Ochlocratie et anacyclose

Débats philosophiques et de sociétés.
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Ochlocratie et anacyclose




par sen-no-sen » 20/04/18, 11:14

Connaissez-vous l'ochlocratie ?

Changements, chahuts, séismes... On ne sait plus quel terme convient pour qualifier la série de bouleversements politiques qui se déroulent sous nos yeux. Exit Matteo Renzi, après Nicolas Sarkozy et François Hollande. Si l'on y ajoute Brexit, élection de Donald Trump, campagne présidentielle en France, élections à venir en Allemagne, on mesure combien se fracturent, en ce moment, les paysages anciens. Ces mutations révèlent en particulier la versatilité des électeurs, leur exaspération et leur lassitude. Elles montrent l'emprise croissante des mouvements d'humeur sur la vie politique, au détriment de la rationalité et du long terme. Dès lors, certains craignent que la démocratie ne se dégrade sous la pression des populismes et des passions incontrôlées. Un vieux mot, en grec ancien, servait à nommer ce genre de détraquement : ochlocratie. Oublié, il est à présent hors d'usage. Pourtant, il vaut d'être revisité.

Par opposition à « demos ", le peuple, « ochlos » désigne la foule, ce qu'elle a de chaotique, de tumultueux, de désordonné et d'imprévisible. La démocratie est bien le pouvoir du peuple, mais il est encadré par les lois qu'il s'est données à lui-même. Les décisions proviennent des citoyens, mais ceux-ci délibèrent avec logique, car ils sont supposés être éduqués et informés pour avoir des avis éclairés et raisonnables. A l'opposé, quand s'installent la domination de la cohue, le règne des émotions de masse, les caprices de la multitude, on assiste à l'affaissement du système. Flottant au gré des passions populaires, emportée par la foule, la démocratie, de pressions en dépressions, risque de sombrer. Si c'est le cas, si la populace remplace le peuple, alors s'installe à sa place un autre régime, l'ochlocratie. Voilà ce que soutenait Polybe, au livre VI de ses « Histoires ", qui tente un abrégé des pensées politiques grecques classiques, et condense notamment l'essentiel de Platon et d'Aristote.

Presque plus personne, aujourd'hui, ne fréquente la prose de cet auteur. Ce fut en son temps (entre -200 et -120 avant notre ère) un personnage de premier plan de l'histoire grecque : général après la mort d'Alexandre, il devint l'otage des Romains, avant que l'homme d'Etat ne se muât en historien, diplomate et théoricien du politique. Peu de textes, au fil des siècles eurent autant d'influence que cet abrégé, qui marqua profondément Cicéron, mais aussi Machiavel et Rousseau, entre autres penseurs majeurs. Comme vient de le rappeler le philosophe Jean-Claude Milner (*), on a retenu de Polybe, principalement, la théorie d'une évolution cyclique des régimes politiques. Leurs formes se succéderaient en boucle, de la monarchie jusqu'à l'ochlocratie, comme si la roue de l'histoire tournait indéfiniment.
(...)

Roger-Pol Droit
Roger-Pol Droit est écrivain et philosophe.(*) « Relire la révolution », Jean-Claude Milner, Verdier, 2016.

https://www.lesechos.fr/09/12/2016/LesEchos/22336-053-ECH_connaissez-vous-l-ochlocratie--.htm

Image

Ci dessus une représentation de l'anacyclose :Cycle de successions de régimes politiques, développée par Polybe, dans lequel le populisme succède à la démocratie, avant de revenir à la monarchie.


Je pense que tout le monde aura remarqué qu'il bien difficile d'appeler de nos jours le système de gouvernance comme étant "démocratique"(au sens strict j’entends),dans le sens nous vivons au sein de démocratie dite libérale,c'est à dire des systèmes de gouvernances fondé sur l'échange de marchandise,de sa répartition au sein des classes sociale1 et sur les solutions visant à maintenir la production de valeur abstraite
On constate de plus que le développement des réseaux sociaux à permis d'accentuer une tendance,fondé sur les émotions plutôt que la réflexion,sur les apparences plutôt que sur la structure...

