Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme
Renouer avec l’éthique de la disputatio et le savoir comme horizon commun
Bruno Andreotti, Camille Noûs
Extraits:
...les prises de position publiques d’un milieu que je qualifierai ici de pseudo-rationaliste, mêlant des « sceptiques », des zététiciens
, des vulgarisateurs, des militants « libertariens » , des cadres, des ingénieurs et de jeunes chercheurs, m’apparaissent orthogonales pratiquement en tout point à mes conceptions, que je professe depuis plus de vingt ans dans des modules de formation à la méthode scientifique par l’expérimentation...
...Cet éditorial adopte le point de vue du praticien, avec une visée d’objectivation, d’une part, et d’alerte, d’autre part, en direction des universitaires, des amateurs de science comme des rationalistes, sur les tentatives de dérégulation des normes de véridiction savante...
La simplicité affectée est une imposture délicate
Le réseau social Twitter constitue un terrain d’observation privilégié de la constitution d’une communauté pseudo-rationaliste. Si quelques milliers de chercheurs et d’universitaires francophones y possèdent des comptes et y partagent des articles scientifiques, leur influence reste confinée et leur audience faible. L’essentiel de ce qui s’y écrit autour de la science procède de la vulgarisation, de la diffusion d’articles de presse et du débat politique autour de la régulation de techniques industrielles et agricoles. La communauté pseudo-rationaliste y est composée de quelques centaines de personnes, hyperactives en ligne, pour la plupart sans production scientifique (hormis quelques doctorants, souvent en thèse industrielle ou en reprise d’études). Les ingénieurs y sont fortement représentés, et en particulier ceux de grandes entreprises publiques privatisées. On y compte aussi quelques dizaines d’agriculteurs et une cinquantaine de militants « libertariens », les « Ze », formant un sous-milieu radicalisé de cadres commerciaux, de traders, de cadres d’assurance, etc. Parmi les figures saillantes du milieu pseudo-rationaliste en ligne, on compte trois journalistes, Emmanuelle Ducros (L’Opinion), Géraldine Woessner, (Le Point) et Peggy Sastre (Le Point et Causeur), un animateur de télévision, Olivier Lesgourgues dit Mac Lesggy, un entrepreneur « libertarien », Laurent Alexandre, des communicants vulgarisateurs de GRDF, d’EDF, d’Orano (ex-Areva), de BASF et de Bayer, ainsi que des youtubeurs du mouvement zététique/sceptique. La tribune #NoFakeScience a récemment servi à fédérer ce milieu . Sur Twitter, les « Ze », les « Zet » et les autres forment une communauté solidaire mais hétérogène, portant des attaques en meute et, se défendant en adoptant la posture du martyr numérique que je décrirai plus bas. Ainsi, l’annonce du présent article m’a valu six menaces de procès, la collecte et la diffusion des quelques photographies en ligne où je figure, la recherche de mon adresse privée et une incroyable cohorte d’insultes.
Le pseudo-rationalisme se nourrit ainsi de la frustration de cadres supérieurs qui conjuguent un attrait pour la science et un éloignement prolongé vis-à-vis de sa pratique : la formation professionnelle des Grandes Écoles ne les a jamais confrontés qu’à des problèmes qui admettent des solutions calculatoires préétablies. Il témoigne de l’héritage délétère du système napoléonien, fondé sur le concours, qui n’a jamais réussi à se réformer pour se rapprocher du système humboldtien , fondé sur la science.
La zététique a été fondée par Henri Broch en 1986 avec le service minitel 3615 ZET, puis réactivée en 1993 comme un enseignement d’autodéfense intellectuelle contre le charlatanisme et contre une vogue supposée pour les phénomènes paranormaux . Chercheur contractuel, financé par des contrats militaires depuis sa thèse soutenue en 1978, Henri Broch n’a jamais publié aucun article scientifique dans une revue à comité de lecture. Ses cours se veulent une vulgarisation ludique de la méthode scientifique sur des sujets paradoxalement rendus attractifs par le caractère spectaculaire qu’ils entendent dénoncer. Pourtant, de la méthode scientifique, telle que je l’ai définie plus haut, il ne reste presque rien hormis la reproduction objectivée et raisonnée de phénomènes présentés comme paranormaux. En particulier, toute la dimension collective du travail de véridiction scientifique s’en trouve évacuée. La zététique prétend au contraire transposer la méthode scientifique à l’échelle de l’individu comme mode d’appréhension de son environnement quotidien, le doute méthodique et l’exercice du raisonnement étant supposés lui permettre de réfuter des croyances par leur seul exercice. Comparé au rationalisme, c’est non seulement l’institution scientifique qui est congédiée au profit du seul doute, mais aussi la responsabilité du savant dans le développement technoscientifique.
