La technologie, moteur du progrès des idées

Débats philosophiques et de sociétés.
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Exnihiloest
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par Exnihiloest » 12/10/15, 17:03

Ahmed a écrit :C'est un avantage incontestable des scientistes que de suivre la voie qu'ils préconisent pour tous, soit par hypocrisie, soit par inconscience et les "générations futures" leur sont d'autant plus précieuses (mais ils ne sont pas les seuls sur ce créneau!) qu'elles ne peuvent exprimer leur opinion.

Au moins ils ont pour eux la cohérence interne de leur philosophie, et l'accord de leurs actes avec leurs idées, ce qui n'est pas le cas de tous les autres qui profitent du système tout en le dénigrant et en jetant l'anathème sur ceux qui le construisent.

C'est aussi pourquoi ils se montrent généralement moins préoccupés du sort de leurs contemporains, de ceux qui se trouvent du côté obscur et qui pâtissent de leurs "succès"...

Là Ahmed, j'affirme que non seulement c'est faux, mais que c'est le contraire qu'on constate. Ou alors c'est que tu parles des profiteurs et pas des acteurs allégués "scientistes".
Les personnes, confrontés personnellement à des problèmes de leur entourage, ou simplement désireuses d'en améliorer l'existence, se mobilisent pour trouver des solutions et sont les acteurs primordiaux des avancées technologiques. La semaine dernière à la radio, une chercheuse sur les moustiques, sur le point de finaliser une nouvelle solution contre le palud, expliquait être venue à cette étonnante spécialisation à cause des ravages qu'elle avait vus sur les populations en océanie, où plus jeune elle habitait. Démarche similaire à des degrés divers, pour l'élaboration de tous ces outils qui nous rendent la vie plus facile, de la conserve à la fermeture éclair ou au frigo, avant leur récupération par l'industrie. Mais même pour un but mercantile, l'industrie n'en reste pas moins le vecteur de diffusion en masse de ces produits, qui sinon resteraient réservés à une élite, comme le téléphone jusqu'aux années 50.
Inversement les "non-scientistes", que font-ils pour les autres ?
Beaucoup, rien, qui se contentent de "s'indigner" et de dire la morale mais ne mettent jamais la main à la pâte. D'autres font beaucoup, par exemple travailler bénévolement dans une asso humanitaire, mais sont-ils aussi efficaces que les "scientistes" et pourraient-ils fonctionner sans eux ? On voit par exemple des assos récupérer dans les supermarchés des denrées arrivées à date limite, pour les fournir aux familles démunis ou aux restos du coeur. Très bien. Mais que feraient-elles sans toute la logistique de production et de transports des denrées rendus possible grâce à un marché de masse, par l'industrie agro-alimentaire et ses distributeurs, par celle des engins agricoles, du transport routier... ?

Exnihiloest, jusqu'à présent, sur ce point particulier et important, tu n'expliques que par l'orientation culturelle la partition que tu considères assez "étanche" entre les deux monde (il n'y en a plus trois, désormais), ceci n'étant pas vérifié par l'attraction (mélangée de répulsion, il est vrai, mais par dépit!) qu'y inspire l'occident. Par ailleurs, le goût pour une vie pénible pourrait mieux s'expliquer si aucune alternative spectaculaire (au sens originel) n'existait: il est bien difficile d'innover, mais copier ne devrait pas être difficile si ces deux types de sociétés fonctionnaient, comme tu en fait l'hypothèse, de façon relativement autonomes. Il y a donc une réelle difficulté à expliquer la persistance de ce masochisme.

