Ce texte est une traduction de l’article What the cruise-ship outbreaks reveal about COVID-19, publié sur Nature.com le 26 mars 2020.
Covid-19

Covid-19 : les leçons du « Diamond Princess »

Les environnements fermés, comme les bateaux de croisière, favorisent la propagation du SARS-CoV-2, mais ils constituent aussi un cadre idéal pour étudier le nouveau coronavirus.

diamond princess

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Lorsque le Covid-19 a été détecté parmi les passagers du navire de croisière Diamond Princess, le navire a offert une occasion rare de comprendre les caractéristiques du nouveau coronavirus, plus difficiles à étudier dans la population générale. Certaines des premières études menées sur le navire, où quelque 700 personnes ont été infectées, ont révélé la facilité avec laquelle le virus se propage, fourni des estimations sur la gravité de la maladie et donné aux chercheurs l’occasion d’étudier la part des infections sans symptômes. Selon les spécialistes, les informations recueillies lors de tels épisodes sont cruciales pour ceux chargés de gérer l’épidémie.

« Les bateaux de croisière constituent des conditions d’une expérience idéale avec une population circonscrite. Vous savez exactement qui est là et qui est en danger et vous pouvez examiner tout le monde », explique John Ioannidis, de l’université Stanford, en Californie. C’est très différent de l’étude de la propagation dans une population plus grande, où seules quelques personnes, le plus souvent celles présentant des symptômes graves, sont testées et surveillées.

La croisière ne s’amuse plus

Le 1er février, un passager qui avait débarqué quelques jours auparavant du Diamond Princess à Hong Kong a été testé positif au coronavirus du Covid-19, le SARS-CoV-2. Le navire a été immédiatement mis en quarantaine, dès son arrivée dans les eaux japonaises le 3 février, avec 3 711 passagers et membres d’équipage à son bord. Le mois suivant, plus de 700 personnes à bord ont été infectées, dont une infirmière, et pendant des semaines, le navire a abrité la plus grande épidémie en dehors de la Chine.

Les épidémies se propagent facilement à bord de tels navires en raison de la proximité et de la forte proportion de personnes âgées, souvent plus vulnérables à la maladie. Depuis le Diamond Princess, des cas de Covid-19 ont été détectés sur au moins 25 autres navires de croisière, notamment les 78 cas du Grand Princess, placé en quarantaine au large de la Californie. Les passagers qui ont pu rentrer chez eux ont par ailleurs déclenché des épidémies dans divers pays, notamment aux États-Unis.

Les autorités japonaises ont effectué plus de 3 000 tests sur le Diamond Princess, en commençant par les passagers les plus âgés, puis ceux présentant des symptômes. Certains ont été testés plus d’une fois, ce qui a permis de mieux comprendre la dynamique de propagation du virus. Les tests effectués sur la quasi-totalité des passagers et de l’équipage ont éclairé un point aveugle essentiel dans beaucoup d’épidémies de maladies infectieuses : le nombre de personnes réellement infectées, y compris celles qui présentent des symptômes bénins voire aucun. Dans la population générale, ces cas passent souvent inaperçus.

En utilisant les données du Diamond Princessune équipe dirigée par Gerardo Chowell, de l’université d’État de Géorgie, à Atlanta, aux États-Unis, rapporte qu’au 20 février, 18 % de toutes les personnes infectées à bord du navire n’avaient aucun symptôme. « C’est beaucoup », déclare Gerardo Chowell. Pourtant, les passagers comprenaient un nombre important de personnes âgées, les plus susceptibles de développer une forme sévère quand elles sont infectées, de sorte que la proportion d’individus asymptomatiques dans la population générale est probablement plus élevée, ajoute-t-il.