.....
En parallèle du laboratoire et de l’enseignement du même nom, la zététique apparaît comme militantisme avec la fondation par Paul-Éric Blanrue, alors militant royaliste, du Cercle Zététique en 1993, puis, en 1994, des Cahiers de zététique sous la présidence d’honneur d’Henri Broch. Pendant 10 ans, les positions à l’extrême-droite de Paul-Éric Blanrue sont connues et ne posent pas problème, la zététique transcendant prétendument les clivages politiques. L’exercice du doute le conduit à se rapprocher de Robert Faurisson : Paul-Éric Blanrue devient antisémite et négationniste, qualifiant « la question des chambres à gaz et du génocide juif » de « cœur de la nouvelle religion mondiale ». La scission du micro-mouvement zététique en 2003, la frange modérée, que Paul-Éric Blanrue appelle la « zététique de l’autruche », fondant l’Observatoire zététique, conduit à une radicalisation du Cercle Zététique ; en témoignent la mise en ligne d’une vidéo de promotion de Robert Faurisson et la reprise des accusations de plagiat envers Albert Einstein, émises par le Club de l’Horloge . En 2010, Paul-Éric Blanrue lance avec Jean Bricmont, de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), une pétition contre la loi Gayssot, rapidement signée par Bruno Gollnisch, Alain Soral, Dieudonné M’Bala M’Bala, Robert Faurisson et les zététiciens demeurés dans le Cercle. Paul-Éric Blanrue se dit aujourd’hui « libertarien » et demeure « spécialisé dans la détection des mystifications ».
....
Cependant, il convient de s’interroger sur la permanence d’une porosité de la communauté pseudo-rationaliste au confusionnisme politique. Ainsi, Alain de Benoist a été membre de l’Union rationaliste, où il a été introduit par le Vichyste Louis Rougier, qui avait été l’auteur de 18 notices du dictionnaire rationaliste dans les années 1960 . Laurent Dauré est simultanément membre du conseil d’administration de l’AFIS et membre du bureau du parti conspirationniste de François Asselineau, l’Union Populaire et Républicaine (UPR), après avoir été militant dans le parti d’extrême-droite de Paul-Marie Couteaux, Rassemblement pour l’Indépendance de la France (RIF). Le youtubeur Aurélien Enthoven, de la chaîne de réfutation sceptique M-Gigantoraptor, s’est lui aussi engagé à l’UPR . La prétention des zététiciens à dépasser les idéologies et la confiance accordée à leur posture de fact-checkers dans l’exercice individuel du doute agissent comme facilitateurs du confusionnisme politique. Interpellé après une table ronde sur la zététique avec des youtubeurs proches de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist, de la revue Krisis et d’Alain Soral et avec Serge Bret-Morel, ex-président de l’Observatoire zététique, le youtubeur zététicien Thomas C. Durand, de la chaîne La Tronche en Biais, s’est justifié ainsi auprès des « bien-pensants de Twitter » : « Certains militants […], de toute évidence, ont cru que la zététique devait d’une certaine manière leur appartenir. […] Laissez-nous partager avec tout le monde les outils de l’esprit critique. »
....
le terme « climatoscepticisme » a été forgé en référence à la méthode sceptique et introduit en France par Charles Champetier, dit Charles Müller, ancien bras droit d’Alain de Benoist au Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) et à la revue d’extrême-droite, Éléments . Ses vues climato-négationnistes ont été diffusées par la revue de l’AFIS, grâce à sa proximité avec la journaliste libertarienne Peggy Sastre, avec qui il a coécrit deux ouvrages et qui était alors au conseil d’administration de l’AFIS .
Faut pas être sorti de polytechnique pour comprendre pourquoi Zombizy, pourquoi Tryphon, pourquoi Végaz... Bouzo étant hors concours car rattrapée par la folie des glandeurs placardisés auxquels ils ne reste que le "c'est celui qui dit qui est".