
Les imposteurs de l’économie | 26 mars 2012 | Par Laurent Mauduit
A la veille du débat que Mediapart organise, jeudi 29 mars au Théâtre national de Chaillot sur le thème « Des économistes au-dessus de tous soupçons ? » en présence de nombreux économistes ou chercheurs, je voudrais apporter ici, par avance, une première pierre à cet échange. Et à cette fin, je voudrais expliquer les raisons qui m’ont conduit à mener une longue enquête sur les économistes français, consignée dans un livre, intitulé Les imposteurs de l’économie (Editions Gawsewitch) à paraître ce même jeudi.
Ce que je vais écrire ici n’engage donc pas les orateurs qui s’exprimeront au Théâtre de Chaillot. Comme il s’agit d’un débat libre, chacun donnera ce jour-là son regard - qui peut être contraire au mien ou le nuancer- sur les menaces qui pèsent sur le monde des économistes et leur l’indépendance ; sur l’honnêteté du débat économique et sur son pluralisme ; ou encore sur les menaces qui pèsent sur l’enseignement de l’économie aussi bien dans le secondaire qu’à l’Université. Mais pour que cette confrontation soit la plus fructueuse possible, sans doute n’est-il pas inutile que je m’explique par avance sur les raisons qui m’ont conduit à mener cette enquête. Et sur les enjeux démocratiques que recouvre, à mon sens, ce débat.
Si j’ai jugé utile de mener ce travail, c’est pour une première raison : ces derniers mois, j’ai été frappé de constater que dans de nombreux pays, à commencer par les Etats-Unis, les économistes les plus médiatisés ont parfois été critiqués. Mais pas en France, ou quasiment pas. Et cette différence de traitement, j’ai voulu chercher à en percer le mystère.
De fait, nul vrai débat ni réelle polémique en France. Malgré la violence de la crise, malgré le cortège de souffrances sociales qu’elle a généré, quelques économistes parmi les plus médiatisés, ceux qui courent micros et plateaux de télévision, ont juste été moqués, de proche en proche, pour leur manque de discernement ou de clairvoyance. Dans les magazines, on a donc vu fleurir, ici ou là, le bêtisier de la crise. On en connaît les héros, puisque tous les économistes connus, ou presque, ont été épinglés. De l’économiste de la banque Natixis Patrick Artus (« La crise est finie ») jusqu’à l’économiste de l’Ecole normale supérieure Daniel Cohen (« La bonne nouvelle c'est que cela ne durera pas plus longtemps »), en passant par l’entremetteur du capitalisme parisien Alain Minc (la crise est « grotesquement psychologique ») ou encore l’économiste Anton Brender (« Les paniques bancaires à l’ancienne ont disparu grâce au dispositif d’assurance des dépôts mis en place pour permettre de les éviter »). Mais ces inepties proférées par les économistes français les plus connus ne les ont condamnés à une abstinence médiatique, même courte: depuis que la crise a commencé, ce sont donc toujours les mêmes experts, même ceux qui se sont le plus gravement trompés, que l’on entend perpétuellement sur toutes les ondes de radio et dans toutes les émissions de télévision.
Aux Etats-Unis, l’affaire a pris une tournure différente. Comme ici, des économistes ont été critiqués pour s’être trompés - mais en vérité qui ne se trompe pas? Mais, surtout, un débat autrement plus grave a été lancé: des économistes parmi les plus connus ont été mis en cause pour leur connivence avec le monde de la finance qui a entraîné la planète tout entière dans la tourmente. Des économistes ont été pointés du doigt pour avoir rédigé des rapports faisandés en faveur de la dérégulation de la finance et avoir amassé en retour des tas d’or. Ou alors pour avoir, sous couvert d’un discours académique, disculpé les banquiers et assureurs américains de toute responsabilité, alors que ces mêmes banquiers et assureurs les avaient cooptés dans leurs conseils d’administration.
En bref, beaucoup d’économistes ont à juste titre été mis en cause pour leur manque d’indépendance, leurs conflits d’intérêt sinon même leur corruption.
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