109 – La destruction créatrice de Schumpeter
25 février 2017GénéralFrançois Roddier
L’économiste autrichien Joseph Shumpeter est né en 1883, la même année que Keynes. En 1927, il émigre aux États-Unis où il enseigne à Harvard. Ni capitaliste, ni marxiste, il se veut au dessus de la mêlée. Il est considéré aujourd’hui comme un emblème de la pensée évolutioniste en économie.
Schumpeter s’intéresse aux travaux de Kondratiev sur les cycles économiques. Pour lui, les innovations sont le moteur de l’économie mais elles entraînent des changements sociaux (modifications du mode de vie) qui font que la société doit constamment se réadapter. Schumpeter compare cet effet à une «tornade» et parle de «destruction créatice».
Dans le cadre restreint de l’économie, on peut dire que Schumpeter a découvert l’effet d’une structure dissipative sur son environnement: effet qui conduit au processus de criticalité auto-organisée. C’est le processus d’évolution aussi bien des cyclones que des espèces en biologie mais, les disciplines étant cloisonnées, qui sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un processus universel?
En octobre 1973, c’est la guerre dite du kippour. Les membres de l’OPEP déclarent un embargo sur les livraisons de pétrole. On parle de choc pétrolier: le prix du pétrole augmente et ne reviendra plus jamais aux valeurs des années précédentes. C’est le début d’une crise économique en Europe: l’économie stagne.
Un économiste allemand Gerhard Mensch s’intéresse au problème. Disciple de Schumpeter, il conduit une étude statistique sur les innovations. Il montre que celles-ci ne sont pas uniformément distribuées dans le temps, mais arrivent par paquets. Il publie les conclusions de son étude en 1975. Une traduction anglaise de son livre parait en 1979 sous le titre «Stalemate in Technology» (Ballinger).
Ce livre est intéressant parce qu’il compare l’évolution technologique à l’évolution biologique. Il ignore cependant la théorie des équilibres ponctués de Niles Elredge et Stephen Jay Gould publiée en 1972. Ce livre est surtout intéressant parce qu’il comprend que l’évolution cyclique de l’économie ne peut pas être représentée par une sinusoide: la production économique ne peut que croître ou s’effondrer. Il représente l’évolution économique par une suite de sigmoïdes se recouvrant partiellement. Pour lui, la phase où les sigmoïdes se recouvrent est une phase de «métamorphose» durant laquelle on passe d’une économie à la suivante.
L’évolution économique selon Gerhard Mensch
Je reproduis ici le modèle économique de Mensch auquel il a donné le nom de «metamorphosis model». Le lecteur pourra comparer ce modèle avec les cycles autour du point critique représentés sur la figure du billet 107. On retrouve la même zone de recouvrement entre les flèches marquées a et b délimitant la zone appelée «crises».
Il est bon de rappeler que, pour les différentes phases d’un même cycle, j’utilise ici la nomenclature des historiens (Turchin et Nefedov) et non pas celle actuelle des économistes qui est différente. Ainsi, pour les historiens qui sont sensibles à la sociologie, l’année 1914 fait partie d’une phase de crise, tandis que pour les économistes c’est 1929 qui en fait partie!
Je termine ce billet en rappelant que l’étude de Mensch a été conduite durant une phase de crise économique liée au choc pétrolier. Et pourtant, à aucun moment il ne vient à l’idée de Mensch que la stagnation de l’économie des années 70 ait pu être causée par une augmentation du prix du pétrole. Je pense que, pour le lecteur de ce blog, la relation est devenue évidente.
Pourtant, encore de nos jours, la plupart des économistes ne font aucune différence entre des ressources naturelles comme le cuivre et le pétrole. Il est vrai que l’épuisement de l’un comme de l’autre suscite des problèmes économiques. Cependant le pétrole est une réserve d’énergie en stock, tandis que le cuivre ne l’est pas.
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