Une question de gravité

À partir des mêmes données, Adam Kucharski, de la faculté de médecine tropicale, à Londres, et ses collègues ont estimé que la proportion de décès parmi les cas confirmés en Chine, le taux de létalité (noté CFR, pour case fatality rate), était d’environ 1,1 %, un chiffre bien inférieur aux 3,8 % retenus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

L’OMS a simplement divisé le nombre total de décès en Chine par le nombre total d’infections confirmées, détaille Timothy Russell, un des coauteurs de l’étude. Or, complète-t-il, cette méthode ne tient pas compte du fait que seule une fraction des personnes infectées sont effectivement testées, et elle fait donc paraître la maladie plus mortelle qu’elle ne l’est réellement.

L’équipe londonienne a quant à elle utilisé les données du navire, où presque tout le monde a été testé, et où les 7 décès ont été enregistrés, et les ont combinées avec plus de 72 000 cas confirmés en Chine, ce qui rend plus robuste leur estimation du taux de létalité. Notons que ces résultats ne font pour l’instant l’objet que d’une prépublication qui n’a pas encore été validée par des pairs.

L'équipe a par ailleurs estimé le taux de létalité de l’infection (IFR, pour infection fatality rate) en Chine, qui tient compte de tous les cas y compris asymptomatiques et même ceux non diagnostiqués : le chiffre est encore plus faible, à environ 0,5 %. L’IFR est particulièrement difficile à calculer dans la population, car certains décès passent inaperçus quand la victime ne présentait pas de symptômes ou ne s’est pas fait tester.

L’IFR est néanmoins un indicateur important pour éclairer les responsables de santé publique sur la gravité des maladies et la façon d’intervenir, explique Marc Lipsitch, de la faculté de santé publique T. H. Chan de Harvard, à Boston, aux États-Unis. « Il s’agit d’un travail important, mais attention, les infections ont été détectées par des tests viraux. Des personnes infectées mais guéries n’ont peut-être pas été prises en compte » [ndt : elles l’auraient été avec des tests sérologiques ciblant les anticorps dirigés contre le virus, produits par toute personne infectée, même sans symptôme].

Selon John Ioannidis, les études fondées sur les données du Diamond Princess pourraient gagner en précision en incorporant des informations sur les antécédents médicaux des personnes à bord. « Nous savons, ajoute-t-il, que non seulement l’âge, mais aussi la consommation de tabac, des maladies pulmonaires obstructives chroniques, des maladies cardiaques, le diabète… influent sur le pronostic en cas d’infection. »

Quarantaine carabinée en cabine

Gerardo Chowell a aussi étudié l’efficacité des mesures de confinement strictes imposées à bord du Diamond Princess pour réduire la propagation du virus. Avec Kenji Mizumoto, de l’université de Kyoto, au Japon, il a révélé qu’au moment où la quarantaine a été décrétée (le 5 février), 1 personne pouvait en infecter plus de 7 autres. Le taux de propagation était probablement aussi élevé (on l’estime entre 2 et 3 dans la population générale) en raison de l’exiguïté et de la promiscuité à bord. Par la suite, quand les passagers ont été consignés dans leurs cabines pendant au moins 2 semaines, ce nombre moyen de personnes infectées par une autre est tombé en dessous de 1. La quarantaine a sans doute évité beaucoup d’infections, affirme Gerardo Chowell, même si elle n’a pas été parfaite : les passagers pouvaient toujours infecter leurs colocataires et les membres de l’équipage.

Les informations fournies par le navire sur la propagation et la gravité du virus sont précieuses. Mais il est toutefois difficile d’en extrapoler les enseignements à l’échelle de tout pays appliquant de telles mesures de confinement similaires, déclare John Ioannidis. « Un pays entier n’est pas un navire »… même si nous sommes tous sur le même bateau !

Smriti Mallapaty

Smriti Mallapaty est journaliste scientifique basée à Sidney, elle couvre l’actualité en science, agriculture et technologie en Asie.

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Ce texte est une traduction de l’article What the cruise-ship outbreaks reveal about COVID-19, publié sur Nature.com le 26 mars 2020.

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