"La persistance de ce masochisme" à l'extérieur de l'Occident, pourquoi ? J'utiliserai le rasoir d'Ockham : tout simplement parce qu'il n'est pas vu comme "masochisme" par ceux chez qui toi, tu peux le voir. Combien de générations avant que les mentalités chez elles changent suffisamment pour prendre conscience que leur condition misérable n'est pas une fatalité ? que faire comme on faisait dans son enfance n'est pas un modèle ? qu'elles peuvent améliorer leur sort si elles se prennent en charge et si elles refusent leur exploitation par leurs potentats (qui souvent confondent les fonds publics et leur compte en banque, dans ces pays rarement démocratiques) ? que tout le monde est perdant dans le profit à court terme au détriment de la confiance, comme voler les batteries des relais téléphoniques en brousse ? que la prise de recul par rapport à sa religion est une condition sine qua non ? qu'avoir des racines ne fait pas de nous des légumes et qu'il n'y a pas à être complexé de "copier" ce qu'il y a de bien dans une autre civilisation ?... Amha oui, les inhibitions de la prise de conscience sont culturelles.
Les immigrés qui viennent en Occident représente en partie (car il y a aussi des profiteurs) le haut de l'iceberg, ceux qui commencent à acquérir cette conscience, sauf qu'ils estiment qu'ils ne pourront rien faire chez eux à cause de la mentalité générale en arrière par rapport à la leur. Evidemment c'est humainement compréhensible, mais c'est quand même un problème pour l'Occident de voir que ceux prêts à en adopter le modèle, préfèrent venir vivre là où il est déjà en place, que de le monter dans leur propre pays.

Par ailleurs, l'existence de sociétés duale, sociologiquement parlant, s'observe à une échelle plus petite à l'intérieur de chaque pays occidental et dans le même contexte culturel... donc, là aussi il faudrait trouver d'autres explications à ce goût tenace pour la précarité et l'exclusion...

Je n'ai pas tes codes de l'économie. Par "sociétés duales" parles-tu de l'écart entre les populations à hauts revenus et celles à faibles revenus non par volonté mais par échec à réussir mieux, ou celles à faible revenu par choix de vie ("heureux dans mon village, sur mon lopin de terre, ça me suffit").
Je suppose le premier cas. Il est clair que ce n'est pas la mentalité qui bloque et que c'est le résultat des contraintes sociales, économiques, financières, parfois culturelles aussi, issu de l'état pitoyable de l'Occident aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas dans les années 1960. Ton parallèle est intéressant, mais je ne pense pas que les écartés de la vie confortable le soient en Occident pour les mêmes raisons que dans les pays dits "sous-développés", pays qui n'ont jamais eu des mobiles culturels populaires et massivement partagés dans l'inconscient collectif, pour le développement.
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par janic » 12/10/15, 18:12

ce qui n'était pas le cas dans les années 1960.
les années 60 profitaient de la reconstruction d'une société exsangue après la guerre, il n'était pas plus question de la course au "moins cher que" dont ont profité les pays asiatiques ensuite. Notre pays était encore colonialiste ( profitant des richesses de ces pays). La donne à changé et les promesses de ces années n'ont pas tenu devant la réalité d'une société saturée de biens de consommation et dont les automatisations industrielles ont réduit les emplois. Il faut ouvrir les yeux sur le présent plutôt que d'extravaguer sur un avenir que personne ne connait, ni ne peut anticiper.
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Ahmed
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par Ahmed » 12/10/15, 23:34

Exnihiloest, sur le premier point, cette cohérence, que je reconnais volontiers, est le propre de toute idéologie qui, par définition a réponse à tout, contrairement à la philosophie dont le domaine reste le questionnement.

Sur le second: une société uniquement orientée vers l'accumulation de valeur abstraite est tellement absurde, qu'elle ne pourrait subsister sans l'existence de personnes* qui se comportent à rebours de cette médiocre finalité; bien entendu, personne ici n'est contre la technique en tant que telle, simplement le cadre dans lequel elle se déploie la dévoie constamment et que, d'autre part, la plupart des problèmes ne peuvent être résolus par des solutions techniques, puisque ce sont des problèmes politiques.
*Ainsi, les "humanitaires" servent à la fois à rafistoler les dégâts de cette technologie assujettie à l'économie, mais également à créer l'illusion d'une cohésion mensongère. Il s'agit de ce j'appelle de la "rustinologie" qui s'attaque aux conséquences et rend les causes à la fois plus supportables et moins perceptibles.

suite...
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par Ahmed » 13/10/15, 00:15

suite...

