Présidentielle. Les électeurs de Trump vont regretter de ne pas avoir pris ses menaces au sérieux
Donald Trump ne plaisante pas, contrairement à ce que veulent croire un grand nombre de modérés prêts à voter pour lui. S’il l’emporte le 5 novembre, son second mandat sera bel et bien pire que le premier, affirme ce chroniqueur du “Los Angeles Times”.John F. Kelly, général des Marines à la retraite et ancien chef de cabinet de la Maison-Blanche de Donald Trump, a rompu son long silence pour dénoncer son ancien patron, un homme qui, selon lui, correspond à “la définition générale de fasciste”. D’ordinaire taciturne, Kelly, un conservateur, a été incité à prendre la parole après que
Trump a accusé l’ancienne présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, le représentant Adam B. Schiff et d’autres démocrates d’être “l’ennemi de l’intérieur”, et a dit qu’il déploierait des troupes sur le territoire national pour museler l’opposition. “Faire appel à l’armée pour s’en prendre à des citoyens américains est […] quelque chose de vraiment terrible”, a déclaré Kelly au New York Times.Kelly n’est pas le seul ancien conseiller de Trump à avoir prévenu qu’il vaudrait mieux ne pas confier les codes nucléaires au candidat républicain. Des dizaines de personnes qui ont occupé des postes de responsabilité au sein du gouvernement Trump lui ont emboîté le pas.
Le général Mark A. Milley, ancien chef d’état-major des armées, l’a dépeint comme étant “fasciste jusqu’à la moelle, […] l’homme le plus dangereux pour le pays”. John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale, a estimé qu’il était “inapte à être président”.Ces avertissements de sources qui font autorité – des personnalités éminentes que Trump a autrefois nommées à des postes de haut rang – ont-ils eu un quelconque effet sur ses électeurs à la veille du scrutin ? On ne dirait pas. Pourquoi des millions d’électeurs – dont beaucoup sont des gens très bien, comme pourrait le dire Trump – n’accordent-ils aucune attention aux mises en garde de personnes comme Kelly, Milley et Bolton ?
Trois groupes d’électeursAu fil de l’année écoulée, j’ai écouté des dizaines d’électeurs de Trump décrire les raisons pour lesquelles ils lui restent fidèles. Certains, le noyau dur de ses partisans, approuvent tout ce que profère l’ancien président, jusqu’à ses pires insultes. D’autres reconnaissent que son style les dérange, mais disent le soutenir parce qu’ils espèrent qu’il pourra renouer avec la prospérité et la faible inflation des deux premières années de son mandat.
Mais il y a un troisième groupe, qui inclut beaucoup d’indépendants ainsi que des républicains modérés, et ce sont eux les plus déconcertants. Non seulement ils détestent le style de Trump, mais ils s’inquiètent de quelques-unes de ses prises de position :
sa volonté de démanteler [le système d’assurance-santé] Obamacare, sa menace de déployer l’armée contre les opposants intérieurs, ses barrières douanières tous azimuts, son projet de licencier cinq mille fonctionnaires pour les remplacer par des loyalistes de Maga[acronyme du slogan Make America Great Again].
Pourtant, ils sont nombreux à prétendre que Trump ne concrétisera pas ces promesses, ou qu’il ne le pourra pas. Par exemple, il y a deux semaines, dans un groupe type organisé par l’institut de sondage Engagious, un inspecteur en bâtiment d’Atlanta du nom de Kevin a reconnu qu’il craignait que les barrières douanières de Trump ne provoquent une hausse des prix à la consommation. “C’est une mauvaise idée. Mais je ne pense pas que ça ira vraiment jusque-là. Je pense que ça va coûter trop cher. Ça va être trop difficile sur le plan politique”, expliquait-il, ajoutant qu’il voterait sans doute Trump de toute façon.
“Faille de crédibilité”C’est ce que les spécialistes des sondages appellent la “faille de crédibilité”. Les électeurs entendent ce qu’il dit, mais ils préfèrent l’ignorer – ils pensent que “ce sont juste des mots” ou que quelqu’un va forcément l’empêcher d’appliquer ses idées les plus excentriques. Or cette rationalisation, de la part d’électeurs qui, ce faisant, cherchent à se rassurer, pose deux problèmes.
Le premier, c’est que Trump a déjà tenté par le passé de réaliser l’essentiel de ces promesses. Il a voulu annuler l’Obamacare, mais une poignée de sénateurs républicains modérés se sont dressés sur sa route. Il a émis un décret exécutif censé lui permettre de remplacer des fonctionnaires par des fidèles parachutés, mais son mandat a pris fin avant qu’il en ait eu le temps.
Et quand des manifestants se sont rassemblés en face de la Maison-Blanche, il a appelé les responsables militaires à déployer des troupes et à tirer dans les jambes des contestataires – mais le général Milley et le ministre de la Défense Mark Esper l’en ont empêché.“Quand il se met à parler d’envoyer l’armée contre les gens […], je pense que nous devrions le prendre très au sérieux”, a récemment déclaré Olivia Troye, qui a servi comme assistante de Mike Pence, le vice-président de Trump, à mon collègue Noah Bierman.
“Il a carrément parlé de tirer sur des Américains. J’étais là. […] J’en ai été témoin.”Le second problème de cette “faille de crédibilité”, c’est que, si Trump revient à la Maison-Blanche, il aura davantage de chances de faire ce qu’il veut. Il s’est souvent plaint d’avoir commis une erreur durant son premier mandat en nommant des conseillers comme Kelly, Milley et Bolton, qui considéraient qu’il était de leur devoir de réfréner les impulsions mal avisées du président. En cas de second mandat, il s’entourera sans doute de gens qui lui obéiront sans poser de questions enquiquinantes.
Et il se heurtera aussi à moins d’opposition de la part d’autres institutions. Les républicains du Congrès qui, à l’occasion, avaient freiné Trump quand il était président ont purgé la plupart des modérés dans leurs rangs. Les tribunaux fédéraux pourraient également se montrer plus enclins à le suivre, à cause des juges que Trump a nommés lors de son premier mandat.
Coup de pokerPar conséquent, les républicains modérés et les indépendants qui sont tentés de voter pour lui parce qu’ils espèrent qu’il baissera les impôts ou améliorera la situation économique devraient réfléchir longuement et sérieusement aux risques liés à ce coup de poker.
Quand Trump affirme qu’il ordonnera aux procureurs de poursuivre Joe Biden et “les Pelosi”, il ne plaisante pas. Quand il martèle qu’il punira des entreprises comme Amazon s’il n’apprécie pas leurs opinions, il ne plaisante pas. Quand il dit croire que la Constitution lui donne “le droit de faire tout ce qu’[il veut] en tant que président”, il ne plaisante pas.Et cette fois, il saura mieux comment transformer ses souhaits en réalité. Un second mandat de Trump ne sera pas une répétition inoffensive de la première version. Ses anciens conseillers font tout leur possible pour nous prévenir : ce sera bien pire.
Doyle McManus