Covid-19.Que raconte “Ceci n’est pas un complot”, le documentaire qui ébranle les Belges ?
Diffusé fin janvier, le film Ceci n’est pas un complot, qui se propose d’interroger le traitement médiatique de la crise du Covid-19, remporte un franc succès parmi les internautes belges. S’il soulève des questions légitimes, les journaux regrettent les insinuations et le ton complotistes qui sous-tendent le documentaire – dont il se défend pourtant jusque dans son titre.
“Ceci n’est pas un complot, un documentaire indépendant du réalisateur belge Bernard Crutzen, circule en ce moment à la vitesse de l’éclair sur les réseaux sociaux”, constate Le Vif-L’Express. Réalisé grâce à un financement participatif et mis en ligne le 26 janvier sur Vimeo, puis sur YouTube, le film approche du million de vues sur ces plateformes où son réalisateur a choisi de le diffuser, faute de pouvoir le présenter en festival, pandémie oblige.
L’objectif, explique Bernard Crutzen dans la description, est d’interroger “le traitement médiatique de la crise par les médias belges francophones. Ce qu’ils disent, comment ils le disent, et ce qu’ils taisent.” En un peu plus d’une heure, on passe donc en revue une année de crise du Covid-19 au fil des annonces, des confinements, de l’instauration de mesures sanitaires. “Et çà et là, il pose des points d’interrogation”, relève De Standaard : la façon de collecter les chiffres sur la pandémie – imprécise et variable selon les pays – est-elle fiable ? Les mesures de confinement étaient-elles exagérées ? Le nombre de cycles d’amplification des tests PCR n’est-il pas trop élevé – au risque de mettre en avant des faux positifs ? Quelles sont les sources de rémunération des différents experts consultés par le gouvernement et les médias et leurs éventuels conflits d’intérêt ? Les médias se rendent-ils coupables d’emballement, de raccourcis voire d’erreurs factuelles ?
Un complot en pièces détachées
Des questions légitimes, voire nécessaires, comme le reconnaissent les journaux belges qui commentent le succès du film. Mais le réalisateur les soulève sur un fond de musique dramatique, en sous-entendant systématiquement l’existence d’un même objectif concerté des médias, du pouvoir politique, des virologues et des entreprises pharmaceutiques. Pour autant, le documentaire l’annonce dès son titre : il n’est pas complotiste. Contrairement à Hold-up, le documentaire français qui a occupé les réseaux il y a quelques mois, on ne laissera pas entendre que le Covid-19 est créé de toutes pièces, que le vaccin vise à pucer la population, et que son apparition découle directement d’un complot des puissants de ce monde.
En fait, c’est surtout un “film qui laisse le spectateur composer son propre complot”, observe De Standaard, qui y voit “une leçon magistrale sur la fabrication de la défiance”.
“Avec ce documentaire, le public a l’impression d’être pris au sérieux puisqu’on ne lui impose rien”, détaille le professeur de psychologie sociale Olivier Klein (ULB), interrogé par L’Avenir.
Le réalisateur présente des faits et installe un certain doute, mais c’est tout. C’est à son audience de tirer ses propres conclusions. Malheureusement, les faits présentés sont très orientés. On n’est donc pas dans un vrai doute puisque le journaliste fait tout pour qu’on se dise que les autorités sont guidées par des intérêts privés.”
Un pamphlet
“De pseudo-coïncidences en sous-entendus, le documentaire insinue finalement plus qu’il n’avance de faits vérifiés”, note le journal wallon. “Le gros problème, c’est que ce n’est pas un travail journalistique objectif, reprend Olivier Klein, cette fois dans De Standaard. C’est un pamphlet, un manifeste.”
Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle plusieurs des experts interviewés ont pris fermement leurs distances après la diffusion, comme ils l’ont expliqué sur les réseaux sociaux ou ici, la sociologue Jacinthe Mazzochetti dans les colonnes du Soir :
Le film pose non pas l’hypothèse (avec questions, arguments, contre-arguments), mais la thèse d’une propagande médiatique consciente, malveillante, unilatérale.”
Malgré cela, si le film rencontre un tel succès, analyse Sudpresse, c’est que “dans cette période où chacun peine à retrouver un cap, où prolifèrent […] les incertitudes et la défiance en l’avenir, il est tentant de se dire que si on ne comprend pas les choses, c’est qu’il y a un sens caché à tout cela, une solide raison pour laquelle nous sommes tous manipulés”. Mais aussi qu’il met le doigt sur un recours un peu trop fréquent dans les médias à l’étiquette de complotiste “si on se pose des questions sur les vaccins ou si on ne porte pas le masque”.
Courrier International Publié le 12/02/2021