Jean-Luc Achard, directeur de recherche au CNRS, étudie le développement d’hydroliennes
Mots clés : energie renouvelable, energie hydraulique, hydroelectricité, récupération , utilisation, courants marins, mer, marée, hydrolienne, éoliennes
«Un potentiel comparable à celui des éoliennes»
Jean-Luc Achard est directeur de recherche au CNRS et travaille au sein du LEGI (laboratoire des écoulements géophysiques et industriels) à Grenoble. Il y étudie notamment le développement d’un certain type d’hydroliennes (projet Harvest).
Dès le XIIe siècle, les premiers moulins à marée ont vu le jour en Bretagne. Dans les années à venir faut-il parier sur de nouveaux systèmes d’exploitations des courants sous-marins ?
L’usine marémotrice de la Rance était un projet immense : ce qui bloque ce genre de programme, c’est le coût de l’investissement initial, qui est considérable. Des projets lourds, il y en a eu de nombreux. Tous ont été abandonnés à cause du poids financier du génie civil, c’est-à-dire du béton. Le problème est toujours celui du retour sur investissement. Il est aussi, pour des infrastructures comme l’usine de la Rance, celui de l’impact environnemental : le cours d’eau a changé ; la faune et la flore sont différentes. Le «Tidal Bridge» qui était proposé par une entreprise canadienne au gouvernement philippin il s’agissait d’un pont reliant les îles Samar et Dalupiri, avec 274 turbines au-dessous a été abandonné pour ces raisons de coût excessif du béton et parce que la voie maritime risquait d’être plus difficile d’accès. Un certain scepticisme sur l’utilisation de l’énergie des marées s’est donc installé depuis les années 1970 et de nombreux projets sont restés dans les cartons.
Quels projets peut-on voir «ressortir» des cartons ?
Nous sommes actuellement, en relation avec l’Ifremer, en train d’envisager des études sur un site qui semble très intéressant : celui du raz Blanchard, à la pointe nord-ouest du Cotentin, face à l’île anglo-normande de Chausey. On peut y atteindre des marées de 5 mètres par seconde. La difficulté, c’est que, pour chaque site, il faut procéder à une évaluation très complète. S’il existe, par exemple, un risque de bouleversement des marées, c’est toute une économie qui est en jeu, celle des pêcheurs, des gens qui vivent autour du site. Dans le cas du raz Blanchard, il y a une certaine quantité d’énergie qu’on peut «prélever» : nous avons des mesures sur les flux complétées par des modèles numériques. Mais il faut être prudent. En 1974, une étude avait été faite par l’ancêtre de l’Ifremer. Pour un courant moyen de 2 mètres par seconde, il était envisagé d’équiper le raz avec 390 hydroliennes de 10 mètres de diamètre. La production électrique aurait été équivalente à celle de la Rance. A l’époque, le projet avait été jugé non rentable et abandonné. La perception des enjeux était différente et cela impliquait un lourd investissement.
Aux Etats-Unis, un autre programme d’hydroliennes, baptisé Coriolis, avait été étudié : il s’agissait de mettre 242 hydroliennes dans le Gulf Stream, au large de la Floride. C’était un projet fabuleux et gigantesque : les rotors avaient 91 mètres de diamètre. Puis ses promoteurs ont constaté que se posaient des problèmes de résistance mécanique et ils ont jeté l’éponge. Il y avait, en outre, un risque d’impact sur le courant du Gulf Stream.
Aujourd’hui, on peut repartir sur des programmes de ce type, mais sans rêver. Les chiffres cités sur la seule base de l’énergie cinétique théoriquement disponible ne sont pas sérieux. Le potentiel des courants de marée est probablement supérieur à celui des éoliennes, mais il reste comparable. Au mieux, cela se rapprochera à l’horizon 2050 du grand secteur hydraulique, qui représente 13 % de l’énergie en France par exemple. Il faut aussi toujours avoir en tête d’où on part : le secteur des énergies renouvelables ne représente que 2 % de l’énergie française actuellement. Mais, face à l’explosion de la demande énergétique, en Chine par exemple, il ne faut pas s’imaginer qu’on répondra uniquement par les énergies renouvelables. Il faudra certainement réinvestir sur un nucléaire sûr, intégrant dès l’amont le traitement des déchets à durée de vie longue ainsi que les économies d’énergie. Et combiner les sources d’énergie.
Quels sont, en Europe, les sites les plus prometteurs ?
Les courants doivent dépasser 1,50 mètre par seconde pour que des sites soient utilisables. Pour la France, ils se situent autour du Cotentin et de la côte nord de la Bretagne. Les sites d’Europe les plus remarquables sont principalement autour des îles Britanniques : du sud du pays de Galles (les finistères nord-ouest et sud-ouest de ce pays surtout), jusqu’au nord de l’Irlande et de l’Ecosse. Il n’y a, en revanche, pas grand-chose à espérer du côté de la Méditerranée, malgré la tentative intéressante du projet Enermar en Italie, pour capter l’énergie des courants du détroit de Messine…
Interview faite en 2005