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C’est une histoire d’enfer et de paradis bien réelle, sur fond de fusion nucléaire. Cela se passe sur Terre, depuis plusieurs mois déjà, et ce n’est toujours pas à la une du journal ! Bizarre…
Pour y voir clair, prenons un de ses fils et tirons dessus pour voir ce qui vient.
Officiellement, les USA ont adopté fin 2005 un programme de rénovation de leur stock d’arme nucléaire, et les anglais viennent de leur emboiter le pas. Le programme US Reliable Replacement Warhead doit sécuriser et fiabiliser les bombes, donc réduire leur nombre et faire des économies… au prix de quelques dizaines de milliards d’euro. Officieusement, ils tirent les leçons d’une découverte presque fortuite des laboratoires Sandia de Los Alamos, heureusement échappée au filtre du « secret défense ». De quoi s’agit-il ?
Depuis des années, les chercheurs des laboratoires militaires américains de Sandia ont pour mission de perfectionner les armes nucléaires US. Dans ce cadre, ils cherchent notamment à tester la résistance des ogives face à des systèmes antimissile type guerre des étoiles, à coup d’irradiation massive de rayons X. Ils ont pour cela construit la « Z machine » et, très progressivement, augmenté les performances de ce générateur de rayon X, jusqu’à obtenir quelques petits millions de degrés. La technique n’est pas un secret et, comme la publication des résultats est totalement banalisée depuis des années, un des chercheurs de Sandia annonce sans rencontrer d’obstacle que la «Z machine» a produit 2 milliards de degrés lors d’une nouvelle expérience, mille fois plus qu’à la précédente ! Laisser sortir une telle info, d’un point de vue militaire, c’est une grosse bavure ; on verra plus tard en quoi. Mais ce n’est pas tout : dans l’expérience, la «Z machine» a sorti plus d’énergie qu’on n’en y avait entré. Pour accomplir un tel prodige, en principe, il n’y a qu’une réaction de fusion nucléaire. Les chercheurs n’en reviennent pas. Pourtant, les gens de Sandia n’ont rien du savant Cosinus : ils ont fait et refait leur expérience avant d’ouvrir le bec sur ce résultat aussi inattendu que stupéfiant. Par ailleurs, d’autres équipes confirment, à coup de simulations numériques. Il faudra patienter pour une confirmation à l’identique : il n’y a pas d’autre machine aussi puissante que celle-là.
L’article original de la Physical Review Letters date de février 2006 mais l’expérience a déjà un an. Les militaires n’ont bien sûr pas tarder à refermer le couvercle, mais c’est trop tard, le lapin est sorti du chapeau. Depuis, les spécialistes US de la bombe sont tellement excités qu’ils n’en dorment plus. Pourquoi ?
2 milliards de degrés, c’est bien plus qu'au centre du soleil (15 millions). Jusqu’à présent, le record de température sur terre était quatre fois inférieur, et encore, au coeur des plus puissantes bombes à hydrogène! Pour qui sait lire, 2 milliards de degrés c’est, au choix, la porte ouverte à l’Apocalypse ou à l’Âge d’Or ; d’un côté des bombes comme des petits pains, de l’autre une énergie abondante et bon marché.
Voyons d’abord l’Apocalypse.
Les militaires US savent lire, même s’ils choisissent de ne lire qu’une ligne sur deux. Pour eux, la « Z machine » vient d’expliquer comment faire une bombe à fusion thermonucléaire enfin propre, en se débarrassant du très salissant détonateur habituel, constitué d’une classique bombe A, à fission, comme à Hiroshima. À la clé, des bombes H pratique, c’est-à-dire utilisable. D’autant plus que celles-là seront sans radioactivité (sauf si on veut en avoir exprès, pour des bombes à neutrons anti-personnels, par exemple), et qu’elles n’auront pas de limitation inférieure de puissance. Jusqu’alors, faire sauter le monde était un jeu d’enfant, mais on ne pouvait pas jouer... Maintenant, on va pouvoir se faire des bombes sur-mesure, pour jouer tous les jours. On a déjà des tas d’idées pour miniaturiser la source d’énergie, par exemple avec des générateurs magnéto-inductifs dérivés de ceux mis au point par Andréi Sakharov, le père de la bombe H soviétique.
Effet secondaire indésirable cependant, cette simplification met la bombe à la portée de n’importe qui. N’ayant plus besoin de passer par la difficile étape de l’enrichissement de l’uranium pour fabriquer le détonateur, tout le monde va pouvoir s’y mettre. Vue du côté de Los Alamos ou de Livermore, les deux grands labos spécialisés, la bombe iranienne est une tentative ridicule, obsolète avant d’être né. Leurs plans pour la nouvelle bombe US sont déjà, depuis le mois de mars, sur le bureau du Conseil chargé des Armes Nucléaires. La nouvelle initiale étant publique, est-il besoin de préciser que la Russie et la Chine en sont sans doute au même point ? De fait, la course aux armements est relancée et la reprise des essais n’est qu’une question de temps.
En France, la grande muette est muette. Il est vrai que la découverte de Sandia arrive chez nous comme un cheveu sur la soupe. Ici, pas moins qu’aux USA, le complexe militaro-industriel n’est pas un vain mot, et pour nos responsables, c’est très gênant. Ils voient d’un mauvais œil une nouvelle remettant radicalement en cause les deux projets phares qui doivent leur assurer une place au soleil pour les années à venir, Mégajoule, à Bordeaux, et ITER, à Cadarache.
