Cet article concerne la politique nucléaire française et de l’énergie nucléaire plus généralement.
Mots clés : nucléaire, énergie, electricité, politique, puissance, déchets, Eric Souffleux
» Voici les données qu’il faut que tu ai à l’esprit pour discuter du nucléaire.
Comme tu vas le voir, j’ai encore un peu évolué, précisé ma position :
– D’abord je m’aperçois qu’en étant « nucléo-tolérant », je suis le seul à pouvoir relancer le débat sur le nucléaire. Les pros sont pour et caricaturent la position du pour. Les contres sont contre et caricature leur position également. On a du mal à avoir un débat objectif si on est dans l’un ou l’autre de ces camps. Donc il me semble important qu’au préalable de tous débats que tu initieras, tu devras dépassionner le débat et inviter les protagonistes à l’écoute et à la modération. Voici un préalable qui à mon avis fera plaisir à ta prof de philo.
– Ensuite quand on parle du nucléaire, et en particulier de ses risques, il convient de les comparer aux risques que nous courront avec l’effet de serre. C’est absolument obligatoire de comparer dans la dangerosité des déchets nucléaires (confinés et d’un relatif faible tonnage comparé à d’autres substances chimiques que nous utilisons tous les jours dans l’agriculture et dans la chimie ou pétrochimie ) et le déchet : gaz carbonique que nous ne confinons pas aujourd’hui et dont on laisse le soin à dame nature de s’en charger.
– Par rapport au problème du climat et notamment l’argument des antis qui disent que l’énergie nucléaire produit 7% de l’électricité dans le monde ( et moins de 3% de l’énergie totale consommée ) et qu’elle est donc marginale, ce qui n’en ferait pas une solution à l’effet de serre. En fait ce qu’il faut comprendre, c’est que 80% de l’électricité est produite à partir de combustible fossile et que grosso modo, il faut réduire d’un facteur 2 à 4 (selon l’évolution des autres secteurs et de la démographie) la part d’électricité d’origine fossile. Ce qui signifie que sans réduire ou augmenter la part nucléaire existant, la part du nucléaire devrait augmenter jusqu’à probablement 30 à 40% de l’électricité produite. Le reste étant produit à partir d’énergie renouvelable et quelques pourcents d’énergies fossiles.
Donc certes l’énergie nucléaire est marginale aujourd’hui, mais elle ne risque pas de le rester si on place la lutte contre les changements climatiques au dessus du reste.
– Cependant, il ne faut pas tomber dans le nucléarisme béat. J’aime assez la réflexion de Hubert Reeves qui dit que le « nucléaire est une énergie pour les anges ». C’est-à-dire qu’il faudrait se servir du nucléaire pour des usages limités et sages, car les hommes ne sont pas à l’abri de négligences. L’essentiel des accidents et incidents nucléaire ont pour origine une erreur humaine. Or les hommes sont ce qu’ils sont, il y aura toujours un risque élevé de son fait. En limitant le besoin qu’on peut avoir d’énergie nucléaire, on limitera les risques dus à nous mêmes. Il est important à mon avis de montrer l’inefficacité du chauffage électrique et son impact sur le parc électronucléaire en France. Pour faire face aux pics de consommation en hiver, il faut surdimensionner le parc de centrale, ce qui incite au gaspillage hors de ces périodes et augmente d’une façon inconsidéré les risques nucléaires. Pour le chauffage de l’eau ou de l’habitat, il y a une solution d’avenir : le chauffage solaire couplée avec le chauffage au bois. Il ne s’agit pas de défendre le chauffage au gaz ou au fioul qui sont très néfastes du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.
