Apprenons à aimer les guêpes !
Ces insectes mésestimés sont de précieux pollinisateurs. Ils peuvent nous débarrasser de nuisibles. Leur venin pourrait même aider à nous soigner.
Tout le monde aime les abeilles. Elles sont appréciées pour la saveur de leur miel, leur éthique de travail collaboratif et leurs précieux services de pollinisation commerciale. Lors d’un sondage mené en 2019, 55 % des personnes interrogées citaient les abeilles comme la première espèce à sauver, avant les éléphants et les tigres.
Notre vision des guêpes est bien différente. Ces indésirables qui s’invitent à nos pique-niques sont honnies depuis des millénaires. Plutarque les décrivait comme des abeilles dégénérées. Notre attitude vis-à-vis de la variété de guêpe la plus grande, le frelon (Vespa), est encore plus négative.
Les tabloïds britanniques colportent des histoires effrayantes sur la manière dont une espèce invasive, le frelon asiatique (Vespa velutina), menace la production de miel et les pollinisateurs du pays. De leur côté, les énormes mais dociles frelons européens (Vespa crabro), continuent d’être persécutés – par peur et par ignorance –, alors même que leur nombre diminue, un phénomène dont on ne semble guère se soucier.
Le jugement que nous portons sur cette famille d’insectes est-il injuste ? Nul doute que nous sommes mal informés. Des instituts entiers se consacrent à l’étude des abeilles, alors que la recherche sur les vespidés est au point mort. Les fonds étant limités, les projets sont rares et leurs résultats souvent mal interprétés par la presse, ce qui ne fait que renforcer nos préjugés. Or, ce que nous avons appris sur les guêpes n’a rien de négatif. Loin d’être désagréables et agressives, elles ont un rôle bénéfique pour les écosystèmes, l’économie et même notre santé.
Sans elles, des orchidées auraient disparu de la planète
Prenons par exemple les services écosystémiques, un terme en vogue qui désigne les avantages que nous tirons de la nature. Les abeilles sont peut-être les principaux pollinisateurs de nombreux fruits cultivés, mais ce sont les guêpes qui, avec d’autres insectes, pollinisent la plupart des fleurs sauvages.
En fait, certaines plantes sont exclusivement tributaires des vespidés, dont une centaine d’espèces d’orchidées comme l’épipactis à larges feuilles. Ces plantes qui poussent partout en lisière des forêts, mais jamais en grand nombre, ont une astuce pour attirer des pollinisateurs.
Leurs fleurs produisent le même type de substance chimique volatile que celui émis par des plantes attaquées par des chenilles, ce qui trompe les guêpes prédatrices en quête de proies. Ainsi, les guêpes aspirent le nectar des orchidées et, ralenties par les agents soporifiques qu’il contient – sans doute l’alcool des contaminants fongiques –, elles peuvent récolter davantage de pollen. Sans leurs pollinisatrices éméchées, ces belles plantes auraient disparu de la surface de la planète.
Les guêpes nous sont bénéfiques encore plus directement : elles constituent le troisième plus grand prédateur d’insectes après les oiseaux et les araignées. À l’aide de leur puissante mâchoire triangulaire, elles tuent les proies qu’elles capturent dans les plantes ou dans l’air. Après avoir découpé les ailes, peu nutritives, de leurs victimes, elles emportent leurs corps démembrés jusqu’au nid pour nourrir leur progéniture.
Des nids de guêpes pour protéger les champs de coton
On estime qu’au plus fort de la saison une colonie de guêpes capture entre 3 000 et 4 000 proies par jour. Leurs cibles favorites sont les cloportes, les araignées, les coléoptères volants, et plus rarement, les papillons et les abeilles. Elles viennent aussi rapidement à bout de nuisibles comme les pucerons, les chenilles, les punaises et les mouches.
