"Fiasco du testing, communication catastrophique" : le coronavirus en Belgique expliqué aux députés
L’une des expert.e.s de la commission spéciale coronavirus de la Chambre, Leïla Belkhir, a rendu un rapport préliminaire sur le volet médical de la pandémie. Parmi les principaux points marquants qui ont fait défaut, l’infectiologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc pointe d’abord l’absence de préparation à une éventuelle crise sanitaire à grande échelle.
Sous-estimation
La Belgique a "sous-estimé l’émergence du virus SARS-CoV-2 en Chine, pensant que cela resterait un problème localisé". Elle a tardé à prendre des décisions "fortes". La professeure Leïla Belkhir s’interroge sur le rôle du Centre national de référence pathogènes respiratoires (UZ Leuven) à l’époque de l’émergence du virus hors de Chine (13/01/2020, en Thaïlande) et lorsque l’OMS l’a déclaré urgence internationale de santé publique.
Devait-il, ce centre, alerter les autorités belges ? Les premiers cas européens ont été déclarés par la France le 24 janvier 2020, alors qu’en Belgique, le cas déclaré n’arrive que le 4 février, avec le retour d’un Belge rapatrié de Hubei en Chine.
Pas de plan
Le fameux "plan d’urgence pandémie grippale" qui existait depuis 2006, et avait été revu en 2009 lors de l’épidémie de grippe H1N1, n’a jamais été appliqué. Les médecins à la base de l’élaboration de ce plan (infectiologues, hygiénistes, virologues) n’ont jamais été recontactés pour faire partie des groupes de décision aidant à la gestion de la crise Covid-19.
Il n’y a donc pas eu de plan opérationnel standardisé au niveau national, pointe le rapport préliminaire de l’experte. Chaque hôpital, chaque médecin, a dû s’adapter de façon individuelle, même si les collaborations se sont mises en place.
Des carences
Les capacités de testing n’ont pas été "suffisamment prévues" : il n’y avait "aucune capacité de réservée prévue pour une pandémie". Le pays disposait juste "de l’appareillage utile à la routine". Par ailleurs, n’avoir que deux hôpitaux de référence (CHU Saint-Pierre, UZ Antwerpen), s’est avéré totalement insuffisant, estime Leïla Belkhir. Il a fallu attendre le 10 mars pour que les hôpitaux reçoivent l’autorisation du fédéral de ne plus devoir transférer les patients confirmés Covid-19 vers ces deux hôpitaux de référence.
Les premières antennes de tri ont émergé grâce au bon vouloir des hôpitaux, avant que les médecins généralistes n’en aient la responsabilité, pointe l’experte. Elle souligne le fait que dans la formation des médecins, aucun cours n’est prévu, ni dans le cursus de base, ni dans le cursus du diplôme interuniversitaire en maladies infectieuses, sur la gestion ou la préparation d’une pandémie.
Autres soucis : le manque de personnel infirmier avant Covid, qui a engendré un épuisement durant la crise, des disparités majeures dans la prise en charge aux soins intensifs entre hôpitaux, et l’absence de suivi psychologique prévu pour les soignants. Les hôpitaux ont dû organiser par eux-mêmes ce dernier aspect.
Péché originel et fiasco
En termes de testing, l’erreur de départ a été, dit le rapport préliminaire, de ne désigner qu’un seul laboratoire de référence pour les tests (le Centre national de référence pathogènes respiratoires de l’UZ Leuven). Il a été le seul habilité à réaliser les tests PCR pendant plusieurs semaines, et a été rapidement débordé. "Erreur stratégique", selon Leïla Belkhir, lourde de conséquences : les critères de testing ont été limités pour ne pas déborder cette faible capacité.
Ainsi, le 13 mars 2020, on ne pouvait tester que "les cas sévères et les professionnels de santé avec de la fièvre" (ce dernier critère a été supprimé le 16 avril). Ensuite, une plateforme fédérale a été mise en place avec des entreprises pharmaceutiques privées (Biogazelle, GSK, J&J et UCB), "sans avis préalable des laboratoires de biologie clinique agréés", ce qui a "créé de grosses tensions et un sentiment de dévalorisation". Sur ce point, la conclusion est sans appel.
