https://www.courrierinternational.com/a ... ien_222797Éclairage. Au Liban, des partisans de Nasrallah se sentent abandonnés par le parrain iranien
Certains partisans du Hezbollah accusent Téhéran d’avoir lâché le “parti de Dieu” et son leader en rase campagne face à Israël, raconte le quotidien libanais “L’Orient-Le Jour”. Au nom, pensent-ils, d’une ouverture envers les États-Unis, notamment sur le dossier nucléaire, en vue d’un allègement des sanctions.
Depuis l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, les critiques au sein de la rue chiite fusent vis-à-vis de l’Iran, son parrain. La République islamique est accusée d’avoir “abandonné” le Hezbollah face à Israël, voire d’avoir fomenté un complot contre le parti et son chef.
L’onde de choc créée par l’élimination de celui que l’on considérait jusque-là comme inatteignable et la découverte de l’ampleur et de la précision des renseignements aux mains de l’État hébreu ont alimenté cette thèse.
L’un des premiers à faire circuler publiquement la thèse de la conspiration est le cheikh Mohammad Ali Husseini, un ancien membre du Hezbollah. Deux jours avant la frappe monstre sur la banlieue sud, il a déclaré sur la chaîne prosaoudienne Al-Arabiya, en s’adressant à Hassan Nasrallah :
“Celui qui t’a acheté t’a vendu. Si seulement tu savais ce que l’Iran a dit de toi et l’ampleur des renseignements qu’il a fournis (à l’ennemi, notamment sur les déplacements du secrétaire général et les lieux où il se cache), si tu savais aussi combien ils ont demandé en échange de ton assassinat.”
Des propos qui ont fait depuis le tour des réseaux sociaux.
Mohammad Ali Husseini a quitté le Hezbollah après 2006, lorsque “l’inféodation du parti à l’Iran s’est consolidée”, comme il l’explique lui-même, dans l’une de ses interventions médiatiques. Selon l’une de ses connaissances, qui a requis l’anonymat, “il a par la suite quitté le Liban après avoir obtenu la nationalité saoudienne. Il aurait été enrôlé dans les services de renseignements de Riyad.”
La politique de l’autruche
La thèse d’un abandon du Hezbollah par son parrain iranien est partagée par de nombreux [de ses] partisans. C’est en tout cas ce qui ressort de plusieurs publications sur les réseaux sociaux.
C’est le cas par exemple d’un internaute chiite, qui a ouvertement accusé Téhéran de “trahison”. “C’est l’Iran qui a assassiné Hassan Nasrallah”, martèle le dénommé Ali Kanbar dans une vidéo partagée sur TikTok en s’adressant aux chiites. “Votre problème n’est pas à Aoukar (le lieu où se trouve l’ambassade des États-Unis). Votre problème se trouve à Bir Hassan (le lieu où se trouve l’ambassade d’Iran)”.
Chez d’autres, la colère contre la République islamique est plus atténuée et se manifeste par une grande déception et un sentiment d’abandon. À notre journaliste, une femme chiite déplacée de Khiam (localité du sud du Liban) lance :
“J’en veux tellement à l’Iran. Les Iraniens ont vu comment on se faisait taper dessus. Ils sont partis courir après les États-Unis pour le nucléaire. Ils s’en foutent de nous.”
Soucieux de s’ouvrir à Washington, Téhéran pratique à ce jour la politique de l’autruche en s’abstenant de soutenir le Hezbollah, extrêmement affaibli par les coups qui lui ont été assénés par Israël. Dès le début de cette guerre, le régime iranien manœuvre de sorte à ne pas s’enliser dans une guerre totale qui le placerait en confrontation avec Washington.
“Le sentiment de déception est compréhensible et justifié. L’Iran est préoccupé par la survie de son propre régime. Le message sur X de l’ayatollah Ali Khamenei (le guide suprême iranien) après la mort d’Hassan Nasrallah n’a pas mentionné le soutien attendu”, commente Karim Bitar, politologue.
“L’Iran n’a même pas fait le service minimum”
Les interrogations se multiplient sur l’apathie dont a fait preuve la République islamique à ce jour, en s’épargnant également le risque de venger notamment le leader politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, assassiné en plein cœur de la capitale [Téhéran, le 31 juillet].
Plus en amont, l’élimination en janvier 2020 de Qassem Soleimani, l’influent commandant de l’unité d’élite Al-Qods au sein des Gardiens de la révolution iraniens, a été vengée par une frappe timide sur la base militaire d’Aïn El-Assad [où sont stationnés des troupes américaines] en Irak.
Depuis, la République islamique fait profil bas et semble plus intéressée par extirper son pays du gouffre financier dans lequel il se trouve en tentant de restaurer son image et son statut diplomatique. Aux yeux des plus sceptiques, l’argument de la “patience stratégique”, martelé par Téhéran depuis l’assassinat de Soleimani, semble de moins en moins convaincant.
Cela ne veut pas pour autant dire que l’Iran a décidé de lâcher le Hezbollah. “C’est tout simplement la logique étatique et non plus idéologique qui a pris le dessus. Même si le prix à payer est la vie de Nasrallah”, commente un opposant au Hezbollah qui a requis l’anonymat.
Un avis que partage Karim Bitar avec quelques nuances. “Jusqu’à présent, l’Iran n’a même pas fait le service minimum. Mais le Hezbollah étant leur arme la plus précieuse, leur assurance-vie, ils ne le lâcheront que s’ils obtiennent des concessions significatives”, conclut le politologue.
Jeanine Jalkh
J'ajoute que Jeanine Jalkh n'est ni une copine à Bibi, ni juive, mais reporter libanaise à "L'Orient le Jour".