Pétrole et Sarkozy

M. Sarkozy, l’antilibéral du pétrole

Il y a les principes et les sentiments. Au nom des premiers, M. Sarkozy défend un libéralisme pur et dur. Au nom des seconds, il le bafoue. Prenons le pétrole. A peine l’envolée des cours mondiaux commence-t-elle à se faire douloureuse que le ministre s’apitoie : tantôt sur les pêcheurs, tantôt sur les agriculteurs, tantôt sur les routiers. Une détaxe ici, un coup de pouce par-là. Et d’ici à janvier, c’est promis, une ristourne générale, à moins qu’elle ne soit encore ciblée sur les malheureux possesseurs de manoirs chauffés au fioul ou les infortunés propriétaires de 4 × 4 ? On attend la suite avec intérêt, sachant que, dans ce domaine, la générosité n’a de limites qu’électorales.

On aurait tort d’en rire. Car, en jouant les pompiers de service, M. Sarkozy oublie non seulement les thèses qu’il défend par ailleurs, mais aussi les leçons du passé. Surtout, il hypothèque gravement l’avenir.

Selon le credo libéral, le meilleur signal, le seul régulateur du marché, est le prix. Quand la demande excède durablement l’offre, le prix augmente, ce qui incite les consommateurs à la modération et stimule les producteurs ; à terme, le marché se retrouve automatiquement rééquilibré.

C’est exactement ce qui s’est passé après les chocs pétroliers des années 1970. Si les cours du brut sont retombés en 1986 puis se sont stabilisés pendant quinze ans autour d’un prix d’équilibre modéré (25 dollars par baril environ), c’est parce que l’ensemble des économies occidentales, secouées par les crises de 1973 et surtout de 1979, avaient réduit leurs consommations, diversifié leurs sources d’énergie et développé de nouveaux champs pétroliers en mer du Nord, en Alaska, etc. L’offre excédait largement la demande, laissant un confortable coussin de capacités inemployées notamment en Arabie saoudite, laquelle l’utilisait pour stabiliser les cours en cas de problème.

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Encourager les gaspillages

Ce beau temps est fini. Si les prix du brut ont plus que doublé depuis deux ans et menacent la croissance, ce n’est pas seulement parce que M. Bush, en envahissant l’Irak, a privé le marché d’un bon million de barils par jour. Il y a quelques années, l’Arabie saoudite aurait aisément épongé le manque et l’accident n’aurait provoqué qu’un bref remous des cours.

C’est que la demande, depuis quinze ans, a lentement gonflé, au point d’égaler les capacités de production. Il n’y a plus de coussin de réserve, même en Arabie saoudite, les marchés fonctionnent à flux tendus et les cours sont à la merci du moindre aléa : conflit, grève, panne ou vague de froid.

La hausse des prix est donc un « bon signal », qui vient à temps ramener les consommateurs à la raison. Car il faudra plusieurs années et des milliards d’investissements pour accroître les capacités d’extraction. D’ici là, même si les pointes accidentelles se tassent, le pétrole a de bonnes chances de rester cher, plus cher en tout cas qu’il ne l’a été depuis quinze ans. A moins que la demande mondiale ne diminue fortement, comme elle l’avait fait après les premiers chocs.

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Ce sera plus difficile. D’une part, beaucoup a déjà été fait, le progrès technique et les normes aidant, pour se libérer de la contrainte pétrolière. La France grâce au nucléaire, l’Allemagne grâce au charbon, la Suisse grâce aux pompes à chaleur, etc., sont beaucoup moins dépendantes qu’il y a trente ans. D’autre part, la dérive la plus forte provient non des pays développés, mais des nouvelles économies asiatiques, et notamment de la Chine, en plein boom. Enfin, la mondialisation, chère aux libéraux, a un corollaire désagréable et jusqu’ici mal mesuré : elle gonfle massivement les échanges internationaux, donc les transports (de produits, de personnes), et in fine la consommation de carburants : fioul, diesel, kérosène, etc. Or c’est là que le bât blesse.

Si le pétrole couvre encore 35 % des besoins énergétiques mondiaux, c’est parce qu’il est irremplaçable dans les transports qui, à eux seuls, absorbent grosso modo les deux tiers de la production et ne cessent d’augmenter.

L’envolée des cours est peut-être une chance. Elle rappelle que les hydrocarbures ne sont pas inépuisables, qu’il faudra que le monde apprenne à se passer de pétrole à une échéance pas si lointaine, vers le milieu du siècle environ, et que, d’ici là, il devra s’habituer à un pétrole cher. Dans cette perspective, le clientélisme à courte vue du gouvernement paraît non seulement dérisoire, mais aussi contre-productif.

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Au lieu de laisser les prix décourager les utilisateurs les plus gourmands et réduire durablement la consommation, les cadeaux fiscaux de M. Sarkozy cassent le signal et entretiennent, voire encouragent, les gaspillages. Quitte à redistribuer une partie des recettes fiscales tirées de la hausse des cours, mieux vaudrait, au contraire, encourager les économies d’énergie ou le développement des solutions alternatives.

Aider, par exemple, pêcheurs ou agriculteurs à investir dans des équipements modernes et moins voraces en fioul. Soutenir les transports collectifs, le ferroutage, les pompes à chaleur ou les biocarburants, etc. Et en tout état de cause laisser les utilisateurs de « gouffres à pétrole » comme les poids lourds ou les 4 × 4 se pénaliser tout seuls.

Véronique Maurus

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE DU 23.10.04

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