
L'importance de l'annonce est à la mesure de l'ampleur de la crise : Naoto Kan, a déclaré, mardi 10 mai, qu'il renonçait à son salaire de premier ministre du Japon tant que la catastrophe nucléaire n'aurait pas pris fin à la centrale de Fukushima-Daiichi.
Deux mois après le séisme de magnitude 9 et le tsunami géant du 11 mars, la situation est loin d'être revenue à la normale dans la région de Sendai. Si Tepco, l'opérateur électrique chargé du site, pense ramener les réacteurs à l'état d'"arrêt à froid" d'ici janvier 2012, les spécialistes français du nucléaire estiment que les opérations de refroidissement des combustibles prendront plus de temps.
"Il faudra au moins une année pour reprendre le contrôle de la centrale et garantir une absence de rejets radioactifs dans l'environnement, estime Thierry Charles, directeur de la sûreté à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Le personnel va continuer à découvrir des dégâts au fur et à mesure de sa progression dans les installations."
PÉRENNISER LE REFROIDISSEMENT
Dans l'immédiat, la priorité de l'opérateur est la même qu'il y a deux mois : le refroidissement du combustible des quatre premiers réacteurs. "Actuellement, ce sont des pompes de fortune et des camions-citernes qui envoient de l'eau douce dans les cuves des cœurs et dans les piscines, à raison de 6 à 10 m3/h, afin d'abaisser leur température, explique Thierry Charles. L'objectif est de les remplacer par un système de refroidissement fonctionnant en circuit fermé, qui permettra de refroidir l'eau qui sort du réacteur pour la réinjecter directement dans le cœur. L'opérateur évitera ainsi les fuites d'eau contaminée à l'extérieur des réacteurs."
Car aujourd'hui, une partie de l'eau injectée dans les cuves est perdue à cause de fuites dans les installations, tandis qu'une autre s'évapore. Conséquence : près de 90 000 tonnes d'eau fortement radioactive stagnent à divers endroits du site et doivent sans cesse être pompées. Un travail titanesque et surtout intenable à long terme.

Dimanche, une dizaine de techniciens ont réussi à entrer dans le bâtiment du réacteur n° 1 de la centrale pour préparer la mise en place du nouveau système de refroidissement. L'opérateur espère achever ce travail d'ici trois semaines à un mois, selon les médias locaux.
ÉVITER UN RISQUE D'EXPLOSION
En parallèle, Tepco tente de parer une autre menace : une éventuelle explosion de l'un des cœurs de réacteur. Les enceintes de confinement n'étant plus étanches depuis le 11 mars, l'air peut entrer dans le réacteur. Or, celui-ci contient aussi de l'hydrogène, produit par la dégradation des combustibles. Deux éléments susceptibles de déclencher une explosion s'ils interagissent dans des situations de confinement.
"Tepco s'emploie à constamment injecter de l'azote gazeux dans les réacteurs pour saturer leur atmosphère et empêcher l'air de pénétrer par les fuites", rapporte Thierry Charles.
STOPPER LES REJETS RADIOACTIFS
Si les opérations se sont accélérées depuis quelques semaines, c'est qu'elles sont facilitées par une radioactivité qui décroît tous les jours davantage sur et aux abords du site. Le 15 mars, au plus fort des rejets dans l'atmosphère, les doses de radiations atteignaient ainsi une centaine de millisieverts par heure, alors qu'elles oscillent aujourd'hui autour d'une centaine de microsieverts, soit des doses mille fois plus faibles.
Première explication : l'essentiel des rejets radioactifs a eu lieu entre le 15 et le 21 mars, lorsque se sont produites les explosions dans les réacteurs. "Depuis début avril, les rejets sont quasiment maîtrisés. Il n'y pas de nouvelle source d'émission car le combustible refroidit", explique Bruno Comby, ingénieur en génie nucléaire et professeur à l'Ecole supérieure de techniques avancées de Paris.
La radioactivité présente sur le site est donc le fait de rejets émis il y a deux mois. Or, pour l'essentiel, les radioéléments émis étaient de l'iode 131, dont la demi-période – c'est-à-dire la durée qu'il lui faut pour voir sa radioactivité décroître de moitié – est de 8 jours. "Aujourd'hui, l'iode a presque disparu. Il reste essentiellement du césium 137, dont la demi-période est de 30 ans, mais dont l'activité est beaucoup plus faible", poursuit le scientifique.

Les opérations de décontamination ont par ailleurs permis d'abaisser la radioactivité du site. Entre 200 et 300 personnes travaillent ainsi à poser une résine sur le sol pour fixer les éléments radioactifs. "Ils enlèvent aussi méthodiquement les gravats et débris fortement irradiants disséminés autour des réacteurs, ajoute Thierry Charles. Ils ont par ailleurs colmaté les brèches et stoppé les fuites d'eau radioactives vers l'extérieur du site." Afin de protéger les opérations en cours, les salariés sont aussi en train de construire une digue de deux mètres de haut, comme rempart à un nouveau tsunami.
"LES OPÉRATIONS S'ÉTENDRONT SUR VINGT ANS"
"On sort petit à petit de la phase critique mais la situation reste délicate", tempère Bruno Comby. L'ampleur des opérations à mener est en effet considérable. Une fois le nouveau système de refroidissement opérant, Tepco devra s'atteler au démantèlement des combustibles. Or, le site de Fukushima-Daiichi compte près de 25 cœurs de réacteurs, soit 2 500 tonnes d'uranium et de plutonium, réparties entre les cuves et les piscines. "Aux Etats-Unis, lors de l'accident de Three Mile Island, il a fallu douze ans pour enlever le combustible dégradé d'un réacteur. A Fukushima, avec au moins quatre réacteurs endommagés, les opérations s'étendront sur vingt ans minimum", estime Thierry Charles.
Autant de temps où les régions autour de la centrale pourront rester polluées. "Les taux de radioactivité ont beau s'être stabilisés, les sols, nappes phréatiques et aliments sont toujours fortement contaminés, même à une centaine de kilomètres du site", assure Corinne Castanier, directrice de la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité).
Contrairement à ce qui avait été fait à Tchernobyl en 1986, le Japon a évacué près de 80 000 personnes avant les premiers rejets radioactifs. Mais pour l'association, le périmètre de la zone interdite (20 km) reste insuffisant. "Dans les années à venir, déclare Corinne Castanier, nous craignons des conséquences pour la santé bien plus importantes que ce qu'affirme le gouvernement nippon."
Pour aller plus loin :
- Comprendre l'accident de Fukushima en 3 minutes
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