Nicolas Sarkozy souhaite désormais que la France exploite ses hydrocarbures non conventionnels. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
Le Point - Publié le 27/09/2014 Par JASON WIELS
Forer ou ne pas forer nos sous-sols en profondeur, telle est la question. C'est même l'arlésienne du débat énergétique français. Un jour, c'est un rapport parlementaire qui rouvre le débat. Le suivant, un avis de l'Académie des sciences. Un autre encore, c'est Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui veut une extraction "propre" des gaz de schiste. Puis les think tanks s'en mêlent : un classé à gauche, l'autre à droite !
Le revirement de Nicolas Sarkozy jeudi sur le dossier incarne parfaitement ce va-et-vient incessant. En 2011, c'est sous sa présidence que la loi Jacob est adoptée. Elle sera validée en 2013 par le Conseil constitutionnel. Elle interdit "l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique", seule technique éprouvée pour libérer et récupérer les huiles et gaz de schiste prisonniers de la roche-mère, bien que décriée aussi pour son impact environnemental. Dans la foulée, Nicolas Sarkozy demande à sa ministre de l'Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, de "veiller à ce que les permis [des compagnies pétrolières, NDLR] soient strictement limités aux activités conventionnelles". "C'est clair et c'est définitif", ajoutait-il.
Trésor ou malédiction ?
Pourtant, jeudi, pour son premier jour de campagne sur le terrain, le candidat à la présidence de l'UMP a pris un virage à 180 degrés : "Je ne peux pas accepter que les États-Unis soient devenus du point de vue de l'énergie indépendants grâce au gaz de schiste et que la France ne puisse pas profiter de cette nouvelle énergie alors que le chômage ravage tant de nos familles. C'est inacceptable." Face à l'atonie de la croissance, le gaz de schiste serait-il la solution ?
Encore faudrait-il connaître exactement les réserves françaises. C'est la question à un milliard de barils, peut-être plus, peut-être moins. Il est en effet aujourd'hui difficile de dire si nous sommes assis sur un trésor. Ou une malédiction, car, pour certains écologistes, à l'heure de la lutte contre le changement climatique, mieux vaudrait laisser sagement ces ressources gazière et pétrolière là où elles sont. D'un autre côté, la facture énergétique de la France, qui s'élevait en 2012 à 68,7 milliards d'euros, ne peut laisser indifférent. N'est-il pas préférable de brûler une énergie bleu-blanc-rouge et taxer cette manne certes polluante, plaident d'autres, pour financer la transition énergétique ?
Le grand écart des estimations
"Il existe deux réserves en France : le Bassin parisien, où se trouve de l'huile de schiste, et le bassin du Sud-Est qui contient du gaz de schiste. Le premier est mieux connu en raison du nombre de puits forés et des données acquises de caractérisation de la roche-mère", analyse François Kalaydjian, directeur adjoint à l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen). Malgré l'historique parisien, la fourchette des estimations reste tout de même très large.
Selon "une extrapolation grossière" (sic) publiée par le CGEIET et le CGEDD*, il y aurait 6,3 milliards de barils de pétrole potentiellement récupérables dans ce bassin qui s'étend du Havre à la Lorraine. Hess, un pétrolier américain, est moins optimiste. Citée par un rapport parlementaire, l'entreprise voit plutôt de 1 à 6,4 milliards de barils non conventionnels à aller chercher. La différence est de taille. Un milliard de barils, c'est un an et demi de consommation nationale en 2013. Fourchette haute ? On passe à près de dix ans...
Du côté du gaz dans le Sud-Est, alors, là, ce n'est plus un écart, mais un gouffre ! Si l'on en croit des données là aussi extrapolées en 2013 par l'Agence américaine d'information sur l'énergie, les sous-sols français contiendraient "3 900 milliards de mètres cubes de gaz techniquement récupérables". Preuve que l'estimation est à la louche : elle est en baisse de 23 % par rapport aux premiers calculs réalisés en 2011. Ce chiffre a toutefois de quoi faire rêver n'importe quel géant du gaz, c'est presque un siècle de la consommation nationale. Cette fois, c'est le CGEIET et le CGEDD qui modèrent ces estimations. En se basant sur des chiffres fournis notamment par Total et GDF Suez, ils estiment les réserves de gaz à 500 milliards de mètres cubes techniquement exploitables, soit près de 15 ans de consommation.
Il faudrait bien sûr mener des forages exploratoires pour en avoir le coeur net, mais, même sur ce point, difficile de dire combien de puits tests il faudrait creuser. "Je ne peux pas vous dire a priori combien il faut forer de puits, il n'y a pas de chiffre magique. Quelques dizaines sans doute ? Cela dépend de l'hétérogénéité du bassin, de sa structure, de la variabilité des propriétés de la roche, etc.", pointe François Kalaydjian. Une fois les puits forés, quels que soient les résultats, la tentation pourrait être forte de les exploiter...
En parallèle, personne ne s'est vraiment soucié d'estimer d'éventuels dommages environnementaux - combien coûterait, par exemple, la contamination d'une nappe phréatique à cause d'une brèche dans le puits du forage ? Bref, face à beaucoup d'incertitudes, difficile pour l'instant de trancher la question, chiffres contre chiffres, bénéfices économiques contre coût écologique.
Les Français prêts à céder leurs jardins ?
Les Français, à force d'entendre régulièrement le sujet revenir à leurs oreilles, commencent à se faire une opinion sur le sujet. Selon l'Ifop, qui a réalisé une étude sur les Français et le gaz de schiste début 2013, plus d'un sur deux connaît le sujet. Parmi ceux-là, 58 % d'entre eux se déclarent favorables à des forages exploratoires, mais 85 % estiment que c'est une technique que l'on maîtrise mal. Pas sûr qu'ils sachent en revanche que, contrairement aux Américains, propriétaires de leur sous-sol, en France, une exploitation d'hydrocarbures sur un terrain privé ne rapporte pas un centime à son propriétaire. En tout cas, en l'état de notre Code minier, dont la refonte se fait toujours attendre. Avoir les nuisances sans les bénéfices, pas sûr que cela aide à multiplier les forages sur le territoire...
Une anecdote venue d'outre-Atlantique résume d'ailleurs bien tout le problème. Rex Tillerson, le P-DG d'Exxon - le plus gros producteur de gaz américain -, a porté plainte contre ses voisins pour empêcher l'installation d'un château d'eau aux portes de son ranch. Le bâtiment devait servir de réservoir pour alimenter, grâce à une nuée de poids lourds, des forages très gourmands en eau. De quoi faire perdre en calme et en valeur sa propriété... Le gaz de schiste, oui, mais pas dans son jardin.
* Les hydrocarbures de roche-mère en France, rapport initial et rapport complémentaire (février 2012), Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET) et Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)