Canada : un potentiel fournisseur "mondial" d'hydrocarbures
19 Avril 2012 enerzine
La province canadienne de l'Alberta se place actuellement au 3ème rang mondial en termes de réserves de pétrole ; la société de conseil et d'aide à la décision, Alcimed revient sur la production de pétrole à partir de sables bitumineux au Canada.
Le sable bitumineux est un mélange de bitume brut, de sable, d'argile minérale et d'eau, dont l'aspect est quasiment solide à l'état nature. Pour récupérer l'hydrocarbure, l'exploitant doit liquéfier le bitume emprisonné dans la roche, en le chauffant. Puis, il raffine le bitume (upgrading) pour obtenir un hydrocarbure de synthèse (synthetic crude oil) qui sera ensuite commercialisable.
En 2010, les réserves de pétrole de l'Alberta se montaient à 170 milliards de barils, soit 96% des réserves du Canada et 12% des réserves mondiales, ce qui place la région en troisième place, derrière l'Arabie Saoudite (260 milliards de barils) et le Venezuela (210 milliards de barils). Sur les 170 milliards de barils de réserves de l'Alberta, plus de 99% sont des réserves de sables bitumineux1.
Selon le Canadian Energy Research Institute, l'exploitation des sables bitumineux nécessiterait des investissements supérieurs à 250 milliards de dollars américains d'ici 2030 et créerait 800 000 emplois sur la même période.
L'un des enjeux majeurs de l'exploitation des sables bitumineux « in-situ » ou « exsitu » est l'impact environnemental.
80% de ces réserves sont estimées être récupérables par des méthodes dites « in-situ » contre 20% de récupérables par des méthodes « ex-situ ».
L'extraction « ex-situ » : l'exploitant rase la forêt pour pouvoir creuser une mine à ciel ouvert et recueillir le sable, qui est ensuite apporté dans des usines d'extraction de bitume. Fin 2011, 663 km2 de terres ont été concernés par des activités d'extraction de sables bitumineux « ex-situ », soit environ 1,75% des forêts septentrionales de l'Alberta. Cette technique est très largement controversée aujourd'hui, à la fois à l'intérieur du pays (dégradation du paysage et de la faune, pollution etc.) et à l'extérieur. Le 23 février dernier, la Commission Européenne a soumis au vote une proposition de loi qui doit indiquer que le pétrole produit à partir de sables bitumineux est plus polluant que toutes les autres formes de pétrole : selon la proposition de loi, la production de pétrole à partir de sable bitumineux produit 107 grammes de carbone par mégajoule, soit nettement plus que les 87,5 grammes communément admis pour le pétrole conventionnel2.
L'extraction « in-situ » est utilisée pour exploiter les dépôts enfouis plus profondément et dont l'extraction minière ne serait pas économiquement rentable : elle permet de séparer le sable du bitume directement dans le réservoir. L'injection de vapeur d'eau (à environ 300°C) à haute pression (100 bars)3 entraîne une diminution de la viscosité du bitume, qui peut ensuite être plus facilement pompé.
Deux techniques peuvent être utilisées : le CSS (Cyclic Steam Stimulation) utilisant un même puits pour alterner injection de vapeur et récupération de bitume, ou le SAGD (Steam Assisted Gravity Drainage) exploitant des puits horizontaux associés deux à deux – le puits du dessus injecte de la vapeur tandis que le puits du dessous recueille eau et bitume.
Un enjeu majeur : l'impact environnemental
Ces techniques consomment toutes deux de très larges volumes d'eau, dans une région où il existe déjà des tensions autour de cette ressource. Selon le gouvernement canadien, 7,5 à 10 barils d'eau sont nécessaires pour produire 1 baril de bitume dans un type d'extraction « ex-situ », et 2,5 à 4 barils sont nécessaires dans le cas d'une extraction in-situ.
Aujourd'hui, l'industrie est à la recherche de technologies plus propres et plus économes en eau. Des progrès ont été faits : l'utilisation de la ressource en eau pour les opérations de mines à ciel ouvert continue de diminuer alors que la production de sables bitumineux grâce à ce processus est en augmentation. En parallèle, de nombreux projets « in-situ » recyclent jusqu'à 90% de l'eau utilisée dans leurs opérations, voire 95% avec des techniques d'évaporation comme celle de General Electric.