Mégajoule veut faire de la fusion à coup de laser en 2010. Il est censé tester notre armement atomique sans explosion. C’est peut-être une bonne idée avec l’ancienne technologie, mais quel soldat voudra se fier à une arme de nouvelle technologie qui n’aurait pas été essayée en vrai ? De toute façon, la course est lancée, il va falloir la faire. Exit donc Mégajoule. En revanche, on doit se frotter les mains au petit Centre militaire d'expérimentation de Gramat, dans le Lot : l’expérience de Sandia n’a pas de mystère pour eux. Ils doivent déjà être en train d’essayer de la refaire mais, chut, c’est secret on vous dit.
ITER est quant à lui notre futur réacteur expérimental à fusion nucléaire. C’est un projet international tellement c’est cher : près de 10 milliards d'euros étalés sur 40 ans, dont 4,5 milliards pour sa construction, à partir de 2008. C’est chez nous que ça va se passer, en Provence. Le traité vient juste d’être signé, le 26 mai 2006. On en est très fier, bien que les grincheux disent que la technologie mise en œuvre est une impasse, dangereuse de surcroît. Pour eux, ITER, serait la machine à vapeur du troisième millénaire ! Même un prix Nobel de physique comme Pierre-Gilles de Gennes crache dessus, l’ingrat. ITER a beau être un trou noir glouton pour le budget de la recherche, il y va de la grandeur du pays et de l’Europe. ITER doit être au cœur de la stratégie énergétique française. D’ailleurs, il n’est plus présenté comme un projet scientifique mais comme un projet de société, avec tennis et piscine pour des milliers de personnes. Un autre Nobel de physique très critique, le professeur Masatoshi Koshiba, l’a bien compris, qui dit "Ce projet n'est plus aux mains des scientifiques, mais dans celles des hommes politiques et des hommes d'affaires". En gros, on irait droit vers un nouveau bide, comme avec SuperPhoenix.
On peut néanmoins se demander quel chercheur scientifique voudra désormais travailler sur ce dinosaure, alors que l’expérience de Sandia montre la voie d’une technologie de fusion plus simple, plus sûre, moins chère…
Là se niche en effet la promesse d’ Âge d’Or de l’énergie sans pollution, pour rien et pour tous. Avec une dizaine d’années de recherches intelligentes, on pourrait mettre les centrales nucléaires au placard ! Qu'est-ce qu'on attend ? Une Z machine, c’est cent fois moins cher qu’un ITER et ça se construit en un an. Les américains préparent déjà la ZP-3, une Z machine spécifiquement dédiée à la production d’électricité par fusion « impulsionnelle », à l’opposé de la voie « en continu » des Tokamaks comme ITER, où l’on peine à entretenir la réaction. Il semble que, le grand pas de l’allumage étant franchi, le reste relève essentiellement de l’intégration de concepts déjà existants et du développement d’une ingénierie ad hoc.
Cher lecteur, tu te dis normalement que c’est trop beau pour être vrai. C’est que tu as du mal à comprendre. Une pincée de science devrait t’aider.
Avec un engin comme ITER, on cherche à obtenir la première réaction de fusion envisageable, celle du Deutérium et du Tritium, accessible à partir de «seulement» 100 millions de degrés. On y est presque, et encore, après 50 ans de recherche. Mais ce n’est pas encore la panacée, à cause des neutrons produit dans la réaction, synonyme de déchets radioactifs.
Depuis l’expérience de Sandia, on sait qu’on a 2 milliards de degrés à portée de main. Ça change tout.
À partir de 500 millions de degrés, on débouche sur la fusion Lithium - Hydrogène (Li7 + H1), comme dans une bombe H. Avec un milliard de degrés, c’est la fusion du Bore B11 avec l'Hydrogène H1. Des substances extrêmement courantes sur Terre. Et pas de neutrons. Juste de l’Hélium pour gonfler des ballons.
Avec cette solution, on aurait "le bore et l’argent du bore"…
Dès lors, l’humanité a le choix. Clairement, on arrêtera pas les militaires. Il faudra faire avec l’Apocalypse. Mais est-ce une raison pour négliger l’Âge d’Or ?
Avant de conclure, relisons ce passage jugé alors très intrigant du discours de Bush sur l’état de l’Union, le 31 janvier 2006 : « I announce the Advanced Energy Initiative - a 22 % increase in clean-energy research - at the Department of Energy (dont dépend Sandia), to push for breakthroughs in two vital areas. To change how we power our homes and offices, we will invest more in zero-emission coal-fired plants, revolutionary solar and wind technologies, and clean, safe nuclear energy. (…) First, I propose to double the federal commitment to the most critical basic research programs in the physical sciences over the next 10 years. »
On comprend mieux ce soudain intérêt pour la recherche physique fondamentale.
Que faire maintenant ? D’abord, branchez les copains et le député du coin. Pas tant contre ITER que pour trouver des crédits. Et réfléchissez : la fusion, ce n’est pas un projet de société, mais un projet de civilisation. Parce que, a priori, l’énergie gratuite, ça ne rapporte rien, donc ça n’intéresse personne. Dans ce cas précis, ça gêne même beaucoup de gens. Pour l’avoir, il va falloir crier très fort.
On peut aussi prier que cette idée-ci ne germe pas dans quelque tête perverse : On fabrique quelques méga-bombes propres, on détruit tout sauf chez nous, et on s'installe chez les autres, qui ne se plaindront pas, puisque qu'ils n'existent plus.... Avec de l'énergie à gogo, facile de tout reconstruire… L'apocalypse ET l'âge d'or.
Eric Muller
L’info brute :
http://www.sandia.gov/news/resources/re ... utput.html