La pollution du transport maritime
Publié : 22/07/15, 19:35
La pollution du transport maritime plus dangereuse que celle du transport automobile
Le Monde.fr | 22.07.2015 Par Laetitia Van Eeckhout
Mardi 21 juillet, tandis que la ministre de l’écologie Ségolène Royal décidait de reporter ses annonces pour lutter contre la pollution de l’air, des associations environnementales mettaient les projecteurs sur une source méconnue d’émissions de polluants : France nature environnement (FNE) et l’ONG allemande NABU lançaient, depuis le port de Marseille, une campagne de sensibilisation sur la pollution générée par le transport maritime. Une pollution plus dangereuse que celle du transport automobile.
Les navires marchands comme les bateaux de croisière utilisent essentiellement comme carburant un fioul lourd, sous-produit du pétrole, qui émet en grandes quantités de particules fines, des oxydes d’azotes, et surtout, des oxydes de soufre. Ce polluant est l’un des principaux facteurs à l’origine du problème d’acidification des pluies et se révèle très toxique pour la santé humaine.
Dans une étude publiée début juin, l’université de Rostock et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholtz Zentrum Munich établissent un lien sans équivoque entre les gaz d’échappement des cargos et des maladies graves. A l’origine de maladies pulmonaires et cardiovasculaires sévères, les émissions du transport maritime, selon cette étude, provoquent 60 000 décès prématurés par an dans l’Union européenne. Coût pour les services de santé européens : 58 milliards d’euros.
Combustibles non taxés
Les habitants des régions côtières courent le plus de risques, selon ces chercheurs qui estiment que la moitié de la pollution de l’air liée aux particules dans les zones côtières et portuaires provient des émissions de bateaux. Des données provenant des services de surveillance de la santé publique de Long Beach dans le district de Los Angeles (Etats-Unis) révèlent que les populations vivant à proximité de l’enclave portuaire connaissent des niveaux d’asthme, de maladies cardiovasculaires et de dépression supérieurs de 3 % en moyenne à ceux des autres habitants de la ville.
Si des mesures ont été prises pour réduire les polluants issus du diesel utilisé par les voitures et camions, les carburants maritimes, bien plus toxiques, restent étonnamment peu réglementés. « Les carburants maritimes ont une teneur en soufre plus de 3 000 fois supérieure à celle des carburants utilisés par les voitures et les camions. Pourtant, le transport routier paie des taxes sur les carburants et le transport maritime utilise des combustibles non taxés », souligne Adrien Brunetti, coordinateur du réseau santé environnement de FNE.
La réglementation dans ce secteur est essentiellement internationale. La convention Marpol (pollution marine) établie par l’Organisation maritime internationale a mis en place des zones d’émissions contrôlées dans lesquelles les teneurs en soufre des carburants sont réglementées (Sulphur Emissions Control Areas, SECAs). Ainsi, depuis le 1er janvier, en Manche, dans la mer Baltique et la mer du Nord, comme dans presque toutes les zones côtières américaines et canadiennes, les navires ne peuvent plus utiliser de carburant contenant plus de 0,1 % de soufre. « En Méditerranée, où les taux peuvent s’élever jusqu’à 4 %, ce seuil ne s’appliquera qu’à partir de 2020 ou 2025 », déplore France nature environnement, dénonçant le manque de volonté des Etats participant à la convention Marpol, et notamment de la France.
La France mise en demeure
Le 29 avril, l’Hexagone s’est d’ailleurs vu adresser par la Commission européenne une mise en demeure pour retard dans la transposition de la directive « soufre » réglementant les émissions dégagées par les navires. Déclinaison de la convention Marpol, cette directive, adoptée en octobre 2012, impose aux Etats membres de faire respecter les seuils limites prévus dans les SECAs. Sa transposition devait être achevée le 18 juin 2014.
Il a fallu attendre la loi de transition énergétique pour que la France prenne une première initiative pour lutter contre cette pollution des navires. Ce texte qui doit être définitivement voté ce mercredi 22 juillet, prévoit que « l’Etat favorise, notamment en soutenant des opérations pilotes, l’installation de systèmes de distribution de gaz naturel liquéfié et d’alimentation électrique à quai dans les ports pour les navires et les bateaux ».
« Coûteux pour les finances publiques, ce type d’installations ne vise qu’à limiter les émissions des navires à quai. Il ne s’attaque pas au cœur du problème. La priorité doit être de changer le carburant des bateaux commerciaux. Même si le transport maritime passait au diesel utilisé pour les voitures, on réduirait déjà sensiblement leur pollution », relève Adrien Brunetti, qui observe qu’un peu partout dans le monde, des initiatives sont prises par les autorités portuaires pour encourager la diminution de soufre dans les carburants. Dans les ports de Seattle ou de Houston par exemple, une compensation est versée aux armateurs pour le surcoût qu’entraîne le changement de carburant. Le port de Singapour, lui, module ses taxes portuaires en fonction du type de carburant.
Il serait déjà possible de limiter les émissions de soufre émises par les cargos en filtrant leur gaz d’échappement. Les navires de croisière notamment circulent en effet sans aucun système de filtration. « Des filtres à particules sont bien installés sur les véhicules automobiles. Pourquoi, interpelle encore Alain Brunetti, n’en va-t-il pas de même pour les navires, alors que les carburants sont beaucoup plus polluants ? »
http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... _3244.html