Investir dans l'eco-conception, c'est rentable !, Novethic, 16/07/10 Beatrice Heraud
Si de nombreuses entreprises reflechissent aujourd'hui a concevoir leurs produits de facon plus respectueuse de l'environnement, peu d'entre-elles franchissent finalement le pas. Pourtant, l'eco-conception s'avere rentable.
Dans le domaine de l’eco-conception, les exemples de Steelcase ou de Xerox sont bien connus et font figure de modeles. Mais ces entreprises qui ont su convertir avec succes leur production a la mode durable font-elle figure d’exception sur la question de la rentabilite ? Jusqu’a present et alors meme que la prise en compte de l’environnement dans la conception des produits date de plus de 30 ans, il existait peu d’etudes approfondies sur le rendement economique de la demarche. C’est donc pour pallier ce manque que le Pole d’eco-conception et management de cycle de vie de la chambre de commerce et d’industrie de Saint Etienne/Montbrisson et l’institut de developpement de produits de Montreal se sont allies pour realise une etude au nom evocateur : « L’eco-conception ; quels retours economiques pour l’entreprise ? »
« Beaucoup d’entreprises voient encore le developpement durable ou l’eco-conception comme une depense, une embuche de plus qui augmente les couts de developpement de produits et elles sont sceptiques quant a la rentabilite d’une telle demarche », note ainsi Guy Belletete, directeur general de l’IDP. « Quand nous allions voir les entreprises pour leur proposer de realiser un pre-diagnostic, elles nous disaient : « c’est bien joli, mais combien ca rapporte ? ». Il nous fallait des chiffres tangibles… », confirme de son cote Samuel Mayer, directeur du pole eco-conception de la CCI de Saint-Etienne.
Des economies…et des nouveaux marches
C’est chose faite. Les auteurs ont en effet examine un produit eco-concu et lance depuis plus d’un an dans 30 entreprises reparties equitablement entre le Quebec et la France. Elles representent plusieurs secteurs d’activite et 12 sur 30 sont fondees sur l’eco-conception. Resultat : « pour une tres nette majorite (27 cas sur 30), on peut affirmer que les produits ou services eco-concus ont genere une marge beneficiaire au moins aussi importante que s’ils avaient ete concus de facon traditionnelle. » Les economies realisees se situent surtout au niveau des matieres premieres utilisees (13 sur 17) mais dans certains cas (6 sur 17) on note egalement une diminution de la consommation d’energie dans le processus. En revanche pour une minorite (5 cas sur 30), l’achat d’un intrant moins polluant a entraine une augmentation des couts variables, telle cette entreprise fabriquant des ustensiles de camping en bioplastique qui doit payer plus cher la resine naturelle que le plastique classique.
Mais l’interet economique reside aussi et surtout dans la conquete de nouveaux marches, estime Jacques Berger, le directeur d’Eurotab, une PME qui fabrique des tablettes dans l’univers des detergents, de la desinfection mais aussi de l’alimentaire (cafe). « Au depart, nous nous sommes lances dans l’eco-conception de maniere opportuniste, avoue le DG, car les tablettes presentaient deja beaucoup d’avantages environnementaux. Puis nous sommes alles de plus en plus loin, en utilisant la chimie verte et en reduisant l’emballage. Mais il etait hors de question de faire de l’eco-conception si cela n’etait pas rentable economiquement. » Tres vite, Eurotab verra qu’elle a fait le bon choix. Grace a sa demarche, la PME decroche en effet un marche insoupconne au Canada, ou suite a l’eutrophisation des grands lacs, les phosphates ont ete interdits dans les produits lessiviers. Ce sera le declic : « nous allons revoir l’integralite du cycle de vie de nos produits. Et nous voyons meme plus loin que l’eco-conception ; nous sommes plutot sur l’eco-innovation », souligne Jacques Berger.
Et au-dela de l’apport de nouveaux marches, l’etude souligne encore de nouveaux benefices dans la creativite et l’organisation de l’entreprise, ou le lancement d’une demarche d’eco-conception est souvent le prelude a d’autres innovations et a une mobilisation plus importante des salaries.
Rentabilite prouvee, eco-conception generalisee ?
Face a ce constat, une fois le premier pas franchi, les entreprises vont-elles jusqu’a generaliser la demarche ? Oui pour la plupart, selon l’etude. Mais il faut tout de meme noter que celle-ci s’appuie en grande partie sur des entreprises qui font de l’eco-conception leur raison d’etre. Ainsi, pour Jacques Berger, « la generalisation ne parait pas envisageable dans l’immediat car de nombreux marches ne sont pas encore prets. Pour l’instant nos produits eco-concus sont uniquement achetes dans les marches occidentaux…» Et deja, au demarrage, le directeur d’Eurotab avoue avoir eu quelques difficultes a convaincre ses clients. « Il ne faut pas croire qu’il suffit de faire de l’eco-conception pour que cela se vende », souligne-t-il.
Cependant, il y a dans la multiplication des produits eco-concus une logique purement economique ; « le cout diminue en fonction du nombre de projets », affirme ainsi Samuel Mayer. Car si l’eco-conception est bien rentable, il reste qu’elle a un cout, en termes a la fois financier et humain. Ainsi, une des entreprises a par exemple depense plus de 100 000 dollars avant de trouver la formule qui permettait une production continue sans embourber les equipement, tandis qu’une autre a carrement du creer un departement marketing pour pouvoir produire le materiel promotionnel necessaire destine a mettre en avant les caracteristiques du produit...Au vu de la difficulte de trouver des fournisseurs appropries, on peut aussi se dire qu’il y a tout interet a capitaliser sur la demarche…Et si l’investissement est consequent, il peut etre amorti tres vite : une entreprise qui avait ainsi investi pres de 400 000 dollars en R&D en a ainsi recupere le double grace a des economies de couts de production de 800 000 dollars par an !
Pourtant, sur le terrain, les entreprises restent encore frileuses. Le constat dresse par Samuel Mayer est eloquent : depuis le lancement des pre-diagnostics sur l’eco-conception, la CCI de Etienne en a realise pres de 400 mais « nous sommes dans une logique d’entonnoir, le facteur de passage a l’acte est d’environ 1 pour 5 ou 6 », precise-t-il. Le principal frein ? « La resistance au changement », lance-t-il immediatement. Car l’« on passe d’une logique de vente, a une logique d’usage. Cela remet en question toute la conception du marketing base sur l’obsolescence et l'hyperconsommation » Un veritable bouleversement de perspective, donc.