Je transferts ici la réponse d'
Obamot qui faisait suite à un message que j'avais envoyé sur le fil de la guerre en Ukraine:
Ahmed a écrit :
Peut-être que si l'on ne parle pas d'anthropotechnique, c'est que ce n'est pas le sujet?
Oui, je me suis pris un peu les pieds dans le tapis, mais finalement pas tant que ça puisque tu dis que la guerre en est l’exacerbation “paroxystique”? Par ailleurs, combien de “vrais” journalistes seraient capable de faire un papier intelligent là-dessus?Ahmed a écrit :
2) Je pense que l'on peut commencer à y voir un peu clair si l'on raisonne sur deux plans successifs. D'abord sur celui de la géostratégie. C'est un outil assez limité, qui ne peut répondre qu'à certaines questions et dont l'usage est certainement abusif actuellement, mais qui convient pour une première approche grossière. Il se produit un basculement du centre de la puissance, de l'Europe (au sens large) vers la zone Pacifique. Or, il est une règle qui veut que les conflits mineurs se déroulent à la périphérie: c'est ce qu'avait bien illustré la longue suite des conflits armés de la guerre froide. Passer en zone périphérique nous vaut de subir ce genre de désagrément (sic).
En principe, ce devrait être un conflit mineur, mais si on te comprend bien entre les lignes, ça ne l’est pas...Ahmed a écrit :
3) Ceci n'explique cependant pas le fond du problème, même s'il présente l'avantage inestimable de permettre de gloser à l'infini sur toutes les mirifiques facettes des politiques étrangères de chacune des parties prenantes...
N’est-ce pas un grand écart pour couper court à la réflexion sur cette problématique — de déplacement du centre de gravité géopolitique vers l’Est — ou une façon élégante pour nous le faire comprendre sans avoir besoin d’aller plonger dans une complexification dont il serait difficile de sortir indemne. Enfin c’est ce que j’essaye de comprendre en “pensant pas moi-même” (paraît que depuis Kant: “on ne pourrait plus”?) Là je dirais qu’au contraire, j’aimerais bien entendre une explication sur cette “dérive anthropotechnique de l’Occident vers l’Orient”, puisqu’ainsi formulée, elle relève paradoxalement plus de l’attraction magnétique que de l’affrontement guerrier (ce qui prouverait à quel point il est factice), mais personne n’a ton pareil pour nous révéler ce qui est factice, pourquoi et comme t cela s’emmanche.Ahmed a écrit :
4) L'autre plan est plus complexe (je vous aurais prévenus, ne venez pas vous plaindre!). D'une part, tout système va toujours au bout de ses possibilités, comme se plaisait à l'écrire Bertrand Méheust, mais il arrive fatalement un moment où les circonstances qui le rendait opérationnel disparaissent, soit spontanément, soit dans le cas qui nous intéresse parce qu'il a lui-même provoqué ce changement du simple fait de son développement.
S’agissant d’aller jusqu’au bout des possibilités, ce que voulaient les Russes de l’U.E., était plutôt le rapprochement que le conflit, ils avaient préalablement largement œuvré dans cette direction, depuis des dizaines d’années, avec régulièrement des bâtons dans les roues... Question géostratégique, il était donc assez habile (mais hideux et insoutenable) de forcer l’achèvement des possibles vers la guerre (qui ne remettra qu’à plus tard un rapprochement, quand l’hypocrisie de stigmatisation bipolaire, nous aura éloignés de la guerre...) entre voisins ne sommes-nous pas condamnés à nous entendre selon Méheust?Ahmed a écrit :
5) L’arrosage de liquidités substitutives avait permis depuis longtemps (et de plus en plus) de simuler le fonctionnement d’une partie du mécanisme « normal » de production de valeur abstraite qui est grippé , mais la menace du "peak All" limite la stratégie usuelle de la fuite en avant et la rend caduque. L'économie ne peut se résumer à une simple rivalité entre concurrents, ce serait une vision par trop limitée: il s'agit en fait d'une guerre contre le vivant (au sens le plus large, donc y compris envers les humains). Il faut admettre que les bienfaits parfois bien ambigus de la technologie ne sont appréciables que parce que leurs côtés négatifs sont soigneusement externalisés (ce qui favorise d’ailleurs la conflictualité).
Si l’on consent, par une gymnastique peu habituelle de l’esprit, à considérer que toute dépense d’énergie recèle une violence potentielle, alors on comprendra que la guerre n’est qu’une forme paroxystique de l’économie et qu’elle trouve pleinement sa place lorsque l’économie usuelle se trouve en situation de blocage : ainsi en est-il de la tectonique qui peut souvent libérer sa puissance par des glissements assez continus de faible ampleur, mais qu’en présence d’obstacles, elle accumule des tensions qui se libèrent soudainement et très brutalement.
