"Si l'on me demande comment on peut rester dans ce sale repaire de tous les vices et de tous les maux entassés les uns sur les autres, au milieu d'un air empoisonné de mille vapeurs putrides, parmi les boucheries, les cimetières, les hôpitaux, les égouts, les ruisseaux d'urine, les monceaux d'excréments, les boutiques de teinturiers, de tanneurs, de corroyeurs ; au milieu de la fumée continuelle de cette quantité incroyable de bois, et de la vapeur de tout ce charbon ; au milieu des parties arsenicales, sulfureuses, bitumineuses, qui s'exhalent sans cesse des ateliers où l'on tourmente le cuivre et les métaux,
si l'on me demande comment on vit dans ce gouffre, dont l'air lourd et fétide est si épais qu'on en aperçoit et qu'on en sent l'atmosphère à plus de trois lieues à la ronde ; air qui ne peut pas circuler, et qui ne fait que tournoyer dans ce dédale de maisons, comment enfin l'homme croupit volontairement dans ces prisons, tandis que s'il lâchait les animaux qu'il a façonnés à son joug, il les verrait, guidés par le seul instinct, fuir avec précipitation et chercher dans les champs l'air, la verdure, un sol libre, embaumé par le parfum des fleurs :
je répondrai que l'habitude familiarise les parisiens avec les brouillards humides, les vapeurs malfaisantes et la boue infecte."
"Tableau de Paris", par Louis-Sébastien Mercier, 1781
Non, ce n'était pas mieux avant. Le progrès est réel, quoiqu'en disent les adeptes du catastrophisme, de la décroissance, et tous les nantis se plaignant du moindre de leur bobo : ils ignorent leur condition de privilégié par rapport à leurs aïeux et leur chance de vivre aujourd'hui.