Analyses de la France, des français et de la campagne
Publié : 09/05/07, 14:35
Bon je déroge à la règle anti-anti-Sarko qu'on s'est fixée mais j'ai trouvé cette interview très intéressante!
Je la passe donc en intégalité...attention ca peut blesser certain d'entendre certaines "vérités".
Source: http://www.lesechos.fr/info/france/4573 ... r=RSS-2000
Je la passe donc en intégalité...attention ca peut blesser certain d'entendre certaines "vérités".
VIE POLITIQUE - ELECTIONS 2007 -
LUC ROUBAN - DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS (CEVIPOF)
« Le nouveau président va porter sur ses épaules un poids extrêmement lourd »
Nicolas Sarkozy vient d'être élu à la présidence de la République. Dans quel état trouve-t-il la société française ?
La France est dans un état d'extrême fragilité politique. Malgré la forte participation et l'intérêt porté à la campagne, les électeurs restent défiants à l'égard des institutions et des élites, que celles-ci soient politiques ou économiques. Cela est net quand on compare la France aux autres pays européens. La confiance interpersonnelle est, elle aussi, faible, c'est-à-dire que les citoyens sont méfiants les uns envers les autres. Cela se traduit dans les relations au travail : les salariés ne font confiance ni à leur hiérarchie ni à leurs collègues. La conséquence de cette fragmentation et de ces clivages, c'est que la société française continue d'exiger un Etat intégrateur fort.
Sur les valeurs, on peut considérer que les Français, qu'ils soient de droite ou de gauche, sont attachés à une sorte de libéralisme culturel : comparés aux autres Européens, ils ne sont pas les moins tolérants, par exemple à l'égard des étrangers, de l'homosexualité ou des drogues douces, et se montrent très attachés à la laïcité. Contrairement aux idées reçues, et malgré le « non » au Traité constitutionnel européen, ils ne sont pas non plus anti-européens, au sens où le sont par exemple les Britanniques. En revanche, ils sont peu libéraux sur le plan économique.
« Libéralisme culturel » et méfiance à l'égard du libéralisme économique. Comment expliquez-vous, dès lors, que Nicolas Sarkozy, qui a fait campagne sur le retour des valeurs conservatrices (autorité, morale, etc.) et sur la « libération du travail », ait été élu ?
C'est ce qui me fait dire que l'élection de Nicolas Sarkozy repose en partie sur un malentendu et que sa tâche s'annonce compliquée. Sa principale réussite a été de répondre à la demande d'un Etat fort (identité nationale, sécurité, etc.). S'il ne veut pas décevoir, il devra démontrer que l'Etat est capable de reprendre les choses en main. Pourtant, la marge de manoeuvre économique est réduite (croissance, dette, mondialisation, etc.). Sans compter qu'il va devoir composer avec des organisations syndicales faibles à la culture protestataire forte.
Pourtant Nicolas Sarkozy semble avoir été élu sur un mandat relativement clair dans un contexte de très forte participation électorale. Cela n'invalide-t-il pas votre thèse de la crise de la représentation politique ?
Certains parlent d'une démocratie pacifiée parce que les gens sont allés voter. Je ne serai pas si optimiste : la vie politique d'un pays ne se mesure pas simplement à une élection, mais à des comportements de long terme. En outre, la campagne s'est bâtie sur des faux-semblants. Elle a été plus médiatisée que jamais avec des effets potentiellement négatifs : la grande volatilité des thèmes a donné le sentiment d'une sorte de self-service, de supermarché du vote, qui n'a pas permis de dégager des priorités claires et a conduit les candidats à proposer tout et son contraire. Comment peut-on être à la fois nationaliste et atlantiste ? Ou à la fois ouvert au libéralisme européen et défendre le service public à la française ? Cette surmédiatisation a fait que certaines questions fondamentales, comme la paupérisation des classes moyennes, n'ont pas été abordées de front.
Enfin, la crise du politique n'est pas si loin quand on observe que le vote « anti-système » du premier tour, y compris celui en faveur de François Bayrou, réunit presque la moitié des voix.
Avec le recul, comment analysez-vous le « phénomène Bayrou » ?
Le leader centriste s'est appuyé sur un électorat très critique à l'égard de la droite et de la gauche, exprimant notamment un refus du clientélisme des systèmes partisans. De fait, la politisation de toute la fonction publique depuis 1974 et plus encore depuis 1981 est une spécificité française fortement contestée. En cela, le succès de François Bayrou peut être interprété comme la recherche d'un nouvel ordre politique composé d'une élite renouvelée sans concessions à l'égard des réseaux de pouvoir.
N'y a-t-il pas une contradiction entre le désir exprimé par une partie de l'électorat d'une rénovation des pratiques institutionnelles et la demande d'un Etat fort ?
Jacques Chirac a fini de liquider l'héritage gaulliste - en restant au pouvoir malgré la cohabitation ou malgré les démentis de l'électorat après s'être engagé personnellement. De ce point de vue, il y a une véritable attente concernant la pratique gaullienne des institutions et notamment la responsabilité politique du chef de l'Etat. Nicolas Sarkozy, qui a personnalisé sa campagne et a donné l'image de l'Etat fort, va, du coup, porter sur ses épaules un poids extrêmement lourd : il a donné l'impression qu'il était capable d'absorber toutes les contradictions de l'électorat, du centre à l'extrême droite, mais cela pourrait se retourner contre lui dans la pratique du pouvoir d'autant plus qu'il ne s'est pas engagé à beaucoup modifier les institutions. Quelle réponse, alors, apporter à la demande toute aussi forte de représentativité populaire ? Depuis 1848, la France oscille entre, d'un côté, « l'ordre moral » institutionnel bourgeois et, de l'autre, la politique de l'émeute. C'est là qu'est la vraie bipolarisation et celle-ci ne peut s'inscrire dans cette démocratie apaisée que l'on décrit aujourd'hui.
Qu'est-ce qui peut rallumer la mèche de la contestation ?
Incontestablement la question du secteur public et de la réforme de l'Etat. La réduction du nombre de fonctionnaires, la question du service minimum, la suppression des régimes spéciaux, le tout associé à la question de l'Europe. Les Français sont très attachés au service public et quoi qu'on en dise ils ne sont pas en majorité favorables à la diminution du nombre de fonctionnaires.
PROPOS RECUEILLIS PAR CARINE FOUTEAU ET VALÉRIE DE SENNEVILLE
Luc Rouban vient de codiriger avec Pascal Perrineau un ouvrage sur « La Politique en France et en Europe », aux Editions des Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
Source: http://www.lesechos.fr/info/france/4573 ... r=RSS-2000