Vu de l’étranger. Jusqu’où la tension montera-t-elle en France ?
La violence a envahi la protestation contre la réforme des retraites. Aux images de feux allumés dans les villes à la fin des manifestations, au bilan des blessés et des interpellés, se sont ajoutées les scènes d’affrontements à Sainte-Soline, note la presse internationale. Avec en arrière-plan la question récurrente des violences policières en France.
La violence s’emparera-t-elle des mouvements de contestation en France ? La question est présente dans la presse internationale après une semaine qui a vu les tensions grimper entre les manifestants, contre le gouvernement et la réforme des retraites, et les forces de l’ordre.
Avant la nouvelle journée de mobilisation du 28 mars, la colère s’est manifestée de manière virulente à un autre endroit du pays ce week-end. Dans les Deux-Sèvres, au sujet des mégabassines, ou des “bassines de la colère”, comme les baptise Il Giornale en Italie. “Si les villes françaises portent les stigmates d’une semaine sous haute tension, à la suite des manifestations contre la réforme des retraites, l’épicentre de la violence se trouvait le samedi 25 mars à la campagne”, observe le journal conservateur.
Des affrontements inévitables
Samedi, les affrontements, d’une violence rare, à Sainte-Soline, où malgré les interdictions des milliers de manifestants étaient venus protester, se sont achevés sur un bilan lourd. Du côté des opposants – qui étaient entre 6 000 et 300 000 selon les sources –, les organisateurs ont parlé de 200 blessés, dont 40 grièvement. Le pronostic vital d’un manifestant de 30 ans blessé à la tête par un tir de grenade était toujours engagé ce lundi 27 mars. Du côté des gendarmes, 47 agents ont été blessés, deux d’entre eux se trouvant en état d’urgence absolue.
L’événement inquiète le journal allemand Die Tageszeitung. “Les affrontements étaient inévitables”, estime le quotidien de gauche proche du militantisme écologique. “Les forces de l’ordre, qui ont été attaquées avec différents projectiles et des cocktails Molotov, ont tiré pas moins de 4 000 grenades, et souvent sur des défenseurs de l’environnement qui manifestaient pacifiquement.” Après des heures, les affrontements ont cessé, mais pas la colère.
Une répression violente pointée du doigt
À Milan, le Corriere della Sera fait également le lien avec la semaine précédente. “La contestation gagne les campagnes. Les dizaines de blessés, dont certains grièvement, marquent l’ouverture d’un nouveau front de tensions en France, après les incidents de ces derniers jours lors des manifestations contre la réforme des retraites.” La France venait tout juste de découvrir le bilan également lourd des dernières manifestations : des centaines de blessés et d’interpellés, des feux dans les rues, des bâtiments officiels attaqués…
Vendredi 24 mars, rappelle The Guardian à Londres, une instance européenne est venue justement sonner l’alerte sur le droit de manifester : “La police française accusée de faire un usage excessif de la force vis-à-vis des manifestations contre les retraites”, titre le quotidien de gauche. Selon la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, “les personnes souhaitant se rassembler pacifiquement ont le droit d’être protégées des ‘violences policières’, et les actes répréhensibles menés par certains manifestants contre des représentants de l’ordre ne peuvent en aucun cas justifier une répression violente.”
Un remake de la répression des “gilets jaunes” ?
Le communiqué public de Dunja Mijatovic a eu pour effet de mettre sous les feux des projecteurs un sujet récurrent dans l’Hexagone et auquel réagissent quelques titres étrangers aujourd’hui : 17 enquêtes ont été ouvertes par l’IGPN pour des soupçons de violences policières depuis le début des manifestations, le 19 janvier, rapporte en Espagne El Periódico. Élément emblématique, explique le quotidien catalan, un enregistrement démontre l’attitude insultante et humiliante envers des manifestants des membres de la Brav-M, le groupe d’intervention policier constitué de binômes à moto intervenant essentiellement lors de manifestations.
Ajouté à cela le nombre important de 442 interpellations de manifestants la semaine dernière, dont seulement 52 ont été déférés en comparution immédiate, ces données laissent penser que “l’exécutif macroniste a répondu par la répression policière”, résume Contexto. Un fait qui rappelle de mauvais souvenirs, pour le site d’information de gauche espagnol. “La systématisation de la violence avait permis à Macron de renverser la situation contre les ‘gilets jaunes’ – va-t-il en être de même pour le mouvement contre les retraites ?”
“La police est à l’image du pays”
“La police française est donc, de nouveau, en accusation”, constate en Suisse Blick qui passe en revue l’historique des reproches qui ciblent les forces de l’ordre hexagonales : la crise des “gilets jaunes” en 2018-2019 ; l’interpellation très violente du producteur de musique Michel Zecler en novembre 2020 ; les émeutes en banlieue en 2005…, tous des faits qui “scandent” l’actualité du pays. Mais aux yeux du journaliste il ne s’agit pas d’une attitude à sens unique, mais plutôt d’une spirale qui s’autoalimente.
“La réalité est que la police est, en France, à l’image du pays : la violence de ses interventions est à mettre en rapport avec l’augmentation de la violence dans les manifestations”, estime-t-il citant différentes publications mettant en avant la violence des deux côtés. “En France, le nombre de blessures mortelles est ainsi bien plus élevé que dans le reste des pays d’Europe de l’Ouest.” Et Blick de conclure : “La France malade de sa police ? Peut-être. Mais surtout malade de ses crises à répétition et de son incapacité à sortir du cycle manifestation-répression… ”
Pendant ce temps, du côté de l’exécutif, l’heure est à une tout autre ambiance. Dimanche 27 mars, Élisabeth Borne a déclaré souhaiter de l’“apaisement” avec les syndicats. Après une réunion à l’Élysée ce lundi, la Première ministre recevra également les partis d’opposition dans la semaine du 3 avril. En outre, elle a déclaré renoncer à l’usage de l’article 49.3, hormis pour les textes budgétaires.
Carolin Lohrenz