Archéologie

Le mécanisme antique d’Anticythère enfin décrypté ?

Un calculateur astronomique grec d’une incroyable complexité intrigue depuis sa découverte au XXe siècle. Grâce à la tomographie à rayons X, l’équipe de recherche dédiée à cette machine à l’université de Londres en propose une reconstitution d'une précision inédite.

POUR LA SCIENCE N° 533
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Pendant le printemps 1900, le scaphandrier Elias Stadiatis remonta affolé en racontant avoir vu « un tas d’hommes morts nus » et des chevaux. Une violente tempête avait forcé sa goélette à mouiller dans un havre naturel de l’île d’Anticythère située entre le Péloponnèse et la Crète. Une fois le mauvais temps calmé, ce pêcheur d’éponges naturelles explora le fond, tombant sur les restes d’un bateau romain rempli de trésors grecs. Dès novembre 1900, cette découverte – celle de la plus importante épave antique à ce jour – donna lieu à la première grande fouille sous-marine de l’histoire.

Les « hommes morts » étaient des statues antiques. Aujourd’hui, elles occupent pas moins de trois salles et l’atrium du musée national archéologique d’Athènes, de sorte qu’il n’est pas étonnant qu’un amas indistinct remonté en même temps que les statues aient échappé à l’attention. Toutefois, lorsque quelques mois plus tard, cette masse de concrétions marines de la taille d’un dictionnaire éclata en morceaux, des roues dentées en bronze de la taille d’une monnaie et des inscriptions en grec apparurent. Comme la possibilité d’engrenages d’une telle qualité datant d’avant la Renaissance semblait alors (et semble toujours) peu pensable, la découverte provoqua une intense controverse.

L’amas en question est le mécanisme d’Anticythère – on parle aussi de machine d’Anticythère –, un objet qui stupéfie les chercheurs depuis 120 ans. Au cours du xxe siècle, l’amas d’origine s’est fragmenté en 82 morceaux, créant un puzzle en trois dimensions extrêmement difficile à reconstituer. La machine d’Anticythère semble en effet être un calculateur astronomique à roues dentées d’une très grande complexité. Nous avons aujourd’hui une idée plutôt précise de certaines de ses parties, mais des énigmes non résolues demeurent. Nous savons que cette machine est au moins aussi ancienne que le naufrage d’entre 60 à 70 avant notre ère qui l’a amenée au fond de la mer, et, par ailleurs, certains indices poussent à penser qu’elle pourrait avoir été créée vers 200 avant notre ère.

mécanisme Anticythère

Au fil des ans, la masse originale du mécanisme d’Anticythère s’est fragmentée en 82 morceaux. Comprendre comment les assembler fut un véritable défi pour les chercheurs. C’est dans le plus grand fragment (en haut à gauche) que se trouve la roue motrice principale.

© 2005 National Archaeological Museum in Athens

En mars 2021, l’Antikythera Research Team, l’équipe dédiée à l’étude de la machine d’Anticythère que je dirige à l’université de Londres, a publié une nouvelle étude de ce mécanisme. Ses membres comprennent le spécialiste des matériaux Adam Wojcik, celui de l’imagerie Lindsay MacDonald, l’archéométallurgiste Myrto Georgakopoulou, l’horloger David Higgon, le physicien Aris Dacanalis, deux étudiants diplômés et le mathématicien et cinéaste que je suis. Dans notre article, nous proposons une nouvelle restitution des trains d’engrenages – c’est-à-dire des ensembles de plusieurs roues dentées fonctionnant de concert – situés à l’avant du mécanisme, dont l’analyse n’avait pas encore été faite. Ainsi, nous parvenons aujourd’hui à une compréhension nouvelle de la machine qui remet en question beaucoup d’idées sur les capacités techniques des Grecs anciens.

L’astronomie dans l’Antiquité

Nous savons que les Grecs de l’Antiquité étaient rompus à l’observation des astres à l’œil nu. Chaque nuit, alors que la Terre tournait sur son axe, ils observaient la sphère céleste en rotation, ce qui leur donnait

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L'essentiel

La complexité d’un mécanisme à engrenages vieux de plus de 2 000 ans intrigue depuis sa découverte en 1907 près de l’île d’Anticythère.

De nouvelles analyses par tomographie à rayons X complètent notre compréhension du fonctionnement de la machine à partir de ses 82 fragments.

L’étude des trains d’engrenages subsistants conduit à une nouvelle restitution, qui confirme l’ingéniosité de ce calculateur astronomique antique.

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Tony Freeth

Tony Freeth, mathématicien  et logicien de formation,  est aussi un cinéaste. Il dirige la maison de production Images First, qui produit actuellement un film sur la machine d'Anticythère.

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Références

T. Freeth, D. Higgon, A. Dacanalis, et al., A model of the cosmos in the ancient Greek Antikythera Mechanism, Sci. Rep., vol. 11, n° 5821, 2021.

T. Freeth, Revising the eclipse prediction scheme in the Antikythera Mechanism, Palgrave Commun., vol. 5, n° 7, 2019.

J. H. Seiradakis, M. G. Edmunds, Our current knowledge of the Antikythera Mechanism, Nat. Astro., vol. 2, pp. 35-42, 2018.

A. Jones, A Portable Cosmos : Revealing the Antikythera Mechanism, Scientific Wonder of the Ancient World, Oxford University Press, mars 2017.

T. Freeth, L’horloge astronomique d’Anticythère, Pour la Science, n° 389, 2010.

T. Freeth, The Antikythera Mechanism : Challenging the classic research, Mediterranean Archaeology and Archaeometry, vol. 2, pp. 21-35, 2002.

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