Troisième point: je n'ai utilisé le terme "masochisme" que par ironie...
Si d'aventure il t'arrives de discuter avec ces gens, tu te rendra vite compte, faisant abstraction de ces petits particularismes exotiques (qu'eux aussi observent chez nous!) qu'ils ne sont pas stupides et qu'ils comprennent parfaitement pourquoi il leur est impossible de bénéficier des avantages ambigus des occidentaux, même s'ils s'illusionnent beaucoup sur leur nature réelle...

Tu écris:
...leurs potentats (qui souvent confondent les fonds publics et leur compte en banque, dans ces pays rarement démocratiques)

Potentats mis en place par les puissances occidentales dans le cadre du néocolonialisme, merveilleux écran de fumée, vrai progrès des idées!...ces pays rarement démocratiques, car chaque fois qu'un dirigeant réellement démocratique parvient au pouvoir, il est bizarrement assassiné, comme c'est étrange...

Sur le dernier point: tu as parfaitement compris ce que j'ai écris de façon un peu obscure. Je suis convaincu que ces deux phénomènes sont liés et peuvent se comprendre comme une fractale: il existe deux échelles, l'une internationale et l'autre nationale. À un certain moment, comme le note Flytox, l'extractivisme se faisant au détriment des pays de la périphérie, cela profitait globalement à l'ensemble de la population française (par exemple), aujourd'hui, la donne a changé et l'extractivisme sévit également de façon interne.
Il y a plusieurs raisons à cela, l'une d'entre-elles tient au changements dans les rapports de force à l'intérieur de la société et notamment du fait que ceux qui édictent les règles du jeu s'affranchissent progressivement des contre-pouvoirs antérieurs: il est plus aisé de contrôler des machines que des hommes et comme ces derniers deviennent de plus en plus inutiles (au moins localement)...
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par Obamot » 13/10/15, 01:58

Oui, et rapports de force qui se retournent contre le "dominant!"

Faut quand même revenir un peu sur ça: :arrowd: :arrowd: :arrowd: les propos d'Ahmed nous y invitent!

Exnihiloest a écrit :on le voit plus que jamais aujourd'hui avec Daech qui n'hésite pas à tuer des ados de son propre peuple, parce qu'ils avaient regardé du foot à la télé !

Ça n'a juste rien à voir avec une organisation sociale "normale". Il s'agit ici d'un endoctrinement... Et qui plus est, pas par ceux auxquels on s'attendrait...

Exnihiloest a écrit :L'Histoire a montré que tous les peuples, toutes les civilisations, ne se développent pas à la même vitesse. Les causes en sont très diverses selon moi.

— Le climat et la géographie ont certainement joué un rôle primordial. Il est clair que si l'on habitait une petite île du pacifique, où il suffisait de décrocher une mangue ou de pêcher le poisson dans le lagon quand on avait faim, où il n'y avait pas d'hiver à passer, et où la confrontation aux étrangers était absente parce qu'on était à l'écart des voies de communication, on n'allait pas développer de stratégie compliquée pour la survie, on n'allait pas anticiper en faisant des provisions de nourriture pour l'hiver, on n'allait pas se préoccuper du chauffage l'hiver ou de la défense de son village contre des envahisseurs potentiels.

— Bien moins sollicité intellectuellement et matériellement qu'on l'a été en Europe, on n'allait donc pas mettre en place la société industrieuse, commerciale, mais aussi culturelle, que nous avons.

Voilà donc encore un fichu paralogisme...

Depuis quand la nécessité matérielle serait un indice de progrès et de développement de référence et pour qui?

On ne peut quand même pas laisser dire des choses pareilles...
Que Exnihiloest sait-il de ce que ces gens ont "développé" comme autres facultés qui feraient en général grandement défaut chez l'occidental moyen?

