, pratiquement, de 1 million de tonnes de mon carburant pour remplacer largement les 2 millions de tonnes d’essence importées du dehors, achetées avec du dollar et qui ne laissent pas d’être un lourd tribut, payé par ce pays à l’étranger.
Il y a donc là, à première vue une double économie possible ; économie sur la quantité de combustible : un million de tonnes au lieu de 2 millions de tonnes et économie su les achats à l’étranger. Quant à la richesse créée par la fabrication du carburant, en France même, elle se répartirait à l’intérieur, sur l’ensemble du pays, et viendrait contribuer au mieux-être général.
Mais ce million de tonnes « possible » comment se le procurer au meilleur compte ?
Actuellement les huiles de houille ne sont point extraites et recherchées pour elles-mêmes. Dans les usines à gaz et dans les cokeries, on les recueille simplement comme produit secondaire, produit assez intéressant sans doute, puisque les Ponts et Chaussées utilisent de plus en plus le goudron pour l’entretien du réseau routier et que les prix montent en raison même de la demande.
Si l’on veut obtenir le goudron pour lui-même, ce n’est pas dans les usines à gaz, ni dans les cokeries qu’il faut le faire, car ces industries emploient précisément des charbons de 6 et 8.000 calories que l’on est obligé, pour les besoins de la cause, de distiller à haute température. Pour obtenir à bon compte tout le goudron nécessaire, c’est à la mine même qu’il faut aller distiller la houille. Et encore, quelle houille distiller ? Je ne demande que la plus mauvaise, la houille de toute dernière qualité, celle qui ne donne que 2.500 à 3.500 calories et 35% de cendres, celle qui est presque invendable, celle qui, l’an dernier, à pareille époque, était offerte à 45 francs la tonne sur wagon-départ avec un rabais de 4 fr. 50 par tonne pour tout marché de plus de 10.000 tonnes à livrer par an ; cette houille, enfin qui, si elle persiste à la prospection, fait abandonner le filon pour chercher ailleurs.
Sur place, combien vaudrait cette houille ? Distillée à basse température, 5 tonnes de cette houille de rebut donneront un peu plus d’une tonne de goudron, donc environ une tonne de carburant. D’où il ressort que, pour assurer la fabrication du million de tonnes de carburant nécessaire à la consommation annuelle de la France, il ne faudrait que 5 millions de tonnes de cette houille de rebut, soit, en chiffres ronds, 416.700 tonnes par mois et 16.670 tonnes par jour ouvrable, en moyenne. Est-ce impossible à réaliser ?
Les régions houillères de la France sont merveilleusement réparties au Nord, au Centre, dans le Midi et dans l’Est. En traitent la houille sur le carreau même de la mine, et en transformant immédiatement le goudron obtenu en carburant, on réduirait au minimum les manipulations et les transports et la répartition régionale apparaît comme quasi-providentiellement organisée à l’avance même.
Outre les mauvais charbons, il existe encore sur le sol français et des Colonies françaises, des tourbes, des schistes bitumeux, toutes matières facilement exploitables et immédiatement transformables en carburant.
Tous les besoins du pays étant donc largement assurés, qui empêcherait d’exporter au dehors le carburant fabriqué en France, en utilisant au mieux toutes les ressources que je viens d’énumérer et qui sont bien des ressources nationales.
J’ai reçu de nombreuses demandes des pays étrangers et puis dire que l’on achètera tout le carburant que la France voudra bien vendre. La France devient pays exportateur de combustible liquide, quel renversement de situation ce serait et combien heureux !
Et que faut-il pour cela ? Simplement le vouloir ! La matière première existe, abondante, nous l’avons vu.
Les procédés d’extraction du goudron sont connus, il n’y a qu’une industrie à créer, sur place, à la mine.
Avec le carburant à bon marché c’est un essor inconnu donné aux moteurs de toute puissance et à toutes leurs applications, industrielles, agricoles, touristiques.
Troisième essai du carburant (en vol)
Les deux premiers essais sont décrits sur cette page.
La Compagnie « Air Union » nous communique la note suivante : depuis la réunion du C.F.P.Aé., il a été fait de nouveaux essais du carburant Makhonine.
Au cours du premier essai, il a été fait un vol de 3 heures au cours duquel le régime du moteur a varié de 1.840 1.550 tours sans que le pilote touche à l’admission.
Le 21 décembre, un vol de même durée a été entrepris mais a donné des résultats beaucoup moins favorables. Le régime du moteur a baissé progressivement jusqu’à 1.300 tours. A l’atterrissage, on a trouvé les filtres obstrués partiellement par des dépôts solides qui sont dus sans doute à l’action du froid sur le carburant. Celui-ci dépose en effet au-dessous de 5° des cristaux qui paraissent être de la naphtaline.
Au-dessous de 0°, le carburant s’épaissit puis se prend en gelée. Il est possible que les défauts de fonctionnement constatés au cours du dernier essai soient dus à cette circonstance.
La Compagnie Air-Union estime que la découvert de M. Makhonine est du plus haut intérêt parce qu’elle démontre la possibilité d’utiliser dans les moteurs d’avion un carburant qui n’est ni volatil ni inflammable à la température ordinaire.Mais elle estime que l’utilisation de ce carburant exige que les détails d’adaptation des moteurs et surtout des carburateurs soient réalisés par les bureaux d’étude des constructeurs, et soigneusement vérifiés par des expériences au banc d’essai, puis en vol dans toutes les circonstances de température, de pression et de puissance afin de rendre l’utilisation de ce carburant aussi sûre que celle de l’essence.
Faute de procéder selon cette méthode, on risquerait de s’exposer à des accidents aussi graves et plus fréquents que ceux que l’on veut éviter. Etant donné le double intérêt de cette au point de vue de la sécurité en avion, et au point de vue de la fabrication d’un carburant national à partir du goudron de houille, la Compagnie Air-Union souhaite, que les services officiels, invitent au plus tôt les constructeurs à réaliser cette adaptation.
L’utilisation de ce carburant ne sera d’ailleurs possible en exploitation que lorsque le fabricant pourra donner des garanties de constance de sa composition, aussi parfaites que celles qui sont exigées actuellement pour les diverses qualités d’essence utilisées dans les avions.
Des méthodes de contrôle de cette composition devront donc de toute nécessité être mises au point par les services techniques, avant que l’utilisation de ce carburant puisse être envisagé (sic) de façon courante dans les compagnies de navigation aérienne.
En savoir plus:
– Première partie
– Le carburant Makhonine
– Les copies des articles originaux Makhonine
– Article scientifique sur le carburant Makhonine