Il serait quelque peu exagéré de reprendre au pieds de la lettre si je puis dire la notion d'anacyclose,dans le sens ou notre société est un mix de tout cela ,mais il apparait clairement que cette notion très ancienne est on ne peut plus pertinente et nous prédispose à anticiper l'avenir.

La ou cela devient encore plus intéressant c'est lorsque l'on opère une comparaison entre anacyclose et cycle économique:
Image
https://www.francois-roddier.fr/?p=471

L'anacyclose était fondé sur les cycles de gouvernances au sein des société antiques,celles ci étant relativement lente en terme d'évolution,il est désormais nécessaire d'y apporter quelques retouches du fait de l'accélération des phénomènes en cours.
Dans la mesure ou la tyrannie succède à l'ochlocratie,est au vu des défis de demain(flux migratoire,pic pétrolier,réchauffement climatique,crise économique) cette chronologie des pouvoirs semble malheureusement bien coller au déroulement historique.

Qu'en pensez vous?


(1)L'essentiel du débat citoyens/politiciens tourne autour de la notion de "répartition des richesses",tout le monde en voulant toujours plus bien évidemment...sans comprendre que l’essentielle des "injustices" est intrinsèquement lié à la structure du système...que personne ne veut réellement changer...
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par Ahmed » 21/04/18, 22:14

Le moins que l'on puisse dire, est que ce n'est pas un sujet racoleur! :D
Effectivement, pour savoir si le cycle de Polybe est toujours valide, faudrait-il s'interroger préalablement sur la définition des catégories en cause.
Par exemple, le concept de démocratie a beaucoup évolué dans son contenu, même si l'on fait généralement semblant d'y voir une permanence.
La nécessité d'une forme démocratique résultait de l'inadéquation des anciens pouvoirs à satisfaire à l'expansion commerciale et à l'accroissement des flux financiers. La royauté supposait une légitimation de son pouvoir par une abstraction inaccessible: Dieu; il fallait donc trouver une autre source de légitimité disposant de cette caractéristique pour assurer un contrôle durable à la nouvelle oligarchie. Par le biais du suffrage des citoyens (selon une extension variable de ce concept) et du fait du transfert de pouvoir à des représentants, allait naître une fiction, le Peuple souverain, contre lequel il serait vain de s'indigner puisque cela reviendrait à se contredire... :D
Sur la question de l'influence de l'opinion publique et de sa versatilité, les gouvernements y sont très sensibles (même s'ils ne s'y conformes pas toujours, au nom de la démocratie!) et, d'ailleurs, déploient de grands efforts pour l'orienter favorablement à leurs intérêts. C'est qu'ils agissent en tant qu'interface entre les électeurs, dont ils dépendent d'un point de vue individuel (leur carrière personnelle) et les intérêts économiques qu'en réalité ils sont en charge de protéger collectivement (pour cela, peu importe dans le fond qui est élu).
Une chose est sûre: du fait de la disparition des conditions qui ont donné naissance à la société de consommation, les évolutions de mode de vie, de rapports au politique changent irrémédiablement de nature et le consensus consumérisme cesse de fonctionner. Dès lors, les disparités sociales grandissantes, les économies sur les "libéralités" (sic) antérieures et l'appel aux sacrifices pour maintenir (accroître?) les privilèges des plus nantis ne peuvent que déboucher sur des modalités gouvernementales plus restrictives des libertés et plus répressives: lorsque le stock de carottes s'épuise ou que sa destination se restreint, celui des bâtons reste abondant (le premier est une consommation, alors que le second est un "service"! :D )...
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par janic » 22/04/18, 09:13

les privilèges des plus nantis ne peuvent que déboucher sur des modalités gouvernementales plus restrictives des libertés et plus répressives: lorsque le stock de carottes s'épuise ou que sa destination se restreint, celui des bâtons reste abondant (le premier est une consommation, alors que le second est un "service"! :D )...
belle formulation! :cheesy:
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par sen-no-sen » 22/04/18, 11:14

Ahmed a écrit :Le moins que l'on puisse dire, est que ce n'est pas un sujet racoleur!


Oui ses termes ont une consonance de pathologies!

Ahmed a écrit :Effectivement, pour savoir si le cycle de Polybe est toujours valide, faudrait-il s'interroger préalablement sur la définition des catégories en cause.
Par exemple, le concept de démocratie a beaucoup évolué dans son contenu, même si l'on fait généralement semblant d'y voir une permanence.