Le document pointe l'absence de dialogue avec les professionnels, le choix de la mauvaise solution de la plateforme. Il aurait été "plus efficace et rapide de renforcer les laboratoires agréés que de monter une nouvelle structure".
A pointer aussi, la pénurie de réactifs et d’écouvillons, qui a limité les capacités de testing, la lenteur dans la validation et la sélection des tests sérologiques, et leurs critères de remboursement.
Bas les masques
Ce document pointe aussi le manque de matériel de protection d’emblée (masques, blouses, charlottes), ainsi que des problèmes dans la qualité de masques reçus. Il souligne enfin un problème d’approvisionnement des médicaments principalement utilisés aux soins intensifs, comme les sédatifs, les curares, et les vasopresseurs. "Le fait qu’il n’y ait pas de réserves centrales est un problème majeur".
Communication catastrophique
Le constat est tout aussi tranché en termes de coordination de l’approche de la pandémie en Belgique : "La communication a été, n’ayons pas peur des mots, catastrophique depuis le départ […]".
Pour Leïla Belkhir, les professionnels de la santé ont souffert d’un manque total de transparence dans les processus menant aux recommandations de Sciensano. Il était très difficile de savoir qui prenait les décisions. De (trop) nombreux groupes décisionnels ont été créés (RMG, RAG, Sciensano, CNS, puis le GEES, le CELEVAL, sans compter les différentes task forces) sans que l’on sache qui décidait de quoi exactement ni quels étaient les critères de sélection des membres qui composaient ces groupes.
La communication vers la population a également été "très chaotique" : pas d’explication claire sur la situation épidémiologique (quel sens donner aux chiffres), sur le pourquoi des mesures, manque de pédagogie, et, pointe l’auteure, une "perte d’adhésion progressive de la part de la population", voire une perte de confiance.
Propositions
Au-delà des critiques, ce volet médical contient des propositions pour aborder autrement une éventuelle pandémie ultérieure. En voici les principales :
- Tout d’abord, il faut "absolument prévoir un groupe pandémie permanent". Il serait composé entre autres de scientifiques et de soignants ayant une expérience de terrain "real life", ainsi qu’au minimum des médecins des différents hôpitaux universitaires (dont des hygiénistes, infectiologues, biologistes microbiologistes / virologues). Il tiendrait des réunions annuelles, au minimum, hors contexte épidémique. Il établirait des procédures de bases standardisées à mettre en œuvre pour tout le pays. La première ligne (médecins traitants) ne pourra plus être absente des interventions, comme ce fut le cas au début de l’épidémie. A chaque émergence d’un nouveau pathogène à haut potentiel de transmissibilité, ce groupe serait activé. Il veillerait à transmettre les plans de base au corps médical, à s’assurer de la disponibilité du matériel de protection et de testing.
- Il faudrait également revoir le nombre d’infirmier.e.s nécessaires pour le bon fonctionnement à l’hôpital en dehors de toute gestion de crise, et prévoir un soutien psychologique pour les soignants en cas de nouvelle pandémie, mais aussi pour la suite de celle-ci.
- Ne plus répéter l’erreur dès le départ du laboratoire unique de référence chargé du testing, mais s’assurer d’emblée que plusieurs laboratoires sur l’ensemble du territoire belge sont capables de développer des méthodes performantes de testing, et anticiper le matériel et le personnel nécessaire.
En première ligne durant la crise sanitaire, Leïla Belkhir dresse un tableau éclairé et éclairant sur la crise sanitaire en Belgique. Les députés membres de la commission spéciale en apprécieront la valeur, et les conclusions éventuelles à tirer en termes de responsabilités politiques des ministres de la Santé, Maggie De Block, et de Philippe De Backer, responsable de l'approvisionnement en matériel et en tests.
L'auteure du rapport, la docteure Leïla Belktir nous a fait savoir qu'elle déplorait la fuite de ce document.