C’est ce dernier point que je voyais en voie de se concrétiser depuis dix ans... En pensant peut-être un peu naïvement que les choses finiraient par s’arranger, mais c’était sans compter sur le “jusqu’au-boutisme” des parties en présence. Et plus particulièrement de la part de l’Occident, puisque selon le narratif propagandiste Occidental (“nous sommes dans le droit chemin en tant que démocratie, bien plus en avance que les dictatures, et bien plus responsables de l’aboutissement des choses”) ...et donc si l’on en croit ce discours, s’étaient bien les Occidentaux qui devaient voir venir, donner des garanties à la Russie, pour lui donner le temps de parvenir à une maturité plus élevée dans sa quête de mûrissement propre d’état démocratique. C’est diamétralement l’inverse qu’il s’est produit...Ahmed a écrit :
6) Le tropisme actuel vers les régimes « forts » et très à droite (sous une forme ouverte ou de façon plus hypocrite) qui se trouvent soudain banalisés et légitimés n’est que la transposition au politique de ce nouvel état des choses. J’avais d’ailleurs décris depuis longtemps cette évolution facilement prévisible. Une autre manifestation en est l'enthousiasme suscité par les programmes des diverses nations pour le réarmement, je n'y insisterais pas.
La transposition, celle qui fait débat et qui est clivante jusqu’ici même dans ce forum, est l’inversion paradoxale des rôles entre la droite et la gauche! Les premiers s’étant improvisés contraints forcés de devenir les garants de certaines valeurs des seconds, que ceux-ci on trahis après avoir été aguichés par une sorte de “libéralisme social” un peu calqué sur le modèle germanique, mais en laissant la porte grande ouverte au libéralisme économique et financier, et à la spéculation de tout crin (après avoir laissé entrer les loups dans la bergerie!)
Cela a créé de l’émoi dans un forum “plutôt de gauche” qui s’est retrouvé accusé (à tort) d’être passé vers l’autre extrême. Ce qui me semble totalement infondé au vu de ce qui précède... Et ça semble un peu laisser tout le monde sur sa faim, certains ayant perdus le nord... (période troublée qui allait arriver, tout comme je l’avais annoncé à Remundo en tout début d’année)!
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Je passe sur le premier paragraphe pour répondre au second.
2) Je ne saurais me prononcer sur le degré de gravité de ces événements, tout ce que je peux dire, c'est qu'il faut soigneusement éviter de lire entre les lignes et se contenter de ce qui est énoncé positivement. Donc, normalement cela devrait rester périphérique, mais des circonstances imprévisibles peuvent changer une trajectoire initiale...
3) La dérive observée résulte de l'état différencié des diverses économies. Bien qu'il serait inapproprié de distinguer stricto sensu un capitalisme "ancien" d'un capitalisme "jeune", il faut constater que les modalités de son fonctionnement diffèrent selon ce critère temporel et que les vieilles nations industrielles accumulent un certain nombre de handicaps qui limitent ses performances, non que les plus récentes en soient exemptes, mais ces dernières disposent encore d'une marge de manœuvre supérieure, ne serait-ce qu'en terme de ressources physiques et surtout de capacité de contrôle de la population. Ceci, je le répète, ne signifie pas que sur le fond la situation de crise ne soit pas globale, mais que des modalités particulières induisent des situations sensiblement différentes à un instant T (et puissent ainsi conduire à des analyses erronées).
4) Sur ce point, c'est aller un peu vite en besogne en présupposant la bonne foi de
Poutine, car ce dernier ne le cède en rien en matière de mauvaise foi à ses compétiteurs américains. Disons plutôt que les deux parties usent de tous les subterfuges pour avancer leurs pions. Quant à invoquer
B. Méheust,encore faudrait-il le faire à bon escient et ne pas extrapoler indûment: il est plus facile de se disputer avec ses voisins qu'avec de lointains étrangers...
Mais là nous retombons dans l'ornière journalistique...
5) C'est se méprendre lourdement sur que j'ai écrit que de le réduire à la seule question "occident contre Russie". Ce conflit arrange bien des gouvernements en dépit des inconvénients qu'il génère (il cache, en l'accentuant, la situation de crise antérieure et procure une certaine porte de sortie dans le réarmement). D'une façon absolument générale, il est tout à fait nécessaire d'avoir un ennemi, car il est plus facile d'unir un peuple contre quelque chose ou quelqu'un que pour une cause commune positive. L'URSS avait longtemps tenu ce rôle essentiel pour l'Occident et spécialement pour les USA (la réciproque étant naturellement vraie); de ce point de vue, la nouvelle Russie reprend cette attribution...
6) Ce dernier paragraphe est important. Si l'on oppose la droite et la gauche, on ne peut rien espérer comprendre à quoi que ce soit, puisque c'est justement ce faux antagonisme qui est la clé de voûte des systèmes politiques et de leur caractère mystificateur (nul complotisme là-dedans!). Droite et gauche sont les deux faces du système et les différentes positions peuvent être le fait de l'une ou l'autre partie selon l'époque (comme je l'évoquais il y a peu), du moment qu'elles perpétuent leur opposition. Cette alternance des convictions signe à la fois la volonté (pas forcément consciente) de fausser le jugement des électeurs et offre à l'observateur attentif la confirmation du caractère non pertinent de cette dualité apparente.
Comme l'avais suggéré
F. Fukuyama dans sa fin de l'Histoire, la démocratie représentative représente le nec plus ultra d'une économie prospère et comme il imaginait que la vocation de l'économie était de répandre à terme une prospérité universelle, il ne doutait pas de la généralisation de ce mode de gouvernement. La suite a, bien entendu, donné tort à cet ouvrage de propagande. Dans les périodes de difficultés, toutes les économies sont contraintes de recourir à des mesures dirigistes (ce qui ne vaut pas dictature). Si l'on examine des situations non plus conjoncturelles, mais structurelles, on comprend l'attrait pour des formes "musclées" de gouvernances. Mais j'aurais l'occasion de développer ce dernier point.