Tout dépend de ce que l'on met derrière le mot "développement"?

Si on considère comme "développement" tout ce qui se rattache au pouvoir d'achat et que l'on prend ça comme le modèle ultime de raison, alors on ne va pas aller très loin...
Si le "développement inclu la qualité de la vie", et que c'est pris en compte dans la société toute entière, alors le "curseur" change de région (s'agissant d'un meilleur indice de développement) et ce type de raisonnement (qui friserait la position arbitraire si il était mal intentionné, ce qu'il ne semble pas être...) ce type de raisonnement peut-il encore tenir?

Et ce bien sûr en admettant que la "culture" en question (qui reste à définir dans ses ambitions et son importance) ferait partie intrinsèque de cette "qualité de vie" (et donc partie intrinsèque de l'indice de "bon" développement.). C'est moi ou à ce stade, les arguments d'Exnihiloest font à mort dans le "matérialisme"?

On pourrait aussi à contrario lister tout ce qui relève d'un "mauvais développement" du monde occidental, oriental, ou africain (et mettant chaque fois en opposition un indice de qualité de vie de ce type >>> )

Donc dire que la technologie serait le moteur du progrès fondé sur la base du matérialisme aboutit souvent à des résultats contraires, à des sociétés ou le taux de suicide est immense.

Et bien sûr la liste des capacités alternative (ou considérées par un cerveau occidental comme telles) du "développement", peuvent s'exprimer dans bien d'autres domaines: comme la capacité à écouter et vivre en symbiose avec la nature, à se soigner sans avoir besoin d'une industrie pharmaceutique omniprésente pour tirer avec des scuds sur des fourmis, à se nourrir sans avoir besoin de recourir à des pesticides, sans parler du "développement heureux" d'activités culturelles qui relient les gens entre eux, tissent des relations de paix et particulièrement permette l'expression harmonieuse de "la joie de vivre ensemble" (enfin aussi harmonieuse que possible...). Il faut peut-être partir des besoins essentiels! Et les mettre en balance avec les besoins de contraintes: ça n'a que peu à voir avec la technologie!

Faut-il suggérer de sortir de nos propres clichés, références, et modèles théoriques que l'on ne peut décemment faire appliquer à d'autres!

Ça me rappelle cette interview célèbrisime de James Brown (à l'époque où il y avait la ségrégation raciale aux Etats-Unis, alors que celle-ci n'est toujours pas complètment terminée...):
https://www.youtube.com/watch?v=qjqk6qEIfcQ alors qu'un type de modèle sans éthique essayait d'imposer sa volonté (on voit où ce modèle a conduit cette nation, à essayer d'imposer sa volonté au reste du monde?)

Exnihiloest a écrit :Evidemment, l'avance prise par l'Europe

Encore une fois c'est une question de points de référence... Hiérarchiquement, ceux des occidentaux ne valent pas ceux des africains, des orientaux ou des asiatiques (et vice-versa...). Du coup là où il y a de l'avance dans certains secteurs, il y a du retard dans d'autres...

Exnihiloest a écrit :L'Occident a été utopique de croire qu'on pouvait converger rapidement, et que les mentalités ne pouvait que s'aligner sur des valeurs qu'il prétend universelles. D'un autre côté, laisser les autres peuples à l'écart, transformant de fait leurs pays en réserves, me semblerait une attitude bien pire. Quant à l'idée qu'on pourrait se côtoyer et "échanger" sans que la civilisation "dominante" (par le fait que c'est elle qui a les moyens d'aller voir l'autre) influence culturellement l'autre, et sans que l'autre ne souhaite en adopter des us et coutumes, c'est complètement utopique. Le problème de l'apparente "passivité" n'est pas lié à l'absence de séduction qu'aurait l'Occident sur le reste du monde, la direction des flux migratoires montrent bien que les gens savent où est leur intérêt...

