Vu d’Allemagne. Pendant les JO, le secteur touristique parisien déprime : “Nous sommes loin d’être débordés”
L’essentiel du public des Jeux étant national, les hôtels et restaurants d’ Île-de-France souffrent de l’absence des visiteurs étrangers plus fortunés, qui boudent la capitale cette année. Le principal gagnant pourrait finalement être l’État français, analyse “Der Spiegel”.
“C’est déprimant”, confie Pascal Mousset sans détour. “On attendait tellement de ces Jeux olympiques.” Mais tandis que les athlètes français brillent par leurs exploits, à Paris, les professionnels du tourisme font les frais de cette grande fête du sport.
Au mois de juillet, le chiffre d’affaires du secteur de la restauration a dévissé d’environ 40 % dans la capitale française, d’après Pascal Mousset, président du Groupement des hôtelleries et restaurations Paris-Île-de-France. D’ici à la fin des Jeux, le 11 août, les recettes devraient encore chuter de 25 % par rapport à l’an dernier. Et si la situation s’annonce quelque peu meilleure du côté des hôtels, “nous sommes loin d’être débordés”, remarque-t-il.
Même constat chez les particuliers qui proposent des logements sur les plateformes comme Airbnb. Seuls 12 % des hébergements disponibles sont réservés pendant les deux semaines d’épreuves olympiques. Quant à la compagnie Air France-KLM, partenaire officiel de l’événement, elle anticipe un manque à gagner de quelque 200 millions d’euros.
En économie comme en sport, les gagnants et les perdants ne sont pas toujours ceux que l’on attendait.
Le coup est d’autant plus rude pour les professionnels parisiens du tourisme qu’ils ont l’habitude des saisons fructueuses. La machine tentaculaire des Jeux olympiques et paralympiques – qui suivront à la fin du mois d’août – a fait fuir les visiteurs habituels. D’ordinaire, ils sont des millions à affluer chaque été dans la capitale, l’une des villes les plus touristiques du monde, et à y dépenser sans compter. Or la présence des amateurs de sport ne suffit pas à compenser cette baisse de fréquentation.
“Les chiffres ne sont pas bons du tout”
À l’inverse, le Comité d’organisation des Jeux de Paris, présidé par Tony Estanguet, s’en sort étonnamment bien : une fois n’est pas coutume, le pays hôte n’accuse pas plusieurs milliards de déficit. Au contraire, avec son budget d’à peine 10 milliards d’euros [plutôt 12 milliards, si l’on tient compte des coûts indirects], cette édition s’avère presque bon marché. Le bilan devrait être à l’équilibre, voire excédentaire. En 2012, les Jeux de Londres – sans doute les plus comparables à ceux de Paris parmi les éditions de ces dernières années – avaient coûté quelque 11,4 milliards d’euros.
Mais cette vision d’ensemble est trop abstraite pour Pascal Mousset. C’est le concret qui l’intéresse, la fréquentation des brasseries, des bistrots et des hôtels de Paris et sa banlieue. “Et les chiffres ne sont pas bons du tout.”
Dans les semaines qui ont précédé l’ouverture des Jeux, certains quartiers de la capitale ont pris des allures de ville fantôme, digne de la période Covid ou presque. Les abords de la Seine, notamment, étaient bouclés afin de préparer la somptueuse cérémonie d’ouverture. “Beaucoup d’entreprises ont par ailleurs envoyé leurs salariés en télétravail, si bien que nous n’avons presque plus de clientèle de bureaux pour le déjeuner”, déplore Mousset, qui gère lui-même quatre restaurants parisiens, dont le célèbre Chez Françoise, à deux pas des Invalides.
Au total, plus de 15 millions de visiteurs sont attendus en Île-de-France durant les Jeux. “Mais ces gens dépensent très peu, explique le restaurateur. Il s’agit à 70 % de Français, qui vont voir les épreuves avec leur pique-nique et sont hébergés chez des amis ou des proches.” Cette année, les touristes venus des États-Unis, d’Asie et de la péninsule arabique – une clientèle hautement intéressante, car elle ne regarde pas à la dépense – ont fui la capitale. D’autant plus que de nombreux monuments sont difficilement accessibles, voire fermés, en raison des épreuves organisées en plein cœur de la ville.
