La Mauritanie face au mirage pétrolier
Désertique, bordée par l’océan Atlantique, peuplée de seulement 2,7 millions d’habitants, la Mauritanie fait partie du club peu envié des pays pauvres très endettés. Depuis quelques années, un espoir anime les Mauritaniens : des champs de pétrole ont été découverts dans les eaux territoriales, à environ 90 kilomètres des côtes, face à Nouakchott, la capitale.
La Mauritanie se métamorphose. Depuis l’annonce de la découverte de pétrole, des consultants internationaux prennent pied à Nouakchott, des Occidentaux sur le départ décident de rester, le pouvoir s’agite. Le président Maaouya Taya, au pouvoir depuis un coup d’Etat en 1984, réélu depuis, vient de promettre une augmentation spectaculaire des salaires des fonctionnaires. Les rumeurs enflent ; on parle de réserves équivalant à celles de l’Angola. En privé, certains officiels n’hésitent pas à assurer aux Européens en charge de l’aide au développement que, bientôt, « on pourra se passer de vous ». A l’abri du soleil dans leurs 4×4 climatisés, les riches Maures, qui dominent le pays, se comparent déjà aux émirs du Golfe.
Entretenir l’espoir
Alors que l’extraction des premiers barils est annoncée pour décembre 2005, la promesse de l’eldorado ne convainc pas tout le monde. « Pour certains, le pétrole coule déjà à flots, d’autres, dont je suis, attendent de le voir couler » affirme Demba Seck, ancien syndicaliste et militant de la cause « négro-africaine », ces Mauritaniens noirs qui s’estiment discriminés par le régime. Mohamed Fall Oumère, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Tribune, a longtemps été sceptique. « Le premier article que j’ai écrit sur le sujet s’intitulait ‘ni pétrole, ni idées’. J’avais constaté que le pouvoir parlait du pétrole chaque année en février, au moment où la Banque mondiale effectue un rapport sur la Mauritanie » raconte le journaliste. De fait, tout le monde a intérêt à entretenir l’espoir : le gouvernement, mais aussi les compagnies pétrolières, notamment l’australienne Woodside qui dirige le consortium chargé d’exploiter les ressources. Dès qu’un nouveau champ est découvert, la valeur de l’action Woodside, cotée à Sydney, bondit. Brahim Boucheiba, directeur de la société de trading pétrolier Maghreb Oil, lui aussi proche de l’opposition, demeure optimiste. D’après lui, le principal puits découvert par Woodside, appelé « Chinguetti » en référence à l’une des villes saintes située dans le désert mauritanien, abrite bien « 120 millions de barils ». Selon l’hebdomadaire Jeune Afrique, qui cite des « experts londoniens », les fonds marins recèleraient en outre deux importants gisements évalués respectivement à 400 et 500 millions de barils. L’exploitation de ces ressources ferait du pays le sixième producteur africain d’or noir et lui assurerait un avenir confortable.
Le pétrole permettra-t-il le développement durable de la Mauritanie ?
Sur le strict plan environnemental, l’espoir est limité. Le Sahara, qui occupe 60% du territoire, abrite quelques décharges à ciel ouvert. Dans le sud du pays, les forêts, exploitées pour le bois de chauffage, ont subi des coupes claires. Les ressources halieutiques, en cours de raréfaction, sont bradées avec la complicité de l’Union européenne, et personne ne se préoccupe de l’impact environnemental de l’extraction du fer, dans le nord. « Je ne fais pas du tout confiance au gouvernement pour mener une politique environnementale » affirme un haut-fonctionnaire à la retraite. Les rares ONG environnementalistes mauritaniennes craignent qu’une réglementation laxiste permette l’utilisation de pétroliers à simple coque et ne précipite le risque de marée noire. Woodside a commandé des études d’impact sociale et environnementale, mais les résultats n’ont pas été publiés. Le groupe australien cultive le secret et ne se laisse pas approcher facilement.
Malgré les promesses du président de la République, les opposants ne croient pas que la population, très pauvre, puisse indirectement bénéficier de la manne pétrolière. « En à peine quelques jours, une partie de l’augmentation annoncée des salaires a été mangée par l’inflation » dénonce Demba Seck. La plupart des observateurs dénoncent en outre le risque de détournement des fonds au profit des proches du pouvoir. Brahim Boucheiba illustre son scepticisme par une récente anecdote. L’Etat mauritanien, en sus de sa quote-part de 35% des ressources, avait pris une participation additionnelle de 12% dans le consortium pétrolier. Sommé de réaliser son investissement dans les six mois, le régime a préféré revendre sa participation. Le contrat signé avec Woodside, confirmé par une loi, prévoyait que cette cession ne pouvait bénéficier qu’à une société contrôlée par l’Etat. En novembre 2004, la participation a pourtant été revendue 15,5 millions de dollars à une société privée britannique, moyennant une commission de 7 millions à une société intermédiaire d’un pays du Golfe et 4 millions à un consultant. Corruption ? Commentaire de Brahim Boucheiba : « quand on fait des choses pas normales, on ne les fait pas tout seul ». La seule note positive pourrait venir des bailleurs de fonds. Selon Mohamed Fall Oumère, la Mauritanie pourrait être contrainte à adhérer à l’Initiative de transparence des industries extractives. Proposée en 2002 par Tony Blair, cette initiative vise à lier les contrats passés entre les gouvernements et les compagnies extractrices au développement économique durable des pays concernés.