N'est-ce pas un peu scandaleux de dire ça? Et Exnihiloest trouve que le modèle théorique occidental est "enviable"(?), alors que cela veut simplement dire que pendant des décennies l'Occident à pillé sans vergogne le sud, sans payer au juste prix ce qu'il y ponctionnait (en faisant jouer le marché de dupe prétendument d'offre VS demande aux dés pipés, selon ses propres règles et contraintes imposées...) Et que c'est précisément pour cette raison qu'il y a un afflux migratoire (qui vient s'ajouter à la volonté machiavélique de déstabiliser l'Europe, mais c'est un autre débat de géopolitique...).
Il vaudrait donc bien comprendre ces flux migratoires de repli vers l'Occident qui n'est pas de "l'immigration", puisque pour des faits et déséquilibres dont l'Occident est grandement la cause au travers de son "modèle" qu'il exploite aux dépens des plus faibles (sans avoir compris que c'était aussi à ses dépens futurs).

Si les réfugiés (et pas immigrés) avaient eu de quoi vivre chez eux, ils n'auraient pas besoin d'aller là où ils ne voudraient pas aller à priori! (Et puisque la statistique nous l'a démontré en Europe...)

Conclusion, je pense qu'avant, la technologie pouvait éventuellement précéder le progrès, maintenant il faut s'en méfier, car elle tend à précéder le déclin! La perversion c'est de croire que le moyen (la technologie) pourrait devenir le but (un but en soi). Tant que l'on confondra le moyen VS le but... Et on peut se demander pendant encore combien de temps cela va-t-il durer?
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Masochisme, Ahmed, c'est que le prénom...
Et avantages ôh combien ambigus il est vrai.
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par janic » 13/10/15, 16:55

Juste un détail, mais pas pour lancer une polémique: "Ça n'a juste rien à voir avec une organisation sociale "normale". Il s'agit ici d'un endoctrinement... Et qui plus est, pas par ceux auxquels on s'attendrait..."
Nous sommes tous endoctrinés puisque conformés, formatés par nos cultures. La différence se fait dans l'adhésion à tel ou tel endoctrinement accepté ou rejeté par la société en place et c'est le plus fort, le plus puissant du moment qui l'emporte...jusqu'à la prochaine remise en question.
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par Obamot » 13/10/15, 17:59

Précisément Janic, tu as raison ! C'est raccord avec le "besoin de contrainte" et "d'appartenance" de Masslow.

Il y a donc une fine connaissance et utilisation de ces "attentes", et ce volontairement aux fins que l'on connaît (semble-t-il). L'athéisation de la société a laissé un grand vide qui n'a pas été comblé par des pratiques culturelles actualisées/plus modernes: celles "qui allaient de soi" avant n'ont guère été remplacées, ne comblant pas les attentes historiques des populations? (C'est une explication.) Le grand vide est de facto "comblé" par le matérialisme (bien d'autres l'ont déjà dit!)
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Ahmed
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par Ahmed » 13/10/15, 22:24

Je rebondis sur un de tes propos, Obamot, à propos de la laïcisation, ou plutôt de l'évincement de la religion en France: je ne crois pas qu'il soit possible d'imaginer une société dépourvue de religion au sens large du terme. Ce n'est pas un jugement de valeur, c'est un constat.
Cependant, la différence entre toute forme de religiosité possible, c'est la capacité de mobilisation vers une amélioration du vivre-ensemble et, force de constater que l'universelle religion de l'accumulation de la valeur abstraite constitue une force extrêmement puissante (au niveau global), en même temps qu'un objectif d'une insondable médiocrité (au niveau personnel). La schizophrénie qui en résulte rend compte de la grande misère psychique qui en est la désolante contrepartie.