L’an passé, les visiteurs étrangers ont contribué pour deux tiers aux recettes touristiques de Paris et sa région, soit 21,7 milliards d’euros environ. Privés de cette clientèle, un certain nombre de restaurateurs – en particulier dans les quartiers centraux – sont désormais contraints de mettre leurs employés au chômage partiel.
La fortune issue de la location, une chimère
La déception se fait aussi sentir du côté des particuliers. Beaucoup se sont montrés trop gourmands : les Parisiens étaient tellement nombreux à espérer faire fortune grâce aux Jeux que l’offre de logements sur Airbnb et Abritel a augmenté autant que la demande sur la période des épreuves. Or, si ces plateformes connaissent bel et bien une hausse de leur activité, les loueurs n’ont pas pu pratiquer les tarifs escomptés, en raison de la forte concurrence. Les prix sont tout de même 1,4 fois supérieurs à la moyenne estivale, selon une étude de l’analyste américain AirDNA. Mais les loyers astronomiques exigés l’an dernier pour les réservations durant la période des Jeux — 800 euros la nuit pour un trois-pièces en banlieue, par exemple – ne sont plus qu’une chimère aujourd’hui.
Dans l’ensemble, les Jeux devraient redonner un petit coup de fouet à l’économie française. Le PIB devrait augmenter de 0,3 point de pourcentage au troisième trimestre 2024, d’après l’Insee. Plus que la fréquentation touristique à Paris, c’est surtout la vente des plus de 10 millions de billets olympiques qui pèse dans la balance, d’après le gouvernement.
Et les pouvoirs publics comptent bien profiter de l’événement pour renflouer les caisses de l’État : d’après le cabinet de conseil Asterès, les Jeux devraient entraîner une hausse de [4,6] milliards d’euros des recettes fiscales et sociales. Auxquels viendra s’ajouter la vente des 2 800 appartements du village olympique au nord de Paris, une fois les épreuves terminées. [Des retombées supérieures] aux près de 3 milliards d’euros de dépenses publiques engagées pour financer l’événement, sur les 9,5 milliards de budget total. Cette estimation ne tient toutefois pas compte de la rémunération des dizaines de milliers de policiers et gendarmes déployés pour l’occasion, ni des 1,4 milliard consacrés à la dépollution de la Seine – avec plus ou moins de succès.
Une stratégie gagnante
La France a fait le pari d’une organisation à petit budget, et la stratégie semble payante. Seuls deux bâtiments neufs – le Centre aquatique [de Saint-Denis] et l’Arena [porte de la Chapelle] – ont été construits pour accueillir les épreuves. Tous les autres sites de compétition sont installés dans des infrastructures préexistantes ou dans l’éblouissant décor de la Ville lumière : l’escrime a lieu au Grand Palais, le beach-volley au pied de la tour Eiffel, l’équitation dans le parc du château de Versailles. De simples tribunes démontables suffisent alors à accueillir les spectateurs, avec à la clé des images spectaculaires retransmises sur les écrans du monde entier. Une belle publicité qui tombe à pic pour Paris et la France, plongés dans une impasse politique depuis le feuilleton des législatives anticipées, qui a rendu les investisseurs frileux.
Pascal Mousset, lui, s’efforce désormais de limiter les dégâts. Le restaurateur espère que les images somptueuses de Paris qui inondent le monde entier attireront des foules de nouveaux touristes dans les années à venir. “Le sacrifice d’aujourd’hui est un investissement pour demain, conclut-il. Et peut-être que quelques lecteurs allemands auront envie de réserver un séjour à Paris à la dernière minute au mois d’août. Les hôtels ne sont pas chers.”
Leo Klimm