En réalité il n'y a jamais eu de démocratie au sens strict du terme,c'est un concept assez utopiste dans la mesure ou il demanderait que chaque citoyen dispose d'une somme de connaissances suffisante pour disposer d'un avis éclairé sur la plupart des sujets stratégique...nous somme loin du compte.
La société actuelle est plutôt une "démocratie... marchande" ou de marché et d'opinion comme diront d'autres.
Toutefois l'idée que l'histoire obéisse à des cycles est on ne peut plus pertinentes,attribuer ensuite un nom à chacun d'entre eux est somme toute subsidiaire car chaque époques reflètent un modèle différent.

Une chose est sûre: du fait de la disparition des conditions qui ont donné naissance à la société de consommation, les évolutions de mode de vie, de rapports au politique changent irrémédiablement de nature et le consensus consumérisme cesse de fonctionner.


"C'est à la fin du bal qu'on paye les musiciens" pourrait ton dire sous une autre forme.
L'accumulation de contradiction (entropie) d'une période à une autre entraine nécessairement une évacuation de celle ci quelques générations plus tard.
Le remboursement de cette dette se traduit par le surgissement d'un certain nombre de problématique qui induisent à leurs tours des solutions(réactions serait plus juste) qui se paie le prix fort,généralement par un cycle de souffrance.

Le cas actuel est intéressant puisque la phase libérale/libertaire post 1970 se traduit désormais par une phase sécuritaire ou ne devons affronter une accumulation d'entropie lié entre autre à l'utilisation à outrance de l'extractivisme.
Les flux migratoires(économiques,écologiques ou de guerres) en sont une parfaite démonstration.
Hors quelque soit les gouvernements à venir,de l'extrême gauche à l’extrême droite,l'accumulation de ses problématique ne laissera guère de choix à ses futurs"gestionnaires".
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par Christophe » 22/04/18, 12:48

Un sujet où j'ignore complètement les termes du titre, j'aime ça!! Ce forum est un puits de savoir! 8)
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par janic » 22/04/18, 13:31

La royauté supposait une légitimation de son pouvoir par une abstraction inaccessible: Dieu;
plutôt une prétention à se légitimer car aucun roi ne peut détenir une légitimation quelconque de "dieu". En effet, en théocratie, aucun individu ne possède de pouvoir auto décrété, même pas de royauté.
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par sen-no-sen » 22/04/18, 17:34

janic a écrit :
La royauté supposait une légitimation de son pouvoir par une abstraction inaccessible: Dieu;
plutôt une prétention à se légitimer car aucun roi ne peut détenir une légitimation quelconque de "dieu". En effet, en théocratie, aucun individu ne possède de pouvoir auto décrété, même pas de royauté.



En fait au sens strict le roi est effectivement un représant de Dieu,mais il faut comprendre cette notion à la lumière de la sociologie et non de la spiritualité.
Car d'un point de vu spirituel il serait aberrant qu'un homme puisse par le biais d'un héritage génétique (une lignée) avoir un quelconque rapport avec une supposé divinité.

Il faut donc s'entendre sur la définnition de Dieu.
D'un point de vu naturaliste Dieu est un concept anthropomorphique qui symbolise l'unité au sein d'un champ culturel(1),cela est très lointain de la définnition commune d'un "être surnaturel créateur du monde".
Dieu est donc sociologiquement une pensée guide,un principe moteur,mais cette pensée ne peut revêtir un pouvoir suffisant si elle n'est pas cristallisé autour d'un pouvoir politique,et c'est la que le roi entre en jeux.
Le roi jouant le rôle de "noyau de condensation".

A notre époque les monarques (au sens strict)(2) ne peuvent plus exister au sein des pays industriels si ce n'est qu'en tant que garant d'une manne touristique et par "traditions"£££(famille royal d’Angleterre),car dans ses derniers le principe moteur est devenu l'économie,celle ci se substituant à l'idée de Dieu(le principe reste toutefois le même).


