Par Paul TOUBOUL, professeur de cardiologie à l'Université Lyon 1, médecin des hôpitaux
Pour commencer, des questions. Va-t-on installer définitivement dans nos pratiques le dénombrement quotidien de nos concitoyens atteints par tel ou tel virus ? Au même titre que le bulletin météo, chiffres et pourcentages des victimes s’afficheront-ils désormais sur nos téléphones, influant sur la coloration de nos journées ? La perspective d’un voisinage tendu avec le monde des virus se dessine-t-elle et avec elle celle d’une vie attentive aux moindres soubresauts de ce comparse réfractaire auxquels il conviendra de répondre sans tarder ? Un combat de longue haleine est-il entamé dans lequel se déploient, pour notre survie, toutes les ressources de l’intelligence humaine ? Entrons-nous dans une nouvelle ère, celle d’une humanité en croisade contre les nuisibles naturels qui la mettent en péril ? Est-ce le projet grandiose de l’avenir pour pérenniser notre existence sur terre ?
Notre humanité, dans sa relation à la nature qui l’environne, est peut-être à un tournant. Elle semble ne pas tolérer désormais ce qui autour d’elle échappe à son contrôle et, qui plus est, serait une menace. Mais, à bien y réfléchir, cette lutte est, au fond, ancestrale. L’homme a de tout temps cherché à vaincre les obstacles à son développement, voire à les éliminer. Il s’agissait toujours de cibles à échelle humaine, appréhendées par nos sens, et à la portée de moyens adaptés, parfois violents. L’avènement des vaccins puis des antibiotiques a offert la première opportunité de combattre nos ennemis du monde invisible que sont les agents infectieux. Vaincre ces êtres dangereux capables de nous exterminer a certainement marqué une date dans notre vie sur la planète terre. Et l’amélioration aujourd’hui de nos conditions d’existence doit beaucoup à cette avancée.
Depuis, la connaissance de l’univers vivant microscopique s’est considérablement développée. Une multitude d’espèces qui l’habitent a été identifiée. Des techniques de plus en plus fines ont pénétré leur intimité offrant même des possibilités de manipulations. L’explosion de ce savoir se solde aussi de remises en cause incessantes, de questionnements supplémentaires, de théories nouvelles et de pratiques de plus en plus intrusives. Le champ de l’inconnu n’est pas pour autant réduit et se renouvelle même à l’infini. Si l’homme a pu s’ériger en apprenti sorcier, il n’en reste pas moins fasciné par le mystère grandiose qu’est la vie à l’entour. Et dans le cheminement du chercheur, la passion de connaitre voisine avec l’humilité et la conscience de son ignorance.
Exit la médecine de proximité, place à l’armada d’État
Alors pourquoi ce préambule ? parce que la gestion de la crise sanitaire actuelle a mis en lumière les illusions d’attitudes scientifiques dévoyées qui sont elles-mêmes le pendant d’une hubris contemporaine. Qu’a-t-on vu en l’occurrence ? Ont été écartés avec dédain les comportements traditionnellement requis en matière d’épidémie. Que chaque cas déclaré en réfère à son médecin, que ce dernier le prenne en charge et prescrive un traitement jugé approprié dont il assure le suivi, voilà ce qui se passait de tout temps quant telle ou telle virose faisait son apparition. La maladie restait personnalisée, avait un visage, se composait d’histoires individuelles, gardait une dimension humaine. Or cette pratique a été balayée. Le praticien n’était plus à la hauteur d’un combat jugé titanesque. Exit la médecine de proximité. Place à l’armada d’État que sont les hôpitaux publics. Ainsi en a décidé l’État français.
La notion de pandémie donnait-elle sens à pareille mesure ? L’explosion des contaminations pouvait justifier au contraire le recours à l’ensemble du corps médical et la démultiplication de l’offre de soins. D’autant que la prise en charge initiale relevait à l’évidence de la compétence de généralistes. Pourtant il en a été décidé autrement. Et la manière a été brutale puisque certains médicaments recommandés initialement ont été contingentés et des praticiens sanctionnés par l’Ordre pour avoir contrevenu aux injonctions officielles. Un centralisme autoritaire en matière médical s’est donc instauré, l’État gérant unilatéralement l’épidémie, en comptabilisant l’étendue et décrétant les conduites. Une situation entièrement inédite et qui n’a fait que se renforcer avec le temps.
Ce faisant, en l’absence des généralistes, on peut considérer que nombre de cas ont été livrés à une aggravation qui pouvait être évitable, contribuant éventuellement à la surmortalité de départ. L’autoritarisme d’État s’en est donné à cœur joie, s’abritant derrière une évidence qui ne souffrait pas la discussion. L’on a assisté à une politisation des prises de position et des commentaires sans commune mesure avec les contenus sanitaires et leur base scientifique. Il y avait désormais une vérité officielle, seule valable dans la prise en charge de l’épidémie. Il est bien sûr admissible que le pouvoir impose sa manière d’appréhender une crise et les solutions qui en découlent. Mais pas en instillant un contexte ambiant délétère, malsain, où les opposants sont livrés à la vindicte des bien-pensants. Et l’on n’a jamais autant mesuré le poids de la propagande par médias interposés à propos de sujets relevant simplement de controverses sur les connaissances. J’ose dire que l’ambiance a pris un parfum totalitaire.
