Les scientifiques aiment bien vérifier. Du coup, quand un confrère leur avance des hypothèses sans les prouver, ça tourne à l'octogone sceptique. Une illustration à travers la fort étrange mais véridique histoire des rayons N.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rayon_N
En 1903, le physicien René Blondlot (1849–1930) commet l'une des plus grandes erreurs du XXe siècle en physique expérimentale2.
Alors que Wilhelm Röntgen vient de découvrir les rayons X en 1895 et Henri Becquerel les rayons uraniques en 1896, René Blondlot commence à travailler sur les rayons de Röntgen en 1901. Il annonce en février 1903 la découverte de nouveaux rayonnements qu'il baptise « rayons N » (de l'initiale de sa ville, Nancy).
Blondlot jouissant d'une excellente réputation à la suite de ses précédentes recherches sur la polarisation des champs magnétiques, cette découverte est accueillie avec enthousiasme. L'Académie des sciences publie de nombreuses notes dans ses comptes rendus hebdomadaires. Blondlot continue ses recherches et accumule les « découvertes », comme celles de nouveaux rayons N1 » en février 1904.
Deux scientifiques allemands, Rubens et Lummer, remettent vivement en cause la découverte, mais la rivalité entre la France et la Prusse en fait une question d'honneur national3. En juillet 1904, La Revue scientifique publie tout de même un article critique d'un chercheur italien4. Puis en septembre 1904, la revue Nature5 publie un article de Robert Williams Wood, traduit un mois plus tard dans La Revue scientifique6.
Wood y raconte sa visite au laboratoire de Blondlot : les expériences, fondées sur l'observation de la flamme d'une bougie, se déroulent dans la pénombre. À l'insu des expérimentateurs, Wood perturbe les expériences : enlèvement par ses soins du dispositif déclencheur et simulations diverses. Or imperturbablement, les expérimentateurs continuent à « observer » les effets attendus.
La Revue scientifique écrit : « Bien qu'en France on n'entende guère de voix qui s'élèvent contre la légitimité fondamentale de ces recherches, on ne peut (pas) ne pas être frappé par l'écho d'une rumeur qui ne cesse de grossir à l'étranger, rumeur de scepticisme et d'étonnement ». À la fin de l'année 1904, l'Académie des sciences attribue tout de même à Blondlot le prix Leconte, d'une valeur de 50 000 francs, « pour l'ensemble de ses travaux ».
Blondlot perd peu à peu ses soutiens, l'illusion de l'existence des rayons N a en effet duré à peine une année. Gustave Le Bon, adhérant à la thèse de l'autosuggestion, conclut que « le public à l'avenir saurait […] à quel point un grand corps savant peut être victime de ses plus lamentables erreurs. »
Blondlot a entraîné dans son entreprise plusieurs autres chercheurs7 :
Charpentier « recherches sensationnelles sur l'émission des rayons par le système nerveux... » ;
Adolf Bernard Meyer, sur l'émission par les végétaux « note sur l'étude de l'émission pesante [les rayons N] provenant de l'organisme » ;
Fred Dayton Lambert, sur l'émission par les ferments solubles ;
Bichat, sur « l'explication de la transmission des rayons par des fils » ;
Jean Becquerel, fils du découvreur de la radioactivité, qui présenta ses communications à l'Académie des sciences ;
André Broca, agrégé de physique à la faculté de médecine, lui-même fils de Paul Broca ;
Colson, professeur de chimie à l'École polytechnique ;
Bagard, professeur à la Faculté des sciences de Dijon.
Analyse
Les expériences décrites par Blondlot étaient, a posteriori, extrêmement peu fiables. Fondées sur l'observation d'une flamme dont l'éclat varie déjà naturellement de 25 % (d'après Wood), les observations nécessitaient, d'après Blondlot « d'éviter toute contrainte de l'œil, tout effort de vision, d'accommodation ou autre » sur la source lumineuse dont on voulait mesurer l'éclat. D'après des physiologistes de l'époque, comme le docteur Weiss, « le relâchement de l'accommodation est accompagné d'une dilatation de la pupille et par suite d'une pénétration plus grande de lumière dans l'œil ».
À décharge, l'époque était propice à la découverte de nouveaux rayons. De plus, l'impossibilité de reproduire une expérience ne prouve pas la fausseté de celle-ci, comme l’ont prudemment invoqué des chercheurs interrogés à ce sujet (enquête de La Revue scientifique à la fin 1904). De même, la vérité scientifique ne peut pas s'établir sur une simple majorité d'opinions. Si des chercheurs ont remis en cause ces résultats, d'autres ont prétendu avoir réussi à les reproduire.
Cette affaire a apporté d'importants enseignements sur les processus cognitifs, et est depuis souvent citée dans ce cadre. Elle a incité à plus de précautions dans les expérimentations et à réaliser dans certains cas des tests en double aveugle, limitant ainsi le biais de confirmation