– Il faut donc, et c’est un aspect du débat essentiel, savoir ce que l’on va faire du nucléaire. Personnellement, j’exclue la mission chauffage de l’eau et chauffage de l’habitat (et aussi climatisation, on va dans les deux sens évidemment). A quoi doit servir le nucléaire ? Par exemple faut-il développer le nucléaire pour développer la parc de voitures électriques ? (A mon avis, c’est une fuite en avant.) Je crois que le nucléaire devrait être réserver à trois choses :
1) Fournir aux abonnés au réseau un maximum de 15 kWh par semaine et par personne, ce qui exclu les pointes de consommation du type chauffage électrique. (Ce qui ferait 780 KWh par an et par personne et donc en France (60 millions d’habitants) 46 800 000 000 kWh soit 46 TWh. Pour l’ordre de grandeur, EDF a produit l’année dernière autour de 500 TWh (il doit y avoir 60 TWh d’exportation chiffres à vérifier mais les ordres de grandeurs sont là). Donc à priori en rationnant l’électricité comme cela, on devrait diviser par dix le parc de centrale existant !) La question pour toi se pose ainsi : qu’est ce qu’on peut faire avec 15 kWh par semaine ? J’ai fixé ce seuil de 15 kWh car en mesurant ma propre consommation d’énergie, et aussi celle d’Eva, j’ai constaté qu’on était à 20 kWh par semaine à deux. Donc on peut vivre très normalement avec 15 kWh puisque comme tout le monde, on a l’ordinateur, la télé, la lumière (mais pas le chauffage !) et une machine à laver (donc une partie de l’électricité que l’on consomme est utilisé pour chauffer de l’eau à 40°C). Chez vous, un rationnement à 15 kWh par semaine et par personne signifierait que vous auriez droit à 15 kWh * 6 personnes = 90 kWh par semaine (et donc 4680 kWh par an !). C’est à mon avis une démarche citoyenne essentielle que de sentir sa consommation d’énergie.
2) Autre usage : fournir l’électricité pour les trams, les trains et tous les systèmes de transports collectifs électriques (ascenceurs, escalators…). L’électricité nucléaire est alors couplée à l’hydraulique (qui fournit déjà un bon tiers de l’électricité consommé par la SNCF). J’imagine qu’au niveau des ordres de grandeur, 2 à 5 réacteurs de 1000 MW devrait suffir mais il faut vérifier.
3) Et enfin l’énergie nucléaire doit être le socle de l’industrie des énergies renouvelables. Il faut qu’on se serve du nucléaire pour produire de grandes quantités de panneaux solaires et pour alimenter les machines outils de ce qui restera de notre industrie du bâtiment, des éoliennes, des voitures efficaces, des vélos…. Combien de réacteurs ? Probablement autant que pour alimenter les transports collecifs : 2 à 5 ?
Récapitulons :
J’exclue des usages du nucléaire :
– le chauffage de l’eau chaude sanitaire (solaire et biomasse doivent suffir)
– la climatisation de l’habitat (isolation renforcé, architecture bioclimatique et rationnement des surfaces habitables climatisables)
– et aussi, j’ai oublié d’en parler précédemment, l’éclairage continu des routes et des enseignes publicitaires !
Je consacre le nucléaire aux missions suivantes :
– fournir une base d’électricité toute l’année de l’ordre de 15 kWh par semaine et par habitant. (6 réacteurs de 1000 MW)
– fournir de l’électricité aux transports collectifs (et aussi de marchandises) électriques (4 réacteurs de 1000 MW)
– fournir de l’électricité à notre industrie et en particulier celle des énergies renouvelables (4 réacteurs de 1000 MW)
Combien de réacteurs en France aujourd’hui ? 58. Combien devrions nous en avoir besoin avec cette stratégie ? 14 !
Se pose ensuite une autre question : quel type de réacteur nucléaire ?
Je suis un grand défenseur des surgénérateurs car ils ont le meilleur rendement et le meilleur rapport énergie produite par gramme d’uranium.
Il faut expliquer que les réacteurs nucléaires d’aujourd’hui consomment essentiellement l’uranium léger (U235) qui représente moins de 1% de l’uranium que l’on trouve dans les mines. Les surgénérateurs consomment presque la totalité de l’uranium (leur rendement est 60 à 100 fois meilleur) mais ils ont besoin d’un initiateur de réaction : le plutonium issu des réacteurs classiques, et aussi issu du surgénérateur (d’où son nom), après retraitement des déchets (usine de la Hague).
Donc logiquement on devrait se dire qu’il faut que l’essentiel des 14 réacteurs que je préconise soit du type surgénérateur. On peut peut être y laisser 1 à 3 réacteur à neutrons lents comme ceux d’aujourd’hui où comme celui du type EPR.
Et la dernière chose à voir est la part des énergies renouvelables qui pourra remplacer une partie de ces réacteurs, en tenant compte de l’intermittence de la plupart de ces énergies.
A terme (30 ans ? 60 ans ? 160 ans ?) la totalité du parc pour être arrêté et remplacer totalement par des centrales solaires couplées au stockage de l’électricité sous forme d’hydrogène. Mais la mise en place d’un tel système risque d’être longue et il y a tellement d’autres secteurs où il faudra économiser l’énergie.