L’imposition des esprits liée à cette volonté de rester maitre du jeu et de régner sans partage s’est poursuivie depuis sans discontinuer. La flambée épidémique éteinte, le gouvernement s’est lancé dans la traque de virus perdurant ici ou là, auxquels était assigné le dessein perfide de nous envahir de nouveau. Sur quels arguments s’étayait cette crainte ? A vrai dire l’affirmation était entourée de mystère, laissant penser qu’elle allait de soi. Par le fait prenait corps la représentation d’un adversaire hors du commun auquel serait livré une guerre sans merci. Un évènement, que rien au départ ne distinguait de ceux du passé, devenait ainsi unique, inouï, et, je dirais, à la mesure de l’hubris contemporaine. On n’en était plus à traiter et isoler les cas contaminés, b-a-ba des stratégies traditionnelles, il fallait prendre à bras le corps un évènement planétaire et assurer à terme, avec les armes d’aujourd’hui, la victoire de l’homme prométhéen.
Car c’est bien de posture générationnelle qu’il s’agit. Et notre ministre de la santé en est l’incarnation. Fils de ce monde-là, il a repoussé sans état d’âme l’avis de personnalités reconnues de l’infectiologie, aussi titrées et prestigieuses soient-elles, pour s’en remettre à des méthodes qui, à défaut d’être éprouvées, étaient innovantes. Force est de reconnaitre qu’il suivait en cela les recommandations d’experts, plus hommes de laboratoire que de terrain. Ont été pris en compte des prédictions basées sur de savants calculs, des schémas explicatifs appuyés par de mystérieux algorithmes, une gestion de la crise effectuée depuis un centre de commande où se déployait une intelligence abstraite manipulant des données qu’elle enfantait. C’est peut-être la grande nouveauté de l’évènement, celle d’avoir inauguré une vision mondialiste, bureaucratique d’une épidémie, à l’image d’experts hors sol trônant du haut d’un savoir dématérialisé.
Dans cette même optique il fallait que les mesures prises soient à l’échelle d’un combat de géants. Intervenir sur des populations entières, imposer confinement, port de masques, voire user si nécessaire de coercition, brasser des multitudes dans une joute sans merci contre le coronavirus, voilà bien une guerre digne de ce nom dans laquelle les ressources de l’intelligence humaine auront toute latitude de faire leurs preuves. Si dans le passé les virus paraissaient dicter leurs conditions, on pouvait aujourd’hui leur imposer d’autres règles du jeu. Il s’agissait, avec nos tests, de les débusquer à grande échelle, de traquer les foyers de multiplication, et en cas de danger, de calfeutrer le pays pour le soustraire à l’assaut des envahisseurs. Et on n’a pas lésiné sur les moyens, quitte à mettre à bas l’activité économique et sociale. L’homme contemporain défié s’est hissé à la hauteur d’un mal planétaire. Chaque jour ont été comptabilisées compulsivement les intrusions ennemies et les pertes subies sur ce champ de bataille informe et invisible.
Sourds à toute critique, nos augures en sont venues à découvrir à leurs dépens que le virus a plus d’un tour dans son sac. Ils avaient pourtant été prévenus. Les virus respiratoires sont l’objet de mutations continuelles. L’avènement de variants avait déjà été signalé en juillet puis octobre 2020, responsable d’un regain d’activité virale. Du coup l’histoire a repris souffle et le combat est reparti de plus bel. Dépistage à marches forcées, maintien d’une chape de plomb sur la population, monopolisation de l’information par la virose, bref la folle épopée continue. Et il n’y a pas de raison que cela s’arrête. Jusqu’alors on s’attaquait aux épidémies déclarées. Maintenant c’est au monde secret des virus que l’on s’en prend. Les mutations cachées qui les caractérisent sont la nouvelle cible. Ces variants qui pourraient devenir un jour épidémiques sont suivis à la trace. Mais jusqu’à quand ? La maitrise de l’échange, il faut le reconnaitre, appartient bel et bien au coronavirus qui nous impose son tempo et peut seul décider la fin de partie.
Cette stratégie devenue démente durera jusqu'à quand ?
Il est clair que la stratégie appliquée à cette virose est devenue démente. Les choix pris, y compris celui du vaccin, ne peuvent escompter un contrôle véritable de la situation, à savoir nous protéger tous durablement d’une contamination. Si l’on ne se contente pas d’une approche pragmatique, c’est-à-dire traiter, isoler les contaminés et protéger les plus vulnérables en attendant des jours meilleurs, l’issue risque d’être repoussée aux calendes face à un virus scruté en permanence et dont on ne tolère plus de vie secrète. Il y a bientôt un an que tout a commencé. Rien ne laisse entrevoir d’issue prochaine. C’est du jamais vu en matière d’épidémie. Fallait-il que celle-ci déroge à toute règle et que nos connaissances tirées d’une expérience éprouvée soient battues en brèche ? Il est permis d’en douter et questionner la politique sanitaire actuelle s’impose plus que jamais aujourd’hui.
On ne peut impunément mettre à l’arrêt un pays pour combattre un agent infectieux, certes contagieux mais dont la létalité n’excède pas celle de la grippe. Qu’on continue à le surveiller à l’abri de tout tapage médiatique, l’affaire est du ressort de toute nation chargée de protéger ses citoyens. Mais maintenir pour cela un état de guerre est un non-sens qui nous conduit à un naufrage collectif. Il est malheureusement à craindre que nos gouvernants renâclent à se remettre en cause. Sans compter que le sacro-saint principe de précaution et la peur des juges risquent de conforter pareille obstination. Pourtant l’urgence est là. La vie doit reprendre ses droits dans notre pays, toute latitude étant restituée à l’activité socio-économique et à la culture pour s’exprimer, l’individu retrouvant quant à lui dans son quotidien les ingrédients qui le motivent et le structurent. En somme une existence libre, sans peur et ouverte sur l’avenir. Garder un œil sur le virus, comme d’ailleurs sur toutes les menaces qui nous entourent, ne doit pas mettre en péril nos raisons de vivre.