Par ailleurs, l'industrie tend à utiliser dès que possible l'eau d'aquifères profonds, impropres à la consommation directe, plutôt que de l'eau de surface. Ainsi, si l'on en croit le Government of Alberta, en ayant un taux de recyclage de 40 à 70% pour la technique « ex-situ » et un taux de 70 à 90% pour la technique « in-situ », seuls 3 à 4,5 barils d'eau et 0,5 barils d'eau respectivement seront nécessaires pour produire un baril de bitume4.
Pour réduire la consommation en eau du SAGD, la technique la plus utilisée aujourd'hui, un nouveau procédé a été développé : le SAGD-ES. Cette technique inclut dans l'injection de vapeur l'ajout d'un solvant (mélange d'hydrocarbures légers), ce qui réduit les besoins en vapeur et augmente la récupération. Ce procédé est plus onéreux que le SAGD traditionnel et une chute des prix du pétrole conduirait à l'arrêt de ce type d'exploitation5.
Le Canada choisit de se tourner vers la Chine pour acquérir de nouveaux clients pour ses sables bitumineux.
Aujourd'hui, les seuls et uniques importateurs de pétrole issu des sables bitumineux sont les Etats-Unis. Il est prévu que cette ressource énergétique devienne la première source d'importation de pétrole des Etats-Unis au cours de l'année 2012, au même niveau que les importations cumulées en provenance d'Arabie Saoudite et du Koweït, et dépassant les importations de pétrole conventionnel canadien6.
« En effet, en 2010, le Canada a exporté environ 2 millions de barils de pétrole par jour vers les Etats-Unis, dont 1,4 million en provenance de l'Alberta. Les sables bitumineux ont donc permis aux Etats-Unis d'assurer 7% de leurs besoins en pétrole7, » précise Cécile Marion, Consultante dans l'activité Energie & Environnement d'Alcimed.
A la recherche de nouveau clients à l'Ouest…
Grâce aux sables bitumineux, le Canada espère devenir un fournisseur mondial de pétrole et réduire sa dépendance à l'égard des Etats-Unis, d'autant plus que ces derniers ont rejeté le projet de construction d'un oléoduc entre l'Alberta et la côte du Texas en janvier dernier8. D'autre part, étant donnée l'attitude réprobatrice de la Commission Européenne face à l'exploitation des sables bitumineux, il est peu probable que la construction d'un long oléoduc de l'Alberta à la côte est du Canada soit rentable (en vue d'exporter vers l'Europe).
En revanche, construire un oléoduc de l'Alberta vers la côte ouest en vue d'exporter de l'énergie vers la Chine, semble plus intéressant. Les investisseurs chinois sont attirés par les sables bitumineux canadiens au point d'y avoir investi plus de 15 milliards de dollars en 18 mois (2010-2011). La plupart des investissements récents ont été réalisés par des entreprises chinoises achetant des parts dans des projets existants, comme les 2,1 milliards placés par CNOOC dans le projet Long Lake en Alberta9 en novembre 2011.
« En effet, pour la Chine, le Canada représente une alternative intéressante aux pays en conflit auprès desquels elle s'approvisionne aujourd'hui, comme l'Iran, le Soudan ou l'Irak. Le Canada est stable politiquement, et relativement proche géographiquement. Des discussions sont en cours : le Premier Ministre canadien est allé passer quatre jours en Chine début février, accompagné de Shell Canada, Enbridge et Canadian Oil Sands, pour échanger sur un partenariat potentiel » conclut Jean-Philippe Tridant Bel, Responsable de l'activité Energie & Environnement d'Alcimed.
1 Government of Alberta : ICI
2 Reuters : ICI
3 “An Introduction to Development in Alberta’s Oil Sands”, University of Alberta
4 Note : ICI
5 CNRS : ICI
6 NY-Times : ICI
7 http://www.energy.gov.ab.ca/OilSands/791.asp
8 http://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-16621398
9 http://www.chron.com/business/article/C ... 176114.php
http://www.enerzine.com/10/13845+canada ... ures+.html