(1) Dieu est vraisemblablement une représentation symbolique de l'énergie,c'est d'ailleurs pour cette raison que le nombre de divinités vénéré au sein d'un champ culturel est invariablement proportionnel à la quantité d'énergie qu'elle dissipent...
(2) Certains hommes politiques moyennant une révision de leurs constitutions sont devenus des sortes de "néo-monarques",c'est le cas de Vladimir Poutine par ex,mais les raison de leurs maintient au pouvoir reste d'une nature différente.
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par Ahmed » 22/04/18, 20:20

L'interprétation naturaliste est séduisante et certainement pertinente en tant que concept, mais ce qui saute aux yeux c'est cette obligation fétichiste de situer la légitimité du pouvoir hors du champ d'action des hommes, par une mystification simple dans le cas de la royauté et, d'une façon plus élaborée, par le biais de la récursivité dans celui de la démocratie*.
De fait, du maintien des principes et de l'unité du groupe humain à la conservation des avantages liés au pouvoir, le second tend à l'emporter.

* La démocratie est un idéal, de ce fait elle n'a jamais existé et n'existera jamais,ce qui ne doit pas conduire à renoncer à s'en rapprocher.
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par sen-no-sen » 22/04/18, 20:52

Ahmed a écrit :De fait, du maintien des principes et de l'unité du groupe humain à la conservation des avantages liés au pouvoir, le second tend à l'emporter.


Effectivement aucun croyant n'existerait si il n'existait pas une sorte "carotte métaphysique" pour le faire avancer,et encore moins si il devait saisir la notion de dieu au regard de la définnition naturaliste!
Pour autant cela ne change en rien la nature réelle des choses,il n’existe pas plus un dieu que des dieux pour la simple raison que nos capacités mentales ne sont nullement suffisantes pour comprendre l'incompréhensible...il faut donc créer des concepts pour fédérer,relier les cerveaux afin de créer un réseau.
L'idée de Dieu* sert donc "d'ancrage" pour le croyant,et c'est ensuite cette implant psychique qui permet à la communauté des croyants d'édifier une société fondé autour de cette pensée guide.
C'est exactement la même chose avec l'économisme exponentiel,celui ci est fondé sur la croyance(qui elle est grandement opérationnelle) de pouvoir augmenter sans cesse sont niveau de vie,d'accroitre sa sphère d'influence et de gratification à un point tel que celui ci,via le technologisme,promet à terme sinon la vie éternelle, au moins l'immortalité.

*Si cette idée était réellement saisi alors nous devrions logiquement constater l’avènement d'un monde parfait...ce n'est bien évidemment nullement le cas, ce qui démontre que le concept de Dieu est malheureusement un concept d'ordre sociologique.
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Re: Ochlocratie et anacyclose.




par janic » 22/04/18, 21:02

De fait, du maintien des principes et de l'unité du groupe humain à la conservation des avantages liés au pouvoir, le second tend à l'emporter.
tout à fait! Comme la plupart des autres animaux, ce qui nous en rapproche.

* La démocratie est un idéal, de ce fait elle n'a jamais existé et n'existera jamais, ce qui ne doit pas conduire à renoncer à s'en rapprocher.
c'est le propre de tous les idéaux (même les pires)!
Il faut donc s'entendre sur la définnition de Dieu.
tout à fait et à ce sujet peu de cultures sont en harmonies alors que le principe même est commun à tous.
D'un point de vu naturaliste Dieu est un concept anthropomorphique qui symbolise l'unité au sein d'un champ culturel(1),cela est très lointain de la définnition commune d'un "être surnaturel créateur du monde".
c'est le résultat de la montée de la pensée matérialiste et athée en opposition à la métaphysique non mesurable.
Dieu est donc sociologiquement une pensée guide,un principe moteur,mais cette pensée ne peut revêtir un pouvoir suffisant si elle n'est pas cristallisé autour d'un pouvoir politique,et c'est la que le roi entre en jeux.
c'est effectivement ce que nos sociétés dites religieuses comme non religieuses ont bâti au fil des millénaires, parce que l'abstraction est difficilement accessible à certains et la concrétisation par des formes, de images (souvent naïves et fausses) ou des pouvoirs concrets pour leur malheur la plupart du temps quant placés entre les mains d'un seul individu.
Une véritable théocratie évite pareille situation.
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