Au début du XXe siècle, on installait de petits nids de guêpes cartonnières autour des champs de coton caribéens pour stopper l’infestation de chenilles très voraces, les vers de la capsule du cotonnier. Des études récentes montrent que les guêpes cartonnières, qui portent aussi le nom évocateur de Polistes satan, régulent le nombre des larves de deux des plus grands nuisibles du monde, la pyrale de la canne à sucre et la chenille légionnaire d’automne, qui se nourrit de plantes comme le maïs.
Le dard de la guêpe peut lui-même s’avérer utile. Son venin sert à tuer ses proies, mais des espèces sociales s’en servent aussi pour se défendre. En outre, les larves des vespidés, riches en protéines, sont l’un des mets favoris d’animaux comme le ratel et la bondrée apivore.
Leurs cibles préférées sont les nids souterrains. Pour se protéger des piqûres pendant qu’ils extraient les larves, les ratels disposent de poils raides et hérissés sur le museau et les bondrées, de plumes écailleuses autour des yeux et du bec. À mesure que les défenses des prédateurs se sont renforcées, le venin de la guêpe a acquis une plus grande puissance pour les tenir à distance.
Son venin détruit les cellules cancéreuses des souris
Cette course à l’évolution a contribué à transformer le dard de la guêpe en une arme redoutable injectant en moyenne 15 microlitres de venin – un cocktail de molécules bioactives qui varie selon les espèces. Parmi ces molécules figurent des histamines qui augmentent le flux sanguin, des protéases et des lipases qui provoquent la destruction de tissus et de cellules sanguines, et des neurotransmetteurs qui surstimulent les nerfs.
Les êtres humains ne sont peut-être pas la population cible de la guêpe, mais une seule piqûre peut provoquer une réaction cutanée de la taille d’une balle de ping-pong, et plusieurs [simultanées] vont jusqu’à engendrer rougeur, nausées, vomissements, difficultés respiratoires et confusion. Lorsqu’une personne est piquée par plus de cent guêpes, des soins d’urgence s’imposent : il n’existe pas d’antivenin, mais une dialyse peut éliminer les toxines contenues dans le sang avant qu’elles n’occasionnent des dégâts organiques majeurs.
Paradoxalement, les venins ont souvent des applications médicales. Plusieurs de leurs substances actives sont déjà prometteuses. Ainsi, un extrait du venin de la guêpe brésilienne Polybia paulista détruit les cellules cancéreuses (du moins, sur des souris) en se fixant sur des lipides de leur membrane. Cet extrait fait partie des composants du venin appelés “mastoparans” [une toxine peptidique].
Un autre type de mastoparan est encore plus prometteur. Comme il se fixe lui aussi sur certains lipides, il pourrait servir à percer la membrane cellulaire de tissus ciblés, soit pour détruire des cellules, soit pour permettre aux traitements d’y pénétrer. Il présente également des capacités antibactériennes et antivirales encourageantes et bloque le développement du parasite vecteur de la maladie de Chagas. D’autres composants du venin de la guêpe sont à l’étude pour traiter des troubles neurologiques, des allergies et des maladies cardiovasculaires.
Cessons de les diaboliser
Qui plus est, les guêpes peuvent jouer un rôle dans la préservation de l’environnement. Comme elles sont affectées par le changement climatique, la pratique de l’agriculture intensive et l’emploi de pesticides qui sont à l’origine d’un large déclin des populations d’insectes, elles peuvent constituer un bon indicateur du stress environnemental si l’on parvient à suivre l’évolution de leur espèce.
C’est à cette fin que le Big Wasp Survey a été lancé en 2017 au Royaume-Uni. Il s’agit d’un projet de science citoyenne conçu pour recueillir des données sur la diversité et la localisation des guêpes en collectant des spécimens à l’aide de pièges posés dans tous les jardins du pays et en comparant les nombres d’espèces et d’individus d’une année sur l’autre.
Notre ignorance au sujet des guêpes est encore trop grande, mais il suffit de dépasser nos préjugés pour saisir le potentiel qu’elles peuvent représenter pour surmonter certains de nos plus grands problèmes. Cessons de les diaboliser et apprenons à les aimer.
Richard Jones