Biocarburants : fausse bonne idée ?
Publié : 14/02/06, 17:30
D’après un article de presse (voir ci-dessous) du journal anglais « The Guardian », le développement en masse des biocarburants seraient très mauvais pour la planète (voir article ci-dessous).
Biocarburants: attention, danger!Posted on February 9th, 2006 in Politics, Francais, Environment.
Pour l’éditorialiste George Monbiot, les biocarburants sont une fausse bonne idée. Leur production encourage la destruction des forêts tropicales et renforce l’effet de serre.
Selon les calculs du biologiste Jeffrey Dukes, les combustibles fossiles que nous brûlons en un an représentent “44 x 1018 grammes de carbone, soit plus de 400 fois la quantité de matière organique produite annuellement par les différents biotes de la planète”. En langage courant, cela veut dire que nous consommons chaque année la valeur de quatre siècles de plantes et d’animaux. Remplacer ce trésor fossile vieux de plusieurs siècles – et ses extraordinaires capacités énergétiques – par de l’énergie ambiante relève encore de la science-fiction. Il n’existe tout bonnement aucune source énergétique de substitution qui résoudrait le problème. Pourtant, tout le monde en cherche une. Le recours aux biocarburants a été encouragé lors de la conférence sur le changement climatique à Montréal, en 2005, par des pays qui ne veulent pas prendre les décisions difficiles qui s’imposent face au problème du changement climatique. Pourtant, utiliser ces substituts est pire encore que brûler de la matière fossile. Jusqu’à présent, je pensais que le plus gros problème posé par le biodiesel était qu’il instaurait une compétition pour l’exploitation du sol : sur les terres arables, on ne ferait plus pousser de quoi nourrir les hommes, mais de quoi fabriquer du carburant. Or ce qui se passe aujourd’hui est encore pire. L’industrie du biodiesel a inventé sans le vouloir le combustible qui produit le plus de gaz carbonique au monde.
On peut penser qu’encourager l’utilisation du biodiesel permet de créer un marché pour la vieille huile de friture, l’huile de colza ou l’huile dérivée d’algues cultivées dans les régions désertiques. En réalité, on crée un marché pour la culture la plus destructrice de la planète : celle de l’huile de palme. Le ministère de l’Aménagement du territoire malaisien a ré-cemment annoncé la prochaine mise en chantier d’une nouvelle usine de fabrication de biodiesel. Il s’agit de la neuvième décision de ce genre en quatre mois. Quatre autres raffineries sont déjà en construction dans le pays. Deux groupes industriels étrangers – l’un allemand et l’autre américain – construisent actuellement leurs concurrentes à Singapour. Toutes vont produire du carburant à partir de la même source : l’huile de palme. “La demande de biodiesel viendra de l’Union européenne et absorbera la plus grande partie des stocks d’huile de palme brute de la Malaisie”, affirme d’ailleurs le quotidien local The Star. Car le carburant obtenu à partir de l’huile de palme est moins cher que les autres. L’association Amis de la Terre a publié en septembre 2005 un rapport sur l’impact de cette production. “D’après les estimations, peut-on y lire, en Malaisie, 87 % de la défores-tation a été provoqué par le développement des plantations de palmiers entre 1985 et 2000.” A Sumatra et à Bornéo, 4 millions d’hectares de forêt ont été transformés en palmeraies. Et les choses ne vont pas s’arrêter là. La Malaisie envisage de défricher 6 millions d’hectares de plus, et l’Indonésie 16,5 millions.
