États-Unis. Guantánamo ou le “goulag américain” : Trump traite les migrants comme des terroristes
Donald Trump a annoncé qu’il allait placer en rétention 30 000 immigrés clandestins à Guantánamo, dans le cadre de son plan d’expulsion massive des sans-papiers. Cette base navale américaine, qui abrite depuis 2002 une prison militaire où sont incarcérés des ressortissants étrangers accusés de terrorisme, est un symbole de la violation des droits humains.Implantée sur la base militaire américaine de Guantánamo, dans le sud-est de Cuba, la prison destinée aux détenus étrangers accusés de terrorisme [après les attentats du 11 septembre 2001] est connue pour être un royaume de la torture et des mauvais traitements. Pour justifier son existence, l’ancien ministre de la Défense américain Donald Rumsfeld avait dit un jour de Guantánamo qu’elle abritait “les pires des pires individus”.
Ce camp de détention a été surnommé par d’autres le “goulag américain”. “La vie à Guantánamo a laissé sur nos âmes des cicatrices, des difformités”, témoigne un ancien détenu yéménite après des années d’incarcération.
Il fut un temps où même Donald Trump s’indignait des sommes “folles” que les États-Unis dépensaient pour garder enfermés les prisonniers en combinaison orange dans les cages grillagées de Guantánamo.
“Éradiquer le fléau de la criminalité des migrants”Cette semaine, le président américain s’est cependant ravisé. Dans le cadre de sa campagne d’“expulsion massive” des immigrés clandestins, il vient en effet d’annoncer son projet de placer en rétention des dizaines de milliers de “criminels étrangers en situation irrégulière” sur cette base navale des Caraïbes.
Il a indiqué avoir ordonné aux responsables des ministères de la Défense et de la Sécurité intérieure d’aménager “une structure pouvant accueillir 30 000 migrants”, dans “cet endroit dont il est difficile de sortir”, a-t-il ajouté, non sans sarcasme.
“Nous réserverons les 30 000 lits de Guantánamo aux pires criminels étrangers clandestins qui menacent le peuple américain”, a souligné le locataire de la Maison-Blanche. Une mesure qui doit, selon lui, contribuer à éradiquer “une bonne fois pour toutes le fléau de la criminalité des migrants dans nos communautés”.
Cette annonce fait le bonheur des trumpistes. “Le président a 100 % raison de vouloir utiliser Guantánamo”, s’est ainsi félicité le député républicain du Texas, Chip Roy, devant les caméras de Fox News. Le journaliste de la chaîne de télévision ultraconservatrice a pour sa part salué cette idée qu’il juge “créative” et “innovante”.
Vague d’indignationMais l’annonce n’a pas manqué de susciter par ailleurs une vague de colère et d’indignation, aux États-Unis comme dans le reste du monde.
Pour beaucoup, Trump entend ainsi diaboliser davantage encore les immigrés sans papiers en les assimilant aux terroristes présumés envoyés à Guantánamo : le ministre de la Défense de l’époque, Donald Rumsfeld, avait ouvert le camp de détention au début de l’année 2002, trois mois après les attentats du 11 septembre 2001, pour y emprisonner des ressortissants étrangers accusés de terrorisme et alors qualifiés d’ennemis-combattants des États-Unis.
“Ce coup de théâtre politique fait partie de la grande campagne que mène actuellement l’administration Trump pour présenter les migrants comme une menace pour les États-Unis […] et attiser la haine envers eux”, s’inquiète Eleanor Acer, de l’ONG américaine de protection des droits humains Human Rights First.
Pour Vincent Warren, directeur du Center for Constitutional Rights, une organisation américaine de défense des droits constitutionnels, “Trump envoie ainsi un message clair : les migrants et les demandeurs d’asile sont perçus comme la nouvelle menace terroriste, ils méritent donc d’être envoyés à Guantánamo, coupés de toute assistance juridique et sociale, coupés de tout soutien.”
Du “sadisme institutionnel”Les critiques se font encore plus vives en Amérique latine, d’où sont originaires nombre de clandestins susceptibles de finir dans les geôles de Trump. Au Mexique, le quotidien de gauche La Jornada dénonce un “sadisme institutionnel” et une “débauche de violence” conçue pour déchaîner l’agressivité des supporteurs de Trump les plus acharnés. “La réouverture de ce symbole international de violation des droits humains, écrit le journal mexicain, est un signal envoyé aux trumpistes qui pensent que les travailleurs du Sud méritent la même punition que les membres présumés d’Al-Qaida et de l’État islamique.”
Selon Adam Isacson, spécialiste des migrations auprès du think tank latino-américain Washington Office on Latin America, cette initiative de Trump, qui fait la une des médias, participe au discours selon lequel une action militaire est nécessaire pour contrer la menace que constitueraient les migrants, que le locataire de la Maison-Blanche n’hésite pas à qualifier d’“ordures” et d’“animaux” dangereux. “Le but, c’est aussi de terroriser les immigrés de tous les États-Unis, ajoute-t-il. Ils veulent faire peur aux gens afin, pourquoi pas, les pousser à quitter le pays d’eux-mêmes. C’est une opération choc.”
Reste que ce n’est pas la première fois que Guantánamo servirait à enfermer des êtres en quête d’une nouvelle vie aux États-Unis. Dans les années 1990, sous les présidences de George Bush père et de Bill Clinton, des dizaines de milliers d’Haïtiens et de Cubains ont été placés en rétention dans des camps à ciel ouvert aménagés sur cette base. Ils avaient été interceptés lors du dangereux périple en mer qui devait les mener jusqu’en Floride.
Ces derniers temps, un plus petit nombre de migrants y a été transféré après avoir été arrêtés par les gardes-côtes américains. Ces migrants étaient placés en rétention dans une partie de la base militaire séparée du camp de détention des terroristes présumés, dont 15 sont encore actuellement emprisonnés, contre plusieurs centaines après les attentats du 11 Septembre.
Une zone de non-droitQui Trump compte-t-il envoyer à Guantánamo une fois que le camp de rétention y sera installé ? S’agira-t-il uniquement d’immigrés accusés ou condamnés pour des crimes ou des délits, ou bien de tous les sans-papiers en général ? Ces questions restent pour l’instant ouvertes.
Selon Eleanor Acer, de Human Rights First, le choix de faire une déclaration “extrêmement vague, qui ratisse large”, indique que Trump lui-même ne sait pas précisément qui il vise par cette mesure. Dans sa directive de trois paragraphes, il appelle à prendre “toutes les mesures appropriées” pour agrandir le camp afin de “répondre aux besoins de l’application des lois migratoires”.
Eleanor Acer redoute qu’en déclarant qu’il était “difficile” de sortir de Guantánamo, Trump ait peut-être voulu laisser entendre “que son administration projetait d’y détenir les gens pour une durée indéterminée”. Pendant la “grande guerre contre le terrorisme” du président républicain George W. Bush, “les États-Unis ont emprisonné des détenus à Guantánamo car ils pensaient que ce qui se passait à l’intérieur du camp échapperait à tout contrôle”, rappelle Eleanor Acer.
Aujourd’hui, elle soupçonne Trump de vouloir de nouveau s’en servir comme d’une “zone de non-droit” : “fondamentalement, Guantánamo a été conçu pour empêcher tout contrôle extérieur. Les violations des droits humains passent sous les radars.” Et de conclure : “L’administration Trump fait un pied de nez à la loi et à l’État de droit.”
Tom Phillips