Quel bilan final pour PLEIN de voitures ?
Dans le passage du véhicule à pétrole qui pue et qui pollue au véhicule électrique qui est l’ami des papillons, reste à voir un dernier point de détail : quelle capacité additionnelle de production électrique il faudrait fournir pour électrifier le parc actuel de véhicules terrestres qui ne le sont pas déjà (ceux qui le sont déjà sont les trains, les trams et les trolleys, pour l’essentiel). Pour cela nous allons faire un petit calcul pour la France :
La consommation actuelle des transports est de 54 millions de tonnes équivalent pétrole (1 tonne équivalent pétrole = 11.600 kWh ; voir définitions ici), soit, à énergie finale constante, environ 600 TWh (1 Twh = 1 milliard de kWh).
Dans cet ensemble, environ 5 Mtep vont au transport aérien et maritime, donc les transports terrestres consomment environ 50 Mtep, soit environ 550 TWh. Dans cet ensemble, les véhicules particuliers représentent une grosse moitié (les utilitaires et les camions l’autre moitié).
Un moteur thermique de voiture a un rendement de l’ordre de 20% en moyenne sur carburant consommé (c’est plutôt 40% pour les poids lourds), ce qui signifie que l’énergie mécanique qui sort du moteur est égale à 20% de l’énergie libérée par la combustion du carburant, le reste partant sous forme de chaleur. Le moteur électrique, lui a un rendement de 80% sur électricité utilisée (c’est la même signification), mais…
Le stockage fait perdre 20% environ de l’électricité produite, alors que le stockage de l’essence consomme zéro en première approximation,
les pertes de distribution de l’électricité sont de 8% (de la centrale à la prise basse tension) pour l’électricité, mais plutôt de l’ordre de 2% à 3% pour les carburants,
et pour un véhicule électrique il faut utiliser la batterie pour alimenter les auxiliaires (chauffage en hiver, phares, essuie-glace et désembuage, etc) alors que pour un moteur thermique c’est donné presque gratuitement (notamment le chauffage, qui sur un véhicule électrique en hiver peut quasiment doubler la consommation),
bref le rendement de la chaîne électrique est de 0,8 (rendement du moteur) * 0,8 (rendement du stockage) * 0,92 (rendement de la distribution) * 0,8 (utilisation des auxiliaires) ≈ 50% au total, contre 0,2 (rendement du moteur) * 1 (rendement du stockage) * 0,98 (rendement rendement de la distribution) = 0,2 pour le moteur thermique en première approximation.
la chaîne électrique est donc 2,5 fois plus efficace que la chaîne « carburants », et il faudrait donc un peu plus de 200 TWh électriques pour électrifier la totalité des véhicules routiers actuels à performances identiques (mêmes masses, mêmes puissances, mêmes distances parcourues). C’est en gros la moitié de la consommation électrique française (qui est de 450 TWh environ).
Si on entend produire cette électricité avec du nucléaire, il faut – sans tenir compte de l’optimisation possible des réacteurs existants, notamment avec la charge de nuit, dont je ne sais pas ce que cela peut représenter – rajouter environ 18 EPR (sur la base de 8000 heures annuelles de production à pleine puissance par an et 1,6 GW de puissance installée par EPR), pour un coût d’investissement d’environ 110 milliards d’euros (en 2012) et une durée de vie d’environ 60 ans. A cela il faut ajouter le « renforcement du réseau », parce que passer de 550 TWh transportés à 750 TWh ne se fait pas à réseau constant. Pour donner des bases de comparaison, le PIB français est de l’ordre de 2000 milliards d’euros en 2014, et, sur la base de 100 dollars le baril et 1,3 dollar par euro, l’importation de pétrole pour les carburants routiers nous coûte environ 30 milliards d’euros par an,
Si on entend produire cette électricité avec des éoliennes, il faut installer environ 110 GW de puissance (sur la base de 2000 heures annuelles de production à pleine puissance par an), pour un coût d’environ 150 milliards d’euros (en 2014) à terre, et une durée de vie de 20 à 30 ans. A cela il faut aussi ajouter le « renforcement du réseau », et des capacités de stockage inter-saisonnier car l’éolien produit plus en hiver qu’en été. En pratique il faut augmenter ce coût d’un facteur 3 pour la partie de l’électricité qui a besoin d’être stockée ailleurs que dans les batteries des voitures. Par exemple, installer un kW de station de pompage, une espèce de double barrage qui sert de système de stockage, coûte 5000 ou 6000 euros par kW installé en France, soit bien plus que l’éolienne elle-même.
Si on entend produire cette électricité avec des panneaux solaires photovoltaïques, il faut installer environ 220 GW de puissance (sur la base de 1000 heures annuelles de production à pleine puissance par an), pour un coût d’environ 400 milliards d’euros (en 2016), et une durée de vie de 20 à 30 ans. A cela il faut aussi ajouter le « renforcement du réseau » et des capacités de stockage intermédiaire, comme ci-dessus.
Si on entend produire cette électricité avec des centrales à gaz, sachant que le rendement de ces installations est de l’ordre de 50%, alors il faut importer 450 TWh de gaz pour ces centrales, soit juste 20% de moins… que le pétrole économisé !! (et un coût d’importation de l’ordre de la moitié du coût du pétrole importé). Ces centrales émettront du CO2, certes moins qu’avec du pétrole, mais la décote ne sera « que » de 40%, ce qui ne sera pas suffisant pour diviser les émissions par 4 à 5. Par ailleurs il faudrait installer 30 GW de centrales à gaz (sur la base de 8000 heures de production par an), pour un coût d’environ 15 milliards d’euros (et une durée de vie de 40 ans).
Rappelons que le gaz européen vient à 60% de Mer du Nord, qui a passé son pic de production, et à 20% de Russie, qui ne devrait pas beaucoup augmenter ses exportations vers l’Europe (les « réserves de croissance » en Russie sont situées en Sibérie orientale, et elles iront probablement… aux Chinois).
Si on entend produire cette électricité avec des centrales à charbon, sachant que le rendement de ces installations est de l’ordre de 40%, alors il faudrait importer 550 TWh de charbon – environ 70 millions de tonnes de charbon – par an pour ces centrales, et un coût d’importation de l’ordre de 6 milliards d’euros par an. Il faudrait alors installer 30 GW de centrales à charbon (sur la base de 8000 heures de production par an), pour un coût d’environ 45 milliards d’euros (et une durée de vie de 40 ans). Et en pareil cas les émissions de CO2 dues à la mobilité augmenteraient de 50% !