Je reviens sur un point évoqué plus haut par Janic sur ce que j'appelle la bulle de prospérité de l'après-guerre, ceci permettra à Exnihiloest de mieux comprendre la thèse que je défends.
Les vastes destructions de la guerre, les prélèvements de l'occupant et les réquisitions d'hommes et d'équipements au profit de l'effort de guerre ont entraînes plusieurs conséquences.
- l'effort de reconstruction et de réorganisation a mobilisé un maximum de population active => création de valeur
- le premier point est d'autant plus vrai que la productivité était faible et incorporait beaucoup de travail humain.
- les subventions américaines sans lesquelles, ce déploiement d'activité se serait interrompu ou au moins fortement ralenti, puisque seul le travail qui trouve à se vendre crée de la valeur abstraite.
- le planisme, qui est le ferment des "modernisations de rattrapage", ce qui a été le cas en URSS et aux Etats-Unis (New Deal).

Sur ce point de départ, un prodigieux effort de productivité allait faire passer une société rurale à une société urbaine et industrieuse, puis à une orientation massive vers le tertiaire; tout ceci dans le plein emploi (et même recours obligé à l'immigration).
Mutation rapide et même brutale, qui mena à la société de consommation, grand progrès et grand régrès.
Cette bulle de prospérité à usage interne (puisqu'elle se faisait aux dépends des pays de la périphérie) fonctionna tant que ceux qui étaient chassés d'un secteur d'activité par la productivité trouvaient à s'employer dans un autre secteur, moins productif; in fine, le tertiaire (qui ne produit pas réellement de valeur comme le prétend l'économe classique, mais se contente d'opérer des redistributions à sommes nulles), dernier bastion de l'inefficience, se voit confronté à l'émergence de l'informatique qui allait entraîner chômage, modification des rapports sociaux dans un sens défavorable aux salariés de base et détérioration des conditions de travail.
Auparavant, le secteur industriel avait été contraint à la délocalisation, car seuls des pays à faibles coûts salariaux pouvaient s'accommoder de la rentabilité en baisse: ainsi, le modèle avait été sauvé provisoirement.
L'économie standard, fondée sur le principe intangible de l'équilibre, est aveugle à l'absurdité formelle du système et ne voit rien qui puisse y contrevenir.
Il y a un point important que j'ai mis beaucoup de temps à comprendre et qui ne trouve pas réponse chez ces économistes standards (ce n'est pas inquiétant, l'économie n'est pas une science); pourquoi une économie de services pourrait-elle fonctionner (comme on le constate), alors qu'elle ne produit pas de valeur abstraite? L'exploitation des travailleurs des pays appauvris? Cette réponse, qui en satisfait beaucoup, n'est pas réellement satisfaisante, puisqu'elle repose sur une main d'œuvre mal rétribuée, mais productive (équipements modernes), donc dégageant peu de valeur abstraite.
La seule réponse satisfaisant à la logique et qui a de plus le mérite de résoudre un paradoxe apparent est que c'est le recours à l'emprunt qui est l'artifice qui sauve le modèle.
Comprendre ce qu'est un emprunt permet de discerner le mécanisme du point de vue de la logique interne: il s'agit toujours d'anticipation sur un travail à venir; on peut donc dire, en toute rigueur, que le système se survit grâce à l'exploitation virtuelle d'un travail qui devrait, mais ne sera pas réalisé dans le futur (il ne le sera pas puisque les conditions de sa réalisation sont déjà de moins en moins possibles du fait du mécanisme décris).
Voila pourquoi cette bulle technico-économique éclatera lorsque cette imposture ne pourra plus faire illusion et que le capitalisme (que je ne défends pas, on l'aura compris) sera remplacé par quelque chose de peut-être pire... Il convient donc d'être conscient de ce tournant historique et de trouver, non des lendemains qui chantent (si c'est possible, ne pas hésiter!8) ), mais au moins une sortie de crise honorable.
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par janic » 14/10/15, 08:15

