Etudier les relations entre hommes, mers et climat
Les océans fournissent une nourriture à bon compte à de nombreux habitants de la planète. De ce fait, le poids économique de la pêche est considérable. Or on constate, depuis plusieurs années, une stagnation de cette manne qui semblait inépuisable, ainsi qu’une diminution générale de la taille des poissons. Cette situation résulte-t-elle d’une surexploitation des espèces marines, du réchauffement climatique planétaire ou du cumul de ces deux facteurs ? Quelle évolution peut-on prévoir aujourd’hui ?
Les scientifiques disposent maintenant de moyens pour répondre à ces questions. Dans ce but, vient d’être lancé à Paris le programme Eur-Oceans, soutenu par l’Union européenne, dont la direction scientifique est assurée par deux Français : Paul Tréguer, directeur de l’Institut universitaire européen de la mer (Brest, Finistère) et Louis Legendre, responsable du laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Or, « pour comprendre ce qu’il adviendra dans les cinquante prochaines années, il est nécessaire de savoir ce qui s’est passé au cours des cinquante dernières années », a expliqué M. Tréguer lors du colloque Eur-Oceans qui s’est tenu à Paris les 14 et 15 avril, et qui a été ouvert par François d’Aubert, ministre délégué à la recherche.
En effet, les écosystèmes marins se révèlent beaucoup plus complexes à comprendre que leurs homologues terrestres, d’autant qu’ils interagissent entre eux. Leur réponse au changement hydro-climatique sera aussi plus brutale que sur terre. Pour les appréhender, il est donc nécessaire de réunir des moyens techniques (satellites, navires, bouées, modèles) et des compétences aujourd’hui dissociées : physiciens et chimistes marins, biologistes experts du milieu marin et les spécialistes d’une approche moderne des pêches.
Etudiant les interactions entre le climat, les océans et les écosystèmes marins au niveau planétaire, Eur-Oceans se focalisera sur certaines régions-clés : l’Atlantique nord, les systèmes côtiers et l’océan austral. 160 scientifiques appartenant à 66 instituts marins de 25 pays devraient travailler pour ce programme. La France y participe à travers le CNRS, l’Ifremer, l’IRD, le CEA et le CNES. Le budget du projet atteint les 40 millions d’euros sur quatre ans, dont 30 sont fournis par les organismes de recherche et 10 par l’Union européenne. Eur-Oceans a le statut de « réseau d’excellence » qui a pour principal objectif de remédier à la fragmentation de la recherche européenne. Il est également associé au programme international Imber (Integrated Marine Biogeochemistry and Ecosystem Research), dont le siège est à Brest. Des collaborations sont aussi prévues avec les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Japon et la Namibie.
La disparition de la morue au large du Canada a beaucoup frappé les esprits et contribué à une prise de conscience. Après une période de stabilité, les résultats de la pêche à la morue ont connu, en 1992, un effondrement brutal. Les autorités canadiennes ont interdit sa pêche pendant dix ans, mais on attend toujours le retour de ce poisson dans la région. A l’origine du problème, une modification d’une composante de l’écosystème due à l’homme. Par un phénomène de cascades trophiques, on trouve maintenant dans la région beaucoup de crevettes et de crabes. Les phoques, prédateurs des morues, ont augmenté leurs captures, diminuant d’autant le nombre et la taille des morues, et donc la quantité d’oeufs. Or, « quand on est petit, on est mangé par tout le monde car la taille de la bouche est liée à la prédation », explique Philippe Cury, directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale (Ifremer, Sète, Hérault). « Maintenant, dit-il, il faut développer une approche écosystémique des ressources marines, alors qu’auparavant on étudiait le problème de manière sectorielle. »
Suite et source : Christiane Galus, Le Monde, 15/04/05 LeMonde