Le reste de la forêt est également en danger, y compris le célèbre parc national de Tanjung Puting, à Bornéo, qui a été mis en pièces par les planteurs de palmiers. L’orang-outan risque de disparaître à l’état sauvage, et le même sort attend les rhinocéros, les tigres, les gibbons, les tapirs et les nasiques de Sumatra, ainsi que des milliers d’autres espèces. Des milliers d’indigènes ont été expulsés de leurs terres et 500 Indonésiens ont été torturés pour avoir tenté de résister. Les feux de forêt qui plongent régulièrement la région dans une fumée épaisse sont en général allumés par les planteurs de palmiers. Tout le secteur est en passe de devenir un gigantesque champ de palmiers à huile. Et, avant de planter ces arbres de petite taille, il faut abattre et brûler les grands arbres des forêts tropicales, qui contiennent beaucoup plus de carbone. Par ail-leurs, après avoir colonisé les zones sèches, les palmeraies empiètent maintenant sur les mangroves, dont le sol est constitué de tourbe. Une fois les arbres coupés, le sol est asséché. Or, lorsqu’elle sèche, la tourbe émet encore plus de dioxyde de carbone que les arbres [en train de brûler]. Le diesel issu de l’huile de palme se révèle donc encore plus nocif pour l’environnement local et mondial que le pétrole nigérian.
Le gouvernement britannique a donné son feu vert
Le gouvernement britannique est conscient du problème. Il sait que la création d’un marché pour les biocarburants entraînera une forte poussée des importations d’huile de palme, qu’il ne peut rien faire pour les empêcher et qu’elles contribueront à accélérer le changement climatique, mais il a quand même donné son feu vert. A l’instar des conservateurs, au début des années 1990, le gouvernement travailliste est prêt à faire des pieds et des mains pour satisfaire la demande, même si elle doit atteindre des sommets. Au lieu de chercher à réduire celle-ci, il essaie de modifier l’offre. Il est prêt à sacrifier les forêts pluviales d’Asie du Sud-Est pour donner l’impression qu’il fait quelque chose et pour permettre aux automobilistes d’avoir meilleure conscience.
Tout cela illustre bien la futilité des “technobricolages” proposés à Montréal. Tenter de satisfaire une demande croissante de carburant, c’est de la folie, et cela quelle que soit l’origine de ce carburant. On a tout fait pour éviter de prendre les décisions difficiles et on a condamné une autre partie de la biosphère à partir en fumée.
George Monbiot
The Guardian
Biocarburants: attention, danger!Posted on February 9th, 2006 in Politics, Francais, Environment.
Pour l’éditorialiste George Monbiot, les biocarburants sont une fausse bonne idée. Leur production encourage la destruction des forêts tropicales et renforce l’effet de serre.
Selon les calculs du biologiste Jeffrey Dukes, les combustibles fossiles que nous brûlons en un an représentent “44 x 1018 grammes de carbone, soit plus de 400 fois la quantité de matière organique produite annuellement par les différents biotes de la planète”. En langage courant, cela veut dire que nous consommons chaque année la valeur de quatre siècles de plantes et d’animaux. Remplacer ce trésor fossile vieux de plusieurs siècles – et ses extraordinaires capacités énergétiques – par de l’énergie ambiante relève encore de la science-fiction. Il n’existe tout bonnement aucune source énergétique de substitution qui résoudrait le problème. Pourtant, tout le monde en cherche une. Le recours aux biocarburants a été encouragé lors de la conférence sur le changement climatique à Montréal, en 2005, par des pays qui ne veulent pas prendre les décisions difficiles qui s’imposent face au problème du changement climatique. Pourtant, utiliser ces substituts est pire encore que brûler de la matière fossile. Jusqu’à présent, je pensais que le plus gros problème posé par le biodiesel était qu’il instaurait une compétition pour l’exploitation du sol : sur les terres arables, on ne ferait plus pousser de quoi nourrir les hommes, mais de quoi fabriquer du carburant. Or ce qui se passe aujourd’hui est encore pire. L’industrie du biodiesel a inventé sans le vouloir le combustible qui produit le plus de gaz carbonique au monde.