Ahmed bonjour
+10! excellente analyse
Lorsque les religions traditionnelles n’apportent plus une espérance future, les individus doivent se rabattre vers une espérance immédiate ou vers un futur futuriste s’appuyant sur cette nouvelle foi en la science apportant ce salut tant espéré. D’où cet hyper développement des technologies en tous genres qui offrent des solutions, en apparence, supérieures en qualité à la seule nature. C’est cet écran de fumée dont Sen no sen a fait mention, lors même que lui-même a une confiance quasi religieuse en LA science comme d’autres en Dieu tout puissant.
Selon le dicton : « faute de grives on mange des merles »
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par Exnihiloest » 14/10/15, 12:11

Ahmed a écrit :Exnihiloest, sur le premier point, cette cohérence, que je reconnais volontiers, est le propre de toute idéologie qui, par définition a réponse à tout, contrairement à la philosophie dont le domaine reste le questionnement.

Le questionnement, mais aussi la proposition de possibles réponses, même si elles sont parfois présentées interrogativement : "ne serait-il pas plus judicieux que... ?" :lol:

Sur le second: une société uniquement orientée vers l'accumulation de valeur abstraite est tellement absurde

Qu'appelles-tu "accumulation de valeur abstraite" ?


Ahmed a écrit :Troisième point: je n'ai utilisé le terme "masochisme" que par ironie...
Si d'aventure il t'arrives de discuter avec ces gens, tu te rendra vite compte, faisant abstraction de ces petits particularismes exotiques (qu'eux aussi observent chez nous!) qu'ils ne sont pas stupides

C'est aussi par ironie que j'ai pris "masochisme" au pied de la lettre. Je le traduis par : "oui, la vie n'est pas facile pour moi, mais c'est ainsi ici dans mon pays, je dois faire avec".
D'accord avec toi, je n'en doute pas, les hommes sont les mêmes partout dans leur potentialité intellectuelle.

et qu'ils comprennent parfaitement pourquoi il leur est impossible de bénéficier des avantages ambigus des occidentaux, même s'ils s'illusionnent beaucoup sur leur nature réelle...

Ceux avec qui tu peux discuter en Occident, qui ont eu la volonté d'y venir, pour des raisons sûrement claires et motivantes pour eux, sont-ils représentatifs de l'ensemble ? Il y a là un biais de sélection, j'ai de gros doutes sur ce que du dis quand il s'agit de l'ensemble des populations à l'écart de l'Occident.
Toutes n'ont pas les mêmes informations, n'ont pas le même référentiel culturel permettant de les interpréter, et parfois dans les coins les plus perdus, n'ont pas d'informations du tout ou le peu qu'elles ont n'est pas forcément décodé car apparaissant complètement "étranger".
Elles voient donc les avantages criant qu'ont les occidentaux (niveau de vie en général, services de santé, d'éducation, maisons confortables...) mais n'intègrent pas que ce n'est pas tombé dans le bec du jour au lendemain, que l'occidental aussi a vécu misérablement, qu'il a lui fallu une quinzaine de générations pour améliorer drastiquement son sort (en comptant le développement du progrès technique moderne sur 300 ou 400 ans, disons à partir de la renaissance), que cela s'est fait pas à pas aux prix d'efforts, de guerres, de prise de risques, voire de sacrifices de chaque génération, que ces efforts étaient motivés par l'idée philosophique générale du progrès pour sa propre génération et les suivantes, que cette idée est indispensable, fondatrice, sans laquelle rien n'est possible, et qu'elle nécessite l'abandon de l'état d'esprit fataliste et résigné, intriqué avec la pensée religieuse (l'idée de "Dieu y pourvoira", version chrétienne de "Allah akbar"), dont l'occidental a dû se défaire avec difficulté et beaucoup de temps perdu, pour réussir.

Donc d'accord avec ce que tu dis ailleurs "Cependant, la différence entre toute forme de religiosité possible, c'est la capacité de mobilisation vers une amélioration du vivre-ensemble"

Voilà peut-être aussi pourquoi ces populations échouent dans leur prore pays, un nombre suffisant de générations n'étant pas encore atteint pour la maturation et l'acceptation de l'idée, tandis que les minorités qui viennent chez nous peuvent se fondre dans le système occidental, soit parce qu'en avance par rapport à la majorité elles se sont approchées de l'état d'esprit européen, soit parce que venues par simple intérêt matériel, elles le récupèrent en s'intégrant.

