Peter Navarro, le chauffeur de taxés
Par Anne-Sophie Mercier
L’allumé des droits de douane délirants, c’est lui ! Si les Républicains ont longtemps tenté de le tenir à distance de Donald Trump, il a réussi à se frayer un chemin jusqu'au milliardaire pour devenir son principal conseiller économique.
© KIRO
A quoi ça tient, une guerre commerciale mondiale… En février 2018, un type inconnu du grand public, un certain Rob Porter, est obligé de lâcher son job car deux de ses ex-femmes l’accusent de violences conjugales. Le visage tuméfié de l’une d’elles paraît même dans la presse et fait le tour de Washington. Le départ de l’obscur Rob Porter eut d’incalculables conséquences. Car ce cerbère du Parti républicain était dans la vie le bras droit du chef de cabinet de Donald Trump lors de son premier mandat, et l’une de ses principales missions était de bloquer l’accès d’un certain Peter Navarro au bureau présidentiel.
Navarro, l’establishment républicain, encore puissant à cette époque, s’en méfiait comme de la peste. Cet économiste iconoclaste, partisan d’une guerre commerciale totale avec la Chine, et qui avait tapé dans l’œil à Trump, effrayait le « Grand Old Party », aux convictions libérales assumées. N’était-ce pas un congrès républicain qui avait voté pour l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, en 2001 ? Le business et l’abaissement des barrières douanières adouciront les mœurs chinoises, on fera en vingt ans de tous ces petits rouges de braves sociaux-démocrates mollassons, prédisaient les experts du parti. Quelle clairvoyance…
Tarif, fais-moi peurRob n’était pas manchot : quand il était encore là, Navarro occupait un bureau parmi d’autres dans l’Eisenhower Building, où s’entassent les collaborateurs présidentiels, non loin de la Maison-Blanche. Une mise au placard réussie. Rob Porter parti, personne n’est nommé pour le remplacer dans cette tâche aussi ingrate qu’essentielle, et le paria file s’incruster dans le bureau Ovale. Voilà comment Peter Navarro, l’homme dont Elon Musk assure qu’il est « plus bête qu’un tas de briques », est devenu l’un des hommes les plus puissants du monde.
C’est finalement grâce à Jeff Bezos, à l’époque ennemi juré de Trump, que ce dernier a croisé la route de celui qu’il appelle « le tsar des tarifs douaniers », quand il ne lui donne pas du « mon Peter ». En 2015, le futur président, en pleine campagne, demande à Jared Kushner, Monsieur Gendre, de lui trouver un économiste qui valide ses thèses protectionnistes. Sors-moi un lapin de ton chapeau, Jared, un lapin qui porte beau. Vite, vite, Kushner, qui n’y connaît rien, se rue sur Amazon. Et déniche des livres de Navarro, diplômé de Harvard, sur la Chine prédisant un futur apocalyptique à la naïve Amérique. En plus, le cador a écrit et réalisé en 2012 un documentaire sur le sujet, « Death By China », adaptation d’un de ses livres, qui a eu un certain succès. En voilà une riche idée, Jared, va me chercher ce Navarro. On y alla, coup de foudre immédiat. Jared, tu sais quoi ? il est parfait.
Am, stram, anagrammeNavarro, aujourd’hui tout-puissant, a passé l’épreuve du feu. Non seulement il a soutenu mordicus la thèse de l’élection volée en 2020, refusé d’être auditionné et de verser des documents à la commission d’enquête, ce qui lui a valu quatre mois de prison, mais il est aussi le concepteur du Green Bay Sweep, une stratégie judiciaire pour tenter d’inverser les résultats de 2020. Avec un succès limité. Cet échec ne l’a jamais fait douter de lui : la guerre commerciale, l’affaire de sa vie, sera un succès.
C’est bête comme chou : ces droits de douane généreront 600 milliards de dollars par an, ce qui permettra de baisser les impôts, de relancer l’investissement et la consommation. Les turbulences boursières ? Du calme, hommes de peu de foi, il suffit d’attendre : la remontée des cours sera phénoménale. Ce qui lui permet de l’affirmer ? Sans doute ses conversations avec un certain Ron Vara, un « expert » qu’il aime citer dans ses livres et dont le nom est l’anagramme du sien…
Magatisme avancéPeter Navarro a compris ce qui fait la longévité dans la galaxie trumpiste : la loyauté absolue. Il ne dit donc rien des taux farfelus appliqués à des territoires n’ayant quasiment pas d’échanges avec Washington. Songe-t-il parfois à cette époque, pas si lointaine, où il fut démocrate, brigua la mairie de San Diego sous ces couleurs, défendit l’avortement et le mariage gay ?
La montée en puissance de Navarro a coûté à Musk des dizaines de milliards de dollars. Lui qui adorait se balader une tronçonneuse à la main et un chapeau en forme de fromage sur la tête a perdu tout sens de l’humour. Des rumeurs insistantes circulent sur son départ de la Maison-Blanche. Il a pris les représentants du mouvement Maga pour des crétins patentés, et c’est un de ses chefs de file qui donne le « la ». Navarro, peinard, va pouvoir répéter à Trump sa phrase favorite : « La vérité est ce que les gens croient. » C’est tellement bien qu’on dirait… du Ron Vara.