On peut penser qu’encourager l’utilisation du biodiesel permet de créer un marché pour la vieille huile de friture, l’huile de colza ou l’huile dérivée d’algues cultivées dans les régions désertiques. En réalité, on crée un marché pour la culture la plus destructrice de la planète : celle de l’huile de palme. Le ministère de l’Aménagement du territoire malaisien a ré-cemment annoncé la prochaine mise en chantier d’une nouvelle usine de fabrication de biodiesel. Il s’agit de la neuvième décision de ce genre en quatre mois. Quatre autres raffineries sont déjà en construction dans le pays. Deux groupes industriels étrangers – l’un allemand et l’autre américain – construisent actuellement leurs concurrentes à Singapour. Toutes vont produire du carburant à partir de la même source : l’huile de palme. “La demande de biodiesel viendra de l’Union européenne et absorbera la plus grande partie des stocks d’huile de palme brute de la Malaisie”, affirme d’ailleurs le quotidien local The Star. Car le carburant obtenu à partir de l’huile de palme est moins cher que les autres. L’association Amis de la Terre a publié en septembre 2005 un rapport sur l’impact de cette production. “D’après les estimations, peut-on y lire, en Malaisie, 87 % de la défores-tation a été provoqué par le développement des plantations de palmiers entre 1985 et 2000.” A Sumatra et à Bornéo, 4 millions d’hectares de forêt ont été transformés en palmeraies. Et les choses ne vont pas s’arrêter là. La Malaisie envisage de défricher 6 millions d’hectares de plus, et l’Indonésie 16,5 millions.
Le reste de la forêt est également en danger, y compris le célèbre parc national de Tanjung Puting, à Bornéo, qui a été mis en pièces par les planteurs de palmiers. L’orang-outan risque de disparaître à l’état sauvage, et le même sort attend les rhinocéros, les tigres, les gibbons, les tapirs et les nasiques de Sumatra, ainsi que des milliers d’autres espèces. Des milliers d’indigènes ont été expulsés de leurs terres et 500 Indonésiens ont été torturés pour avoir tenté de résister. Les feux de forêt qui plongent régulièrement la région dans une fumée épaisse sont en général allumés par les planteurs de palmiers. Tout le secteur est en passe de devenir un gigantesque champ de palmiers à huile. Et, avant de planter ces arbres de petite taille, il faut abattre et brûler les grands arbres des forêts tropicales, qui contiennent beaucoup plus de carbone. Par ail-leurs, après avoir colonisé les zones sèches, les palmeraies empiètent maintenant sur les mangroves, dont le sol est constitué de tourbe. Une fois les arbres coupés, le sol est asséché. Or, lorsqu’elle sèche, la tourbe émet encore plus de dioxyde de carbone que les arbres [en train de brûler]. Le diesel issu de l’huile de palme se révèle donc encore plus nocif pour l’environnement local et mondial que le pétrole nigérian.
Le gouvernement britannique a donné son feu vert
Le gouvernement britannique est conscient du problème. Il sait que la création d’un marché pour les biocarburants entraînera une forte poussée des importations d’huile de palme, qu’il ne peut rien faire pour les empêcher et qu’elles contribueront à accélérer le changement climatique, mais il a quand même donné son feu vert. A l’instar des conservateurs, au début des années 1990, le gouvernement travailliste est prêt à faire des pieds et des mains pour satisfaire la demande, même si elle doit atteindre des sommets. Au lieu de chercher à réduire celle-ci, il essaie de modifier l’offre. Il est prêt à sacrifier les forêts pluviales d’Asie du Sud-Est pour donner l’impression qu’il fait quelque chose et pour permettre aux automobilistes d’avoir meilleure conscience.
Tout cela illustre bien la futilité des “technobricolages” proposés à Montréal. Tenter de satisfaire une demande croissante de carburant, c’est de la folie, et cela quelle que soit l’origine de ce carburant. On a tout fait pour éviter de prendre les décisions difficiles et on a condamné une autre partie de la biosphère à partir en fumée.
George Monbiot
The Guardian