Pourquoi les pays de l'est asiatique (Chine, Corée...) ont-ils réussi et réussissent-ils à se sortir si vite et du colonialisme et d'un niveau de vie faible, tandis que trainent ceux du proche et moyen-Orient ? Bien que ces populations asiatiques aient également des croyances religieuses et beaucoup de superstitions, elles n'étaient pas inféodées à des religions monothéistes où l'on attend tout de Dieu et de la providence. La mentalité était déjà prête, issue du pragmatisme : quand on se remue pour améliorer son sort sans en appeler à l'intervention divine, quand on se remet en question si ça ne va pas plutôt que de chercher des boucs émissaires chez les anciens colonialistes ou vilipender le mauvais sort ou le complot mondial du capitalisme, on peut progresser, et vite.


Tu écris:
...leurs potentats (qui souvent confondent les fonds publics et leur compte en banque, dans ces pays rarement démocratiques)

Potentats mis en place par les puissances occidentales dans le cadre du néocolonialisme...

Non, ces potentats ont toujours existé. Avant le colonialisme, c'était les guerres tribales.
Je ne comprends pas cette négation de la responsabilité des populations, comme si elles n'étaient pas du tout émancipées, comme si elles étaient de simples classes de collégiens. Ou alors il faut le dire franchement, dire qu'elles sont au niveau des serfs de la féodalité en France, tenues dans l'ignorance et l'asservissement, alors oui, elles n'auraient pas de responsabilité. Mais alors si c'est ce que tu dis finalement, pour rester cohérent dans ce contexte, même la colonisation doit être tenue pour avoir été un progrès, apportant un certain niveau d'éducation qui avait toutes les chances de se retourner contre elle, ce qui s'est effectivement produit.

Sur le dernier point: tu as parfaitement compris ce que j'ai écris de façon un peu obscure. Je suis convaincu que ces deux phénomènes sont liés et peuvent se comprendre comme une fractale: il existe deux échelles, l'une internationale et l'autre nationale. À un certain moment, comme le note Flytox, l'extractivisme se faisant au détriment des pays de la périphérie, cela profitait globalement à l'ensemble de la population française (par exemple), aujourd'hui, la donne a changé et l'extractivisme sévit également de façon interne.
Il y a plusieurs raisons à cela, l'une d'entre-elles tient au changements dans les rapports de force à l'intérieur de la société et notamment du fait que ceux qui édictent les règles du jeu s'affranchissent progressivement des contre-pouvoirs antérieurs: il est plus aisé de contrôler des machines que des hommes et comme ces derniers deviennent de plus en plus inutiles (au moins localement)...

Les fonctionnements des systèmes, que tu expliques, sont pilotés par les mentalités, l'éducation et la culture des hommes qui les font, et dont je parlais. Ils n'ont pas d'existence indépendante.
Cette divergence entre nous est toujours due à nos référentiels différents, politico-économique pour toi, philosopho-culturel pour moi. Si les deux sont liés, je pense que le premier émerge du second donc que le second est plus fondamental : l'homme est plus "causal" que le système.


PS- je regrette de ne pouvoir répondre aux interventions des autres contributeurs. J'y vois bien trop de postures morales et idéalistes pour l'obtention du paradis, trop de professions de foi, aussi bien pour placer son propre point de vue que pour dénigrer celui de l'autre, et trop peu d'arguments circonstanciés par rapport à ceux gratuits ou péremptoires, pour que ce soit, pour moi, discutable sans nécessité de fastidieuses et drastiques sélections (que bien sûr on me reprocherait ensuite...).
Dernière édition par Exnihiloest le 14/10/